Les actus
Apnées du sommeil : une maladie respiratoire très largement sous-diagnostiquée !

La pression positive continue dans les apnées du sommeil : redonnons-lui une seconde chance !

Si vous arrêtez puis reprenez le traitement par pression positive continue pour traiter vos apnées obstructives du sommeil, vous pouvez réduire votre risque de décès toutes causes confondues de près de 40 % sur une année, selon l’étude Alaska (1). En plus de retrouver une meilleure qualité de vie, ces résultats constituent un argument supplémentaire pour être observant vis-à-vis de ce traitement, et sur le long cours (suivre attentivement les instructions du traitement prescrit par un professionnel de la santé).

La poursuite et la bonne observance de la thérapie par pression positive continue (PPC) dans le cadre des apnées du sommeil permet de réduire la mortalité (toutes causes confondues) par rapport à l’abandon de la thérapie. Ceci est parfaitement démontré. En revanche, aucune donnée solide n’existait sur les taux et l’impact de la reprise de la PPC après un premier abandon chez les patients atteints d’apnée obstructive du sommeil. C’était l’objectif de l’étude The Nationwide Claims Data Lake for Sleep Apnoea (ALASKA). Celle-ci a évalué l’impact de la reprise et le suivi pendant 12 mois de la PPC sur la mortalité toutes causes confondues. Et l’analyse se révèle très intéressante : la réduction de la mortalité s’élève à 38 % chez ceux qui ont poursuivi pendant un an la thérapie par PPC, par comparaison à ceux qui l’on arrêtée.

L’étude ALASKA était conduite par le Pr Jean-Louis Pépin et son équipe (Université Grenoble Alpes, Inserm, CHU Grenoble Alpes, HP2). Elle est fondée sur des données du système de remboursement de l’assurance maladie (Système National des Données de Santé ou SNDS) française pour les adultes âgés de 18 ans.

🔍 Précisément, sur les 103 091 individus ayant cessé leur première thérapie par PPC, 26 % l’ont reprise au cours des 12 mois suivants. 65 % d’entre eux utilisaient toujours la PPC un an plus tard. Dans la population appariée (cela signifie que la comparaison s’effectue entre individus sous PPC et ceux qui l’ont arrêtée mais possédant des caractéristiques similaires), le risque de décès toutes causes confondues était de 38 % plus faible chez les personnes qui ont continué à utiliser la PPC après la reprise de la thérapie par rapport à celles qui ont interrompu une deuxième fois la thérapie (hazard ratio : 0,62, IC à 95 % 0,48–0,79 ; p = 0,0001). Les prédicteurs de la poursuite de la PPC après sa reprise comprenaient le sexe masculin, l’hypertension et la prescription de la PPC par un médecin pneumologue. Une seule et petite étude, menée dans un seul centre hospitalier finlandais (avec un échantillon de 224 participants), s’était déjà penchée sur l’intérêt de la reprise de la thérapie PPC après un premier abandon. Elle avait révélé qu’un an après avoir été référés pour une ré-initiation de la PPC, seulement 52 % des sujets utilisaient toujours l’appareil (2). Ce chiffre est inférieur aux 65 % observés dans l’étude ALASKA.
Une seule et petite étude, menée dans un seul centre hospitalier finlandais (avec un échantillon de 224 participants), s’était déjà penchée sur l’intérêt de la reprise de la thérapie PPC après un premier abandon. Elle avait révélé qu’un an après avoir été référés pour une ré-initiation de la PPC, seulement 52 % des sujets utilisaient toujours l’appareil (2). Ce chiffre est inférieur aux 65 % observés dans l’étude ALASKA.

GRAND ENTRETIEN : « La reprise de la PPC par 169 individus après un 1er abandon permettrait d’éviter un décès après seulement 12 mois d’utilisation »

Pr Jean-Louis Pépin (Université Grenoble Alpes, Inserm, CHU Grenoble Alpes, HP2)

Quel est le chiffre clé de votre étude Alaska ?

« Environ 26% des patients reprennent un deuxième essai de PPC dans la première année après le 1er arrêt, ce qui est très significatif. Ces données sont nouvelles et n’étaient pas connues. Beaucoup de ces patients ont changé de médecins ou de prestataires, ce qui est spécifique au système français. De plus, au cours de cette reprise de la PPC, environ 65% des patients ont continué leur traitement par PPC durant la première année. Autrement dit, un quart de tous les individus qui arrêtent d’utiliser la PPC après la première initiation de la thérapie la reprennent dans l’année suivante, et près de deux tiers d’entre eux restent sous PPC un an plus tard.

