Témoignages

« Raconter pour guérir, témoigner pour inspirer, parler pour sensibiliser »

Aïcha B., 54 ans, atteinte d’une forme rare de fibrose pulmonaire : une fibroélastose pleuroparenchymateuse.

SRF : À quel âge êtes-vous tombée malade ?

Aïcha : Je n’avais pas encore 30 ans. C’était en juillet, à mon retour de vacances. J’étais en parfaite santé, ma vie était très équilibrée. À époque, je pratiquais beaucoup de sports différents (course à pied, basket, karaté, randonnée…). Je ne fumais pas, je ne buvais pas d’alcool, et je faisais très attention à mon alimentation. J’étais soucieuse et consciente de l’importance de ces paramètres dans mon hygiène de vie. Rien ne laissait présager quoi que ce soit. En août, je devais fêter mon anniversaire, mais tout a basculé en ce mois de juillet 1999.

Vous souvenez-vous précisément de la toute première manifestation de la maladie ?

Je me souviens comme si c’était hier. Je revenais de quinze jours de vacances à Hammamet (Tunisie). C’était à l’aéroport de Marignane à Marseille (Bouches-du-Rhône). Sur un escalator qui conduisait à la salle d’attente, j’ai senti un frisson parcourir tout mon corps. Une sensation étrange, difficile à décrire et que je n’oublierai jamais. Je me suis dit que c’était sûrement un petit coup de froid, mais j’ai fini par consulter mon généraliste quelques jours plus tard à cause d’une fièvre, d’une toux et de courbatures persistantes. Ce dernier m’a alors traitée pour une grippe qui, selon lui, était probablement due aux écarts de température entre la climatisation et la chaleur ambiante locale.

Les choses n’ont malheureusement pas évolué comme prévu, bien au contraire. Je suis retournée le voir à plusieurs reprises et, malgré le changement d’antibiotiques à chaque visite, les symptômes persistaient et mon état se dégradait.

Les évènements tombent toujours au plus mauvais moment. Pour mon plus grand bonheur, avant mon départ au soleil, je venais d’obtenir une promotion : quitter Marseille pour un nouveau poste à Paris. C’est d’ailleurs pour fêter cette opportunité que nous étions partis nous amuser. À mon arrivée à Paris, tout était à construire dans cette nouvelle agence. L’équipe était attendue sur place et nous étions tous enthousiastes de débuter cette belle aventure.

Au début, je prenais sur moi, je me rendais à mes rendez-vous, je faisais le travail, mais je ne me sentais pas bien. Je profitais des billets d’avion pris en charge par mon entreprise pour redescendre « dans le sud », consulter mon médecin et faire le point.

Mon état ne s’améliorait toujours pas. Petit à petit, je me suis sentie vidée, sans énergie. Plus le temps passait, plus porter ma sacoche de travail devenait compliqué. Il fallait aussi que l’on m’accompagne pour aller au bureau. Je limitais mes déplacements chez les clients au strict minimum. Puis un jour, mon manager m’a dit : « Ce n’est plus possible, tu dois t’arrêter ». Il voyait bien que je n’y arrivais plus. Une fatigue extrême, un essoufflement inhabituel, une forme d’épuisement général. Autrefois pleine d’énergie, je n’y arrivais plus, je me sentais diminuée. Cela m’affectait terriblement et m’inquiétait beaucoup.

En arrêt maladie, coincée chez moi, me voilà à courir après les rendez-vous et les consultations auprès des pneumologues et des hôpitaux. J’ai entendu alors tous les diagnostics possibles : asthme, bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), dilatation des bronches (DDB), etc.

J’avalais des médicaments par paquets : des corticoïdes, des bronchodilatateurs, des aérosols, des antibiotiques, et j’en passe. Mais ces traitements soulageaient les symptômes, non la cause. Les hôpitaux devenaient ma résidence principale et les pompiers mes colocataires, si souvent présents chez moi pour me conduire aux urgences.

À partir de là, tout s’est effondré autour de moi. C’était le début de la descente aux enfers. Et je pèse mes mots. Sentant la mort venir, j’ai préféré, en septembre 2014, me rapprocher de ma famille originaire de Nice.

