Interview du Dr Elodie Blanchard, pneumologue
L’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP)
L’hypertension pulmonaire (HTP) est définie par une élévation de la pression artérielle au niveau des artères pulmonaires de manière chronique, c’est-à-dire au long cours. Cette augmentation moyenne est supérieure à 20 millimètres de mercure (mmHg).
L’hypertension pulmonaire est un terme qui regroupe toutes les causes aboutissant à une élévation de la pression artérielle pulmonaire. Parmi les plus fréquentes, on retrouve celles associées aux maladies cardiaques gauches ainsi que les maladies respiratoires chroniques.
Pour sa part, l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) est une forme rare d’hypertension pulmonaire, dont l’issue est sévère. Elle est caractérisée par un remodelage (prolifération des cellules) et une obstruction progressive des artères qui relient le cœur aux poumons, connues sous le nom d’artères pulmonaires, d’où une augmentation des pressions et des résistances des artères pulmonaires, à l’origine d’une défaillance du cœur droit et du décès, en l’absence de traitement. De nombreux traitements ont été développés depuis 30 ans pour soigner cette maladie rare, ce qui a permis d’améliorer la qualité de vie, la capacité d’exercice et la survie des patients. Malheureusement, en dehors de formes très rares, il n’est pas encore possible de guérir définitivement la maladie.
➡️ Une certaine errance diagnostique existe car les symptômes de l’HTAP, principalement l’essoufflement à l’effort, est tardif et n’est pas spécifique de la maladie, car commun à la plupart des pathologies cardiaques et pulmonaires.
➡️ La connaissance de l’HTAP par le grand public et le monde médical et paramédical est un enjeu, afin de ne pas négliger un essoufflement inexpliqué, avec un recours plus fréquent à l’examen de dépistage de référence : l’échographie cardiaque.
A SAVOIR :
Le centre de référence de l’hôpital Bicêtre coordonne le réseau français de l’hypertension pulmonaire « Pulmotension » incluant 27 autres centres répartis sur le territoire français. Ce réseau est intégré à la filière des maladies rares, appelée Respifil.
L’objectif est de créer un réseau d’équipes expertes dans le diagnostic et la prise en charge de la maladie, réparties sur l’ensemble du territoire métropolitain et en outre-mer. Ce maillage de centres experts permet d’accélérer le diagnostic et la prise en charge. En effet, l’errance thérapeutique peut représenter une perte de chance pour le patient car, en l’absence d’une prise en charge rapide, le risque vital est en jeu.
L’HTAP peut se manifester à tout âge et de tous groupes ethniques, sans cause évidente ou être liée à des facteurs génétiques ou à d’autres maladies.
➡️ Hommes et femmes sont touchés mais il existe une prédominance féminine.
On n’en connait pas complètement la raison, mais cette tendance est probablement liée à des facteurs hormonaux. Les changements hormonaux et hémodynamiques (impliquant la circulation du sang dans le système vasculaire du corps) associés à la grossesse pourraient jouer un rôle déclencheur dans le développement de cette maladie, contribuant ainsi à la prédominance observée chez les femmes.
➡️ Par ailleurs, certaines personnes ont une HTAP d’origine génétique, du fait de la mutation d’un gène qu’elles héritent de leurs parents.
Le gène le plus fréquemment impliqué est le gène BMPR2 mais on a identifié plus de 15 gènes de prédisposition ces dernières années. Dans les formes héritables, la prédominance féminine est nette avec, chez un homme porteur de la mutation, un risque d’environ 10 % de développer une HTAP, contre 40 % chez une femme porteuse de cette même mutation.
L’hypertension pulmonaire peut compliquer des maladies fréquentes, comme l’insuffisance cardiaque ou les maladies respiratoires chroniques. Il s’agit des formes les plus courantes d’HTP. Dans le cas des maladies respiratoires assez avancées (BPCO, fibrose pulmonaire, notamment), la destruction du tissu pulmonaire va s’associer à la raréfaction des vaisseaux pulmonaires, ce qui peut conduire au développement de l’hypertension pulmonaire.
