Témoignages
« Ne pas craindre la transplantation pulmonaire »

« Ne pas craindre la transplantation pulmonaire »

Entretien avec Serge, 61 ans (Aubagne, Bouches-du-Rhône), greffé des poumons en janvier 2022

Parce qu’il était atteint de fibrose pulmonaire idiopathique (FPI), une maladie respiratoire chronique, Serge a été transplanté des deux poumons en janvier 2022. Six mois plus tard, il vit normalement, sans aucune douleur ni handicap. Un parcours idéal voire exceptionnel, rapide, sans anicroche ni difficultés physiques ou psychologiques, qu’il souhaite partager afin d’apporter optimisme et confiance à ceux qui envisagent la transplantation pulmonaire.

SRF : Quand les premiers symptômes de votre maladie, la fibrose pulmonaire idiopathique, sont-ils apparus ?

Serge : « Les premiers signes (essoufflements) se sont manifestés en 2016. A la suite d’une bronchite, mon médecin traitant m’a envoyé chez un pneumologue, même si j’avais cessé de fumer de nombreuses années auparavant. L’affaire a rapidement été classée sans suite, le scanner et la prise de sang n’ayant pas vraiment été contributifs.

Puis, un matin de novembre 2019, en montant dans ma voiture pour rejoindre mon travail, j’ai le souffle subitement coupé du fait d’une importante désaturation (diminution du pourcentage de la saturation en dioxygène, ndlr). Je dois me poser et patienter avant de pouvoir respirer de nouveau normalement. Je connaissais la manière de retrouver son souffle, calmement, en respirant par le diaphragme et en ventilant ma respiration ; mon père étant décédé d’une fibrose pulmonaire. Celle-ci aurait été causée par sa passion, la confection de modèles réduits d’avions. Les solvants des colles qu’il a utilisé pratiquement toute sa vie, les poussières de bois de balsa ont, semble-t-il, provoqué la maladie. Son tabagisme a probablement joué aussi.

Ce jour-là, je ne m’inquiète pourtant pas, pensant que j’avais monté les escaliers trop vite sans y prêter attention. Puis je continue mon travail, assez physique. Dès le lendemain, la montée de deux étages me laisse de nouveau à bout de souffle, et ainsi de suite pendant les jours suivants. Mon médecin généraliste m’adresse alors rapidement au pneumologue, lequel, ne trouvant pas la cause de mon essoufflement, m’oriente vers un confère. Quatre mois plus tard, après m’avoir fait hospitaliser, ce dernier me reçoit et m’explique la maladie dont je souffre. Il s’agit d’une fibrose pulmonaire idiopathique, c’est-à-dire sans cause connue, et il me fait clairement comprendre que la transplantation pulmonaire est ma seule planche de salut. Tout s’enchaîne et, le 25 juin, je suis hospitalisé dans le cadre d’un bilan pré-greffe.

Votre maladie était si avancée que la greffe s’imposait rapidement ?

Non, mon état n’était pourtant pas si critique. Avec 50 % de volume expiratoire maximal par seconde (VEMS), la greffe ne constituait pas une urgence. D’autant que pour être greffé, mon indice de masse corporelle (reflet de la corpulence), devait passer en dessous de 30 kg/m2, ce qui n’était pas le cas. Je me suis alors employé à perdre du poids pendant plus d’un an. De 124 kg en janvier 2020, j’ai atteint un poids de 84,3 kg en décembre 2021.

En juin 2021, j’avais refusé d’être inscrit sur la liste nationale d’attente gérée par l’Agence de la biomédecine afin de m’occuper de ma mère qui vivait ses derniers mois. Et le 4 janvier 2022, j’ai fait officiellement partie des demandeurs d’organes. L’hôpital m’a appelé pour être greffé seulement 13 jours après, le 17 janvier 2022. Une chance incroyable. Les multiples caractéristiques physiques et biologiques entre le donneur et le receveur correspondaient parfaitement, en tous points.

Comment s’est déroulé ce 17 janvier, date de l’intervention ?

J’ai reçu l’appel à 10h du matin. Sans réfléchir, sans avoir le temps d’angoisser, je me suis préparé et à 11h30 j’étais pris en charge à l’hôpital. L’opération, la transplantation des deux poumons, a débuté à 16h30. Elle s’est déroulée sans problème particulier d’après le chirurgien. A 2h du matin le 18 janvier, j’étais en salle de réveil. Je n’ai ressenti aucune douleur, à tel point qu’à peine réveillé, j’ai d’abord pensé ne pas avoir été opéré. C’est en passant la main sur ma poitrine que j’ai senti une petite gêne. J’ai compris que j’avais deux nouveaux poumons à l’intérieur de ma cage thoracique. Lorsqu’ils m’ont enlevé le système d’intubation, deux jours plus tard, je me vois encore me forcer et m’entraîner à respirer.