Que s’est-il passé ?

J’ai subi plus de dix-huit années d’errance médicale. C’est le vrai drame pour un malade. Cela s’appelle la double peine. La maladie dont je souffre est une fibrose pulmonaire rare, orpheline et évolutive. La fibrose pulmonaire en elle-même est une pathologie rare, mais la forme dont je souffre était encore plus difficile à diagnostiquer. Le nom exact de la maladie, je ne l’ai obtenu qu’en 2017, quatre années après mon retour à Nice. C’est au CHU Pasteur, grâce à une professeure du service de pneumologie, à qui je dois beaucoup, qu’on a enfin mis un nom sur ma souffrance et ma pathologie. Dès la connaissance du diagnostic, j’ai pu intégrer un protocole d’essai qui n’a malheureusement pas fonctionné sur moi. À ce moment précis, j’étais dans un état pitoyable, sous oxygène, nourrie par une sonde gastrique et complètement épuisée. Aujourd’hui, je connais le vocabulaire, les pathologies, les traitements respiratoires. Mais à l’époque, j’étais complètement perdue.

La kinésithérapie respiratoire, par exemple, je ne l’ai découverte que très tardivement, alors qu’elle aurait dû faire partie de la prise en charge initiale. Tout cela simplement parce qu’on ne savait pas, parce qu’on ne connaissait pas.

Pourquoi avez-vous été suivie par cette équipe médicale ?

Quand je suis arrivée à Nice, mes médecins m’ont expliqué que le centre de référence en matière de pathologies pulmonaires pour la région PACA était l’hôpital Pasteur. Ce moment a marqué un véritable tournant dans mon parcours.

Aujourd’hui, si j’ai un message à faire passer, c’est celui-ci : il ne faut pas attendre. Lorsqu’on est malade, on ne peut pas rester passif. Il faut suivre les traitements, chercher, comprendre, poser des questions. On ne peut pas espérer que tout vienne uniquement des médecins ou du système de soins. Les professionnels de santé sont parfois eux aussi démunis.

Heureusement, il existe aujourd’hui de nombreuses ressources : internet, les réseaux sociaux, les associations de patients, les centres de référence… Il ne faut pas rester seul.
J’ai eu la chance d’être suivie par une médecin qui a vraiment creusé. En 2017, elle a décidé de soumettre mon dossier – de façon anonyme – à une équipe de recherche à Paris. Elle avait une intuition, mais elle voulait une confirmation formelle.

Parallèlement, elle m’a parlé d’une publication scientifique décrivant un groupe de personnes présentant les mêmes symptômes que moi. En la lisant, j’ai immédiatement reconnu mon propre profil. Il s’agissait d’une forme de fibrose pulmonaire extrêmement rare, identifiée pour la première fois par un médecin japonais. À l’époque, en France, seuls cinq ou six cas étaient connus.

Quand la transplantation pulmonaire s’est-elle imposée ?

Lorsque l’idée d’une greffe a été évoquée, les médecins ont hésité. Ils manquaient de recul sur cette pathologie. Ils ont préféré attendre, aussi parce que j’avais deux enfants en bas âge. Et j’ai tenu… jusqu’à l’extrême limite. J’ai voulu attendre que mes enfants grandissent un peu, que la médecine progresse aussi. Et j’ai bien fait.

Aujourd’hui, je vis avec une double transplantation pulmonaire, réalisée en 2019.

Mais cela reste un combat. Je continue à avancer, même si ce n’est pas simple. J’ai encore été hospitalisée la semaine dernière pour un bilan de suivi de cinq jours. La surveillance est constante.

Dès la première année, j’ai présenté un rejet aigu. Le traitement a été très lourd : des doses massives de cortisone. Puis sont venus les effets secondaires : sur la peau, les yeux, le système reproducteur… Tout est concerné. Je dois consulter régulièrement plusieurs spécialistes : ophtalmologiste, dentiste, gynécologue, dermatologue, etc. Le suivi est permanent, très encadré. On est littéralement suivi « comme le lait sur le feu».