Certains individus développent aussi ce que l’on appelle une « hypertension pulmonaire thromboembolique chronique », résultant souvent d’une embolie pulmonaire (un caillot qui se bloque soudainement dans les artères pulmonaires). Cette maladie peut évoluer de manière silencieuse, avec une obstruction progressive des artères lorsque l’embolie pulmonaire ne s’est pas résorbée en totalité. Dans le cas d’une personne restant essoufflée après une embolie pulmonaire, la possibilité d’une hypertension pulmonaire thromboembolique chronique doit absolument être envisagée.
L’HTAP peut également être associée :
L’HTAP peut aussi être héritable, c’est-à-dire secondaire à des mutations dans des gènes de prédisposition (cf. Qui est concerné ?).
On dit que l’HTAP est « idiopathique » lorsqu’on ne retrouve aucune cause à la survenue de la maladie.
Il est important de penser à rechercher l’HTAP en cas d’essoufflement chez les patients présentant une maladie associée à l’HTAP (sclérodermie, cirrhose, infection par le VIH…).
Le dépistage repose sur la réalisation d’une échographie cardiaque.
Cependant, pour les formes de la maladie où aucune cause connue n’a été identifiée (« idiopathiques »), la situation est plus complexe.
Leur incidence varie de 1 à 5 cas pour 1000 000 d’habitants, rendant le dépistage des personnes touchées par une HTAP plus difficile à mettre en place. Par conséquent, la dyspnée (essoufflement), même si elle n’est pas toujours liée à une affection grave, ne doit jamais être négligée et devrait toujours conduire à une exploration respiratoire et cardiaque.
Les signes cliniques de l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) sont communs à de nombreuses autres maladies cardiovasculaires et respiratoires : ils sont peu spécifiques, d’où la difficulté diagnostique. Ils résultent principalement d’un dysfonctionnement du cœur droit, secondaire à l’augmentation des résistances des vaisseaux pulmonaires. En effet, le ventricule droit est habituellement peu musclé (à la différence du cœur gauche). En situation normale, il envoie le sang dans les poumons dans une circulation pulmonaire à basse pression. Quand la pression monte dans les artères pulmonaires, le ventricule droit se retrouve face à un obstacle et a du mal à éjecter le sang dans les vaisseaux pulmonaires, ce qui entraîne rapidement une insuffisance cardiaque droite.
A savoir :
👉 L’essoufflement (dyspnée) se manifeste généralement lorsqu’il existe une insuffisance cardiaque droite. En d’autres termes, la maladie évolue probablement de manière silencieuse avant que les patients ne ressentent les premiers signes.
👉 Les symptômes additionnels tels que les vertiges, les douleurs thoraciques, les malaises, ou les syncopes sont le plus souvent observés dans les stades avancés de la maladie.
▪️ Si l’on se sent essoufflé sans raison apparente, consulter son médecin traitant est un bon réflexe. Celui-ci réalisera un examen pour rechercher les causes classiques d’essoufflement. Si aucune cause (étiologie) évidente n’est identifiée, le patient est généralement dirigé vers un pneumologue ou un cardiologue. Ces spécialistes évaluent la fonction cardiaque à l’aide d’une échocardiographie cardiaque et prescrivent des tests pour étudier la fonction respiratoire et évaluer l’état des poumons (radiographie, scanner).
▪️ En cas de dyspnée inexpliquée, l’échographie cardiaque devient l’examen de dépistage privilégié pour détecter une éventuelle HTAP. Elle ne permet cependant pas d’affirmer le diagnostic. En effet, cette méthode non invasive peut identifier des signes indirects de l’hypertension pulmonaire, mais ne peut mesurer directement la pression artérielle pulmonaire ni déterminer les mécanismes à l’origine de la maladie.
L’échographie cardiaque recherche une altération de la fonction ventriculaire gauche, une pathologie des valves cardiaques ou une cardiopathie congénitale (communication entre les oreilles ou les ventricules du cœur…).