Quel était alors votre état d’esprit ?

J’étais préparé pour cette aventure aux risques considérables, mais sans angoisse particulière, ni appréhension. J’étais fin prêt depuis janvier 2020. Les questions (« Est-ce que la greffe prendra ? », « De quelle personne est issu le greffon ? », « Comment vais-je vivre maintenant ? ») ont surgi ensuite, en salle de réveil, probablement sous le coup de la morphine.

Depuis longtemps, à cause de la cigarette notamment, je souffrais d’une artérite des membres inférieurs (AOMI) et le médecin m’avait laissé entendre que cela pouvait contre-indiquer la transplantation. Je le prenais avec philosophie et j’avais dit à ma compagne que nous profiterions le plus longtemps possible de la vie, moi et mes bouteilles d’oxygène. Mon père a vécu jusqu’à l’âge de 67 ans, et j’acceptais cet horizon.

Quelle est votre routine quotidienne depuis le 17 janvier ?

Soins et kinésithérapie post-opératoires ! J’ai bénéficié d’une rééducation respiratoire et d’une remise en forme globale (j’avais perdu 10 % de ma masse musculaire) pendant un mois dans un centre dédié… L’enchaînement de « la vie d’après » est, là aussi, parfait. Vélo, marche, groupes de parole, séances d’ergothérapie… J’ai repris des forces pour appréhender cette nouvelle vie.

Aujourd’hui, je m’astreins à des séances de kinésithérapie d’une heure, trois fois par semaine. Cela consiste en des massages afin d’assouplir les cicatrices, des exercices respiratoires, des étirements, un travail spécifique de chaque groupe musculaire, de l’abdomen et de la cage thoracique, du gainage, etc. Le programme de réadaptation est complet. J’ai aussi bénéficié d’un suivi psychologique par la psychologue de l’hôpital (à chaque séjour d’hospitalisation, ainsi qu’une consultation en compagnie de ma conjointe lors du bilan pré greffe).

Je pratique la bicyclette, je fais les courses, je cuisine, je participe au ménage, je jardine (tonte de la pelouse, débroussaillage, cueillette de fruits…), et je bricole même, entouré d’un maximum de précautions (ponçage équipé d’un masque avec filtre adapté aux poussières, etc.). Bien entendu, j’ai aménagé mon domicile (rideau électrifié, rampe d’escaliers à l’extérieur…), j’ai acheté un chariot pour transporter mes courses diverses et surtout les charges lourdes.

J’ai repris une vie sociale (réunions de famille, invitations à mon domicile pour des dîners que je prépare, etc.). Je refuse encore à ce stade les invitations au restaurant. Je ne fais plus la bise car je reste très prudent vis-à-vis de tout risque d’infection. Je suis très attentif à une éventuelle reprise de poids. J’ai appris à apprécier les légumes au four, et je m’accorde exceptionnellement un verre de vin. Mais cela ne m’affecte pas et, de manière générale, je vis normalement, ce qui est assez extraordinaire après une telle opération.

Les visites mensuelles à l’hôpital dans le service de pneumologie sont composées d’une exploration fonctionnelle respiratoire (EFR), de prises de sang, et éventuellement d’un test de marche. Je télétransmets à mon kinésithérapeute la mesure de mon VEMS effectué à domicile de manière hebdomadaire.

Quels sont vos message aux personnes souffrant de fibrose pulmonaire ?

Ne pas baisser les bras ! De s’obliger à se préparer correctement en vue de la transplantation (développer sa condition physique, se préparer mentalement, en parler autour de soi…) et à regarder la maladie et la greffe d’une manière la plus positive possible. Je suis conscient du fait que mon parcours est idéal. Par exemple, j’avais l’impression d’être en villégiature plutôt qu’en stage de réadaptation respiratoire lors de mon séjour post-greffe. Je suis un chanceux, car bénéficier d’une greffe est un cadeau inestimable que l’on nous fait. Il faut s’en montrer digne et observer ensuite une hygiène de vie irréprochable.

S’il est vrai que des parcours de greffe comme le mien ne représentent pas la majorité des cas, je souhaite apporter un peu d’optimisme. Dans l’attente de l’opération, cela peut aider psychologiquement de savoir que cette épreuve peut se dérouler au mieux et offrir une vie où l’on respire de nouveau normalement. »

Propos recueillis par Hélène Joubert, journaliste.