Même sous oxygène, vous avez quand même eu la force d’avoir vos deux enfants ?

J’étais en effet déjà sous oxygène quand j’ai eu mes enfants. Ma fille est née en 2004 et mon fils en 2008. Je savais que je n’en avais probablement plus pour longtemps à vivre. C’était clair. Les médecins me l’avaient dit. Il s’agissait d’une maladie rare, sans traitement curatif. J’ai donc pris ce risque, en pleine conscience et je me sentais de porter en moi la vie alors qu’on me parlait de mort.
Le pneumologue qui me suivait à l’époque a refusé de continuer à m’accompagner, en raison du danger et des risques que représentait une grossesse dans mon état. Malgré les réticences du corps médical, la grossesse s’est globalement bien déroulée, même si elle a été très difficile. De plus, j’ai eu la chance d’être accompagnée tout au long par une gynécologue spécialisée dans les grossesses compliquées et ma « princesse » est née par césarienne.

Deux ans plus tard, après la naissance de ma fille, mon état s’est considérablement aggravé. La maladie a progressé brutalement. J’étais dans un état très dégradé. J’ai alors pris une décision. Je ne voulais pas que ma fille reste seule. Le père de mes enfants était déjà opposé à la première grossesse, mais il m’a fait confiance et il m’a accompagnée. Pour le deuxième bébé, c’était différent, très long et compliqué, car il s’agissait d’un parcours de PMA (procréation médicalement assistée). Nous avons donc entamé des démarches et, en deux ans, j’ai eu six inséminations artificielles et deux fécondations in vitro. Et puis un jour, mon « trésor » est arrivé, également par césarienne.

Comment se passe votre vie aujourd’hui ?

Ma vie est aujourd’hui rythmée par des contraintes très strictes, et encore plus durant les premières années après la greffe. C’est non négociable. Le suivi médical reste très structuré. Au début, c’était chaque semaine, puis toutes les trois semaines, puis une fois par mois. Encore aujourd’hui, je fais un bilan sanguin mensuel complet, avec des consultations régulières. Je passe aussi des examens d’imagerie, pulmonaires et cardiaques, ainsi que des contrôles dermatologiques, gynécologiques, ophtalmologiques… J’ai développé un diabète insulino-dépendant à la suite de la greffe, en lien avec les traitements. Physiquement, je reste limitée. Le mot « sport » est un peu fort, mais je peux marcher sur de courtes distances. L’année dernière, la fatigue a été particulièrement intense. Mon père est décédé, et ce genre d’épreuve touche profondément, surtout quand on est déjà fragilisé par la maladie. Je suis devenue plus sensible à tout ce qui m’entoure : l’environnement, la qualité de vie, les émotions. Tout prend une autre dimension.

En vous retournant sur votre parcours, que vous vient-il à l’esprit ?

Je n’ai pas eu la chance d’être entourée comme je l’aurais souhaité. Ma famille était dans le déni. Par peur ? Par méconnaissance ? Je ne le sais toujours pas. Or, on ne traverse pas une maladie seul(e). Il faut pouvoir communiquer, parler de ses angoisses, partager ses doutes, être accompagné et soutenu dans le quotidien et dans ses soins, dire ce qui nous gêne. L’environnement compte énormément. Ce sont les proches qui donnent du courage, de la force (parfois) et surtout l’envie de vivre.
Ce que je retiens aujourd’hui, c’est qu’il ne s’agit pas de se battre contre la maladie. Se battre, c’est s’épuiser. Il est important d’apprendre à vivre avec, à en faire une compagne et cheminer avec. L’apprivoiser. Être bienveillant envers soi-même. Prendre du bon temps. S’entourer des gens qu’on aime. Croire en soi, en sa force et en sa capacité à s’adapter.
Et surtout retenir que ce n’est pas la première épreuve traversée. Certes, peut-être une des plus dures au moment où vous êtes dans la souffrance et la douleur. Mais il y en a eu d’autres auparavant. Ne doutez surtout pas. Chacun de nous possède des ressources insoupçonnées qu’il peut mettre à profit pour avancer. Faîtes-vous confiance. Pour cela, je pense qu’il faut s’asseoir, prendre un peu de distance, et se retourner pour regarder ce qu’on a déjà traversé. Moi, je ne l’ai pas eu cette attitude tout de suite. C’est le cas maintenant. Avec du recul. Avec une forme de noblesse d’esprit et beaucoup de gratitude pour la vie et surtout pour la chance d’avoir eu droit à une seconde vie. Apprécier la moindre petite réussite réconforte le cœur et l’esprit. C’est avec ces petites victoires du quotidien que l’on accomplit de grandes choses. Personnellement, j’ai arrêté de penser à demain. Chaque matin, j’applique la devise « A chaque jour suffit sa peine ».