▪️ Ainsi, en cas de suspicion d’hypertension pulmonaire, le « cathétérisme cardiaque droit » est l’examen indispensable pour confirmer le diagnostic. Il s’agit d’une procédure médicale au cours de laquelle un cathéter (un tube mince et flexible) est introduit par une veine périphérique (bras, cou, jambe) jusqu’au cœur droit et aux artères pulmonaires. Cette technique permet aux médecins de mesurer in situ la pression artérielle pulmonaire et la fonction cardiaque (débit cardiaque).
✅ Le bilan initial, l’annonce du diagnostic et la prise en charge globale de la maladie doivent être réalisés dans le centre experts du réseau français Pulmotension.
La prise en charge actuelle de l’HTAP associe un traitement général (pour soigner les conséquences de l’HTAP et de l’insuffisance cardiaque) et des traitements ciblant spécifiquement les anomalies de fonction des vaisseaux pulmonaires.
🔍 A noter : l’HTAP est reconnue comme une Affection de Longue Durée (ALD) en France, ce qui facilite la prise en charge des frais médicaux liés à la maladie par l’Assurance Maladie.
Le traitement de base comporte principalement des médicaments diurétiques pour réduire la rétention d’eau et de sel dans l’organisme (rétention hydrosodée) voire l’apport d’oxygène en cas d’insuffisance respiratoire.
✅ L’HTAP est une maladie rare qui bénéficie d’une dizaine de traitements disponibles, avec trois grandes classes thérapeutiques, qui sont le plus souvent associées. Au cours des 30 dernières années, le domaine a connu de nombreuses innovations thérapeutiques.
Les premiers traitements étaient uniquement administrés par voie intraveineuse avec des pompes en continu (prostacycline). Ces traitements très efficaces restent l’option privilégiée pour les formes les plus sévères. Des traitements par voie orale ont ensuite été développés ciblant d’autres mécanismes (voie de l’endothéline et du monoxyde d’azote), et permettant de simplifier le traitement pour des patients présentant une forme moins sévère.
👉 Bien que ces médicaments ne permettent pas de guérir définitivement l’HTAP, ils parviennent à stabiliser la situation et à améliorer divers aspects tels que le pronostic, la qualité de vie des patients, et leurs capacités à l’effort. Cependant, leur efficacité est aussi liée au dépistage précoce et, de ce fait, à l’instauration précoce des traitements.
✅ À l’heure actuelle, les traitements de l’HTAP ont un effet vasodilatateur pulmonaire en limitant le mauvais fonctionnement des cellules tapissant les artères pulmonaires (cellules endothéliales).
Ils se répartissent en trois catégories principales :
1- La première catégorie concerne les dérivés de la prostacycline, initialement développés sous forme intraveineuse ou sous-cutanée en continu avec une pompe, principalement destinés aux cas les plus graves. Certains sont également disponibles sous forme orale, plus pratique, mais réservée à des formes moins sévères.
2- La deuxième catégorie regroupe les inhibiteurs des phosphodiestérases de type 5, qui comprennent des médicaments tels que le sildénafil et le tadalafil (voie orale). Ces molécules sont connues car leur première utilisation était la dysfonction érectile.
3- Enfin, la troisième catégorie concerne les antagonistes des récepteurs de l’endothéline (voie orale). Ils bloquent les effets délétères (vasoconstriction et prolifération) induite par l’endothéline.
✅ Dans la pratique, pour les formes moins graves de l’HTAP, une approche courante consiste à combiner deux ou trois médicaments par voie orale. En revanche, dans les cas plus graves, on utilise les prostacyclines, administrées par voie intraveineuse ou sous-cutanée à l’aide d’une pompe en continu. Bien que l’utilisation de ces médicaments impose des contraintes importantes, ils demeurent les plus efficaces dans le traitement de cette maladie.
Il est conseillé aux patients souffrant d’HTAP de suivre un régime alimentaire modéré en sel, en réduisant la consommation d’aliments riches en sodium, tels que les plats préparés, les aliments transformés et les snacks salés.
Bien que la maladie limite les capacités d’exercice physique, il est recommandé de maintenir une activité régulière, comme la marche, afin d’éviter un déconditionnement physique excessif, tout en évitant les efforts physiques intenses.
