Trois questions au Pr Isabella Annesi-Maesano, directrice de recherche à l’Inserm (Unité 1136, équipe Épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires), membre du groupe d’experts sollicités en 2016 par la Société de pneumologie de langue française (SPLF) sur les effets de la pollution atmosphérique sur la santé respiratoire. Ce travail est en cours de mise à jour.
La pollution, extérieure comme intérieure, peut être à l’origine d’exacerbations de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) mais aussi favoriser la survenue de la maladie chez des personnes qui n’ont jamais fumé de leur vie. BPCO et pollution, que savons-nous en 2019 ?
Est-il bien démontré en 2019 que la pollution peut être à l’origine d’exacerbations dans la BPCO ?
Pr Isabella Annesi-Maesano : L’appareil respiratoire constitue une voie d’exposition privilégiée pour les aérocontaminants dont ceux chimiques, gaz ou particules, avec des effets nocifs à court ou long terme. En moyenne, chacun d’entre-nous respire 15 m3 d’air par jour et, en milieu urbain, passe plus de 80 % de son temps à l’intérieur des locaux. Plus aucun doute n’est permis sur la responsabilité de la pollution dans les exacerbations de BPCO, avec plus de consultations médicales, d’hospitalisations, de prise de médicaments, d’augmentation des doses mais également une mortalité accrue. Le dioxyde de soufre (SO2), le dioxyde d’azote (NO2), l’ozone (O3), les particules en suspension dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres (PM10) et 2, 5 microns (PM 2,5) sont les contaminants incriminés (1-2).
La pollution peut-elle être à l’origine d’une BPCO ?
Pr Isabella Annesi-Maesano : Les preuves sont relativement robustes en faveur d’une responsabilité de la pollution dans le développement d’une BPCO chez le non-fumeur, même si les données longitudinales sont encore limitées et que les définitions de la BPCO varient selon les études avec, souvent, l’absence d’une spirométrie au minimum confirmant le diagnostic (3). Mais les données à l’échelle des populations sont confortées par des preuves toxicologiques. De plus, une vaste étude de 2018 a mis en lumière que l’augmentation de la mortalité due aux cinq causes principales de décès dont la BPCO est directement liée à la concentration en particules fines PM2,5 (4).
La pollution peut aussi être intérieure. Les polluants particulaires et gazeux de l’habitat peuvent favoriser la BPCO et les bronchites lors de la combustion de la biomasse dans les pays en voie de développement notamment chez la femme non fumeuse (cf. article Biomasse). Mais on estime aussi qu’en Europe, en 2020, 38 % des particules fines seront émises via la combustion domestique du bois. Ces émissions domestiques se retrouvent aussi dans l’atmosphère de l’extérieur des locaux.
A l’extérieur des habitations, quels sont les polluants incriminés dans la BPCO ?
Pr Isabella Annesi-Maesano : Tous les composés cités plus haut, dont en milieu urbain une majorité est émise par le parc automobile. Le trafic génère la moitié des toxiques rencontrés dans les villes. Le domaine de la construction (bâtiments, routes etc.) est aussi impliqué dans l’émission de polluants dont des grosses particules. Pour leur part, les industries polluent fortement, mais plutôt hors milieu urbain. L’agriculture n’est pas en reste. Elle libère un volume considérable de particules (ammoniac, nitrates (NO3)), avec les épandages de pesticides, les engrais azotés, les déjections animales utilisées pour la fertilisation, et qui participent à la formation de particules dites secondaires. Les dioxydes d’azote et de souffre, produits par l’automobile et l’industrie sont aussi responsables de ces particules secondaires.
Les particules fines apparaissent les plus dangereuses (PM2,5) mais aussi les ultrafines (PM0,1) qui pénètrent au plus profond de l’arbre bronchique, franchissent la barrière alvéo-capillaire et arrivent dans la circulation systémique. Les données sont encore parcellaires sur le lien entre ces particules ultrafines et BPCO mais, encore une fois, sur la relation entre pollution atmosphérique et développement de la BPCO, les preuves sont déjà consistantes, en dépit d’un recul encore faible.
Les personnes souffrant de BPCO ont-elles intérêt à porter un masque en cas de pic de pollution ?
Pr Isabella Annesi-Maesano : Il y a un risque plus élevé de souffrir d’une BPCO lorsqu’on habite à proximité d’un axe routier à fort trafic. Eviter ces lieux est fortement conseillé, lorsque c’est possible. Par ailleurs, être attentif aux pics de pollution est recommandé (via des applications smartphone, des sites internet comme www.airparif.asso.fr…) entre autres, afin de limiter les sorties en cas de forte pollution. La prévention individuelle est assez limitée. Si porter un masque est utile en cas de travaux ou dans des lieux avec beaucoup de particules en suspension afin de protéger les bronches, il n’est pas possible aujourd’hui de suggérer le port de masque dans la rue en cas de forte pollution car aucun n’a fait la preuve de son intérêt en vie réelle.
La pollution coûte 1 à 2 milliards d’euros par an en France
En France, le coût total sur la santé de la pollution est estimé entre 1 milliard et environ 2 milliards d’euros/an, selon une étude menée par Isabella Annesi Maesano*. Pour obtenir ce résultat, la chercheuse a étudié les coûts de la part attribuable à la pollution de l’air de la prise en charge des cinq maladies respiratoires les plus répandues (BPCO, bronchites chronique et aiguë, asthme et cancer des voies respiratoires), des hospitalisations pour ces pathologies, ainsi que des hospitalisations liées aux maladies cardiovasculaires. |
Hélène Joubert, journaliste
Références :
- Li et al. IJCOPD 2014 ; (2) de Vries et al. COPD 2017 ; (3) Schikowski et al. Eur Respir 2014 ; (4) Burnett R et al. Proc Natl Acad Sci U S A.2018 Sep 18;115(38):9592-9597