Par ailleurs, la maladie ne me définit pas. Elle ne définit personne. J’ai travaillé sur cet aspect : la maladie ne m’appartient pas, ce n’est pas « moi ». Il est essentiel de différencier la maladie et les personnes que nous sommes. Ce sont deux identités distinctes. Personnellement, je suis plutôt une personne dynamique, souriante, sportive. La maladie ne me reflète pas du tout. Elle ne m’appartient pas.

Comment ressentez-vous le regard de la société ?

Il est terrible. C’est un regard dur, froid, souvent intrusif. C’est pour cela qu’il faut un cocon solide autour de soi, aimant, bienveillant, chaleureux. Un entourage capable d’amortir le choc, un point d’ancrage, parce qu’on ne peut pas porter la maladie et en plus subir un deuxième coup de massue venu de l’extérieur. La société ne changera pas. Elle est violente, agressive face au handicap, surtout lorsqu’il est invisible.
J’ai la carte « stationnement » pour me garer sur les emplacements réservés. Malgré cela, des gens viennent frapper à ma vitre en me demandant de partir, insinuant que je n’ai aucun handicap. Quand je montre la carte, certains insistent : « Vous n’êtes pas handicapée. » Ce genre de scènes est courant. Nous vivons dans une société intrusive, qui juge au premier regard. Il faut donc apprendre à se protéger, en étant entouré de personnes aimantes, mais aussi en effectuant un travail intérieur pour veiller sur soi et sur son bien-être.
Alors, cultivons l’apaisement, la gratitude, la bienveillance, l’amour, même dans la maladie. En effet, elle constitue une épreuve, mais elle peut aussi représenter une leçon. Personnellement, elle même devenue une forme d’opportunité pour lire, se documenter, découvrir des parcours, des histoires de vie de personnes qui ont traversées l’épreuve et s’en sont relevées, complètement transformées… Ce sont des exemples puissants.

La maladie oblige à développer ses qualités, à cultiver l’empathie, l’ouverture, l’amour – envers soi-même et envers les autres.

Vous n’êtes pas une patiente comme les autres, compte tenu de vos activités auprès des patients ?

J’ai depuis souhaité aller plus loin que le savoir expérientiel. J’ai suivi deux formations universitaires : une certification en Éducation Thérapeutique du Patient, délivrée par la faculté de médecine de Nice, et un Diplôme Universitaire intitulé « Art du soin en partenariat avec le patient », proposé par le Centre d’Innovation du Partenariat avec les Patients et le Public (CI3P).  Cette formation me donne le statut de patiente experte. Ce second cursus repose sur une approche sensible du soin, un accompagnement complémentaire à l’Éducation thérapeutique du patient. Certaines personnes malades ont des difficultés à parler d’elles-mêmes. L’art devient alors un levier. On utilise des cartes de langage, des tableaux, des films, des œuvres. Cela permet d’ouvrir un espace dans lequel la personne peut, à travers des ateliers d’écriture ou des médiations artistiques, met des mots sur sa douleur, son vécu, son isolement. C’est une autre manière d’entrer en relation avec les patients, qui permet d’aborder la souffrance autrement que par les outils médicaux ou les protocoles.

Par ailleurs, je suis membre de l’association Fibrose Pulmonaire France.

Propos recueillis par Hélène Joubert, journaliste (juin 2025)