Les vaccinations contre la grippe, la Covid-19 et le pneumocoque sont fortement recommandées chez ces patients particulièrement fragiles.
Lorsque toutes les approches thérapeutiques échouent à boquer la progression de la maladie, la transplantation des deux poumons reste l’option de secours pour certains patients souffrant d’HTAP.
En France, chaque année, entre 40 et 50 transplantations pulmonaires sont effectuées pour traiter cette maladie.
Le Centre de référence, en collaboration avec l’hôpital Marie-Lannelongue (Plessis-Robinson), coordonne le programme de transplantation pour cette pathologie en France.
Tous les patients ne sont pas éligibles à la transplantation pulmonaire en raison de maladies associées (comorbidités) ou de risques jugés trop élevés. De plus, l’accès aux greffons pulmonaires est limité en raison de la forte demande par rapport à l’offre d’organes disponibles, très limitée. Enfin, la chirurgie elle-même comporte des risques post-opératoires, en particulier les complications liées à l’immunosuppression et le risque de rejet, qui sont élevés dans le cas de la transplantation pulmonaire.
Ces dernières années, le développement de plusieurs médicaments offre des perspectives encourageantes.
Des recherches sont en cours pour évaluer de nouveaux traitements et innovations thérapeutiques, ciblant d’autres mécanismes de l’HTAP. Ces médicaments administrés en injections sous-cutanées (espacées de plusieurs semaines) ou par voie inhalée, sont en cours d’évaluation dans des essais thérapeutiques. Cela permettra d’offrir de nouvelles possibilités thérapeutiques qui seront associées aux traitements déjà disponibles.
👉 Le réseau français Pulmotension est très actifs dans le développement des essais thérapeutiques, évaluant les nouveaux traitements de l’HTAP.
Des essais avec le sotatercept ont obtenu des résultats encourageants dans des études de phase 2 et de phase 3. Ce traitement, qui cible un nouveau mécanisme biologique de la maladie, agit en tant que bloqueur de l’activité de l’activine (une protéine responsable de la prolifération cellulaire dans les artères pulmonaires), se concentrant spécifiquement sur le remodelage des vaisseaux pulmonaires. Le remodelage sont des changements graduels dans la structure et la forme des vaisseaux sanguins de petite taille au fil du temps. Ce nouveau médicament pourrait bientôt être disponible en Europe et en France, en « accès précoce ».
👉 D’autres voies thérapeutiques potentielles sont également en exploration, notamment celles visant à inhiber la voie du PDGF (platelet-derived growth factor). Ces nouvelles approches thérapeutiques ciblent principalement le remodelage des vaisseaux sans effet vasodilatateur direct.
L’objectif de ces nouvelles recherches est de trouver des médicaments capables non seulement de bloquer la maladie, mais aussi de revenir en arrière dans le processus pathologique.
Au-delà de l’importance d’un diagnostic précoce pour orienter les patients vers des centres spécialisés, l’objectif actuel est de garantir une prise en charge de qualité lorsque les patients retournent chez eux.
En effet, comment expliquer sa fatigue, son manque d’énergie, son incapacité à réaliser des efforts physiques à son entourage ? D’autant que le patient doit aussi réorganiser complètement sa vie.
Les avancées médicales ne se limitent pas uniquement à l’efficacité des traitements, mais cherchent également à optimiser l’expérience des patients dans leur parcours de soins. L’émergence de nouvelles stratégies thérapeutiques constitue en cela un grand progrès en termes de praticité et de confort pour les patients. Cette évolution contribue également à rendre la prise en charge de l’HTAP plus accessible et moins contraignante.
Dossier rédigé par Hélène Joubert, en collaboration avec le Pr David Montani, pneumologue exerçant dans le Centre de référence de l’hypertension pulmonaire (PulmoTension), établi à l’Hôpital Bicêtre (AP-HP, Université Paris Saclay, Kremlin-Bicêtre, Val-de-Marne). Ce centre coordonne le réseau français de l’hypertension pulmonaire « Pulmotension » incluant 27 autres centres répartis sur le territoire français.
Ce réseau est intégré à la filière des maladies rares Respifil.