Nous constatons ainsi que ceux qui arrêtent une deuxième fois ont un taux de mortalité plus élevé que ceux qui continuent, avec une surmortalité de près 40 % à 12 mois, ce qui est considérable. Je tiens à souligner que ce bénéfice en termes de survie avec la continuation de la PPC est similaire à celui rapporté chez tous les patients qui ont initié une thérapie PPC pour la première fois.

Qu’est-ce qui fait la force de vos résultats ?

The Nationwide Claims Data Lake for Sleep Apnoea (ALASKA) est une étude en vraie vie (c’est-à-dire qui se contente d’observer et de recueillir des données sur les individus d’étude dans leur environnement naturel, au contraire des études expérimentales). Cette population de personnes de 18 ans et plus présentant un syndrome des apnées obstructives du sommeil inclue dans l’étude ALASKA est très représentative et exhaustive de la population habituellement traitée par PPC, les données provenant de l’Assurance maladie française. C’est ce qui fait la force de ce travail et le rend unique.

Les résultats actuels sont cliniquement pertinents car bien que les critères de remboursement pour la PPC exigent souvent des niveaux d’utilisation continus et spécifiques de l’appareil sur des périodes définies (comme en France et selon les critères des Centers for Medicare and Medicaid Services aux États-Unis), les données actuelles suggèrent que la reprise et la continuation de la thérapie ont une valeur clinique en termes de réduction de la mortalité toutes causes confondues.

Quelles sont les causes d’arrêt de l’utilisation de la PPC pour le 1er et le second arrêts ?

Environ 47 % des patients arrêtent leur traitement par PPC après 3 ans.

  • Cette proportion est plus élevée parmi certains profils de patients, notamment les femmes, les jeunes et ceux présentant des maladies associées (comorbidités) telles que le diabète, l’hypertension, etc.
  • Ces patients ont tendance à sous-estimer l’importance des apnées et à privilégier la gestion de leur diabète à celle de leurs apnées, par exemple.
  • On retrouve les mêmes profils chez les personnes qui cessent d’utiliser leur PPC pour la seconde fois. Les prédicteurs de la continuation de la PPC après la reprise de la thérapie dans cette étude étaient similaires à ceux trouvés comme pertinents après une première initiation de PPC (un âge plus avancé et le sexe masculin).
  • L’impact des comorbidités telles que l’hypertension et le diabète sur la poursuite de la thérapie PPC était également similaire.

Vous avez également observé dans ALASKA que la spécialité du médecin prescripteur de la PPC influençait la poursuite du traitement ?

En effet, le type de prescripteur lors de la reprise de la PPC après un premier arrêt influence le résultat. Par exemple, reprendre la PPC avec un médecin généraliste plutôt qu’avec un spécialiste pneumologue entraîne plus d’échecs pour continuer à utiliser la machine.

Nous avons également constaté moins d’échecs chez les personnes bénéficiant d’une assurance santé spécifique aux agriculteurs, probablement parce que ces patients sont plus symptomatiques et plus malades lorsqu’ils reprennent le traitement. Dans cette population rurale, l’accès aux soins est plus limité et retardé, et ceux qui reprennent la PPC sont probablement très motivés.

Nous pensons aussi que les facteurs socio-économiques jouent un rôle, car ceux-ci ont été associés à l’observance de la thérapie PPC, étant plus faibles chez les ménages ayant un revenu médian plus bas et parmi les minorités ethniques. J’en veux pour preuve qu’aux États-Unis, les différences dans l’observance de la thérapie par PPC ont persisté même après l’adoption de l’Affordable Care Act*.

Comment prendre en compte le « biais du sujet en bonne santé » ou « healthy user effect » ?

Dans notre étude observationnelle, nous avons éliminé au maximum les biais méthodologiques. Pour cela, nous avons utilisé des scores de propension (pour comparer entre eux les individus les plus semblables possibles) et une prise en compte de nombreux facteurs confondants disponibles. Cependant, il est probable qu’il en existe d’autres dont nous ne disposons pas. De plus, il est vrai que le biais dénommé « healthy user effect »** peut un peu influencer nos résultats : ceux qui continuent le traitement par PPC peuvent également prendre mieux soin de leur santé en général. Ces individus pourraient donc creuser encore plus la différence du taux de mortalité entre ceux qui arrêtent et ceux qui poursuivent la PPC. Mais en dépit de ce biais, il existe une importante différence de mortalité entre la population qui continue le traitement par PPC et celle qui l’arrête. Nos données sont robustes et ont été reproduites dans le monde entier, y compris dans des études en Catalogne (Espagne) et aux États-Unis portant sur des millions de patients, et les résultats sont cohérents.

Quel est votre message aux patients à partir de vos résultats d’ALASKA ?

Le traitement par PPC peut considérablement améliorer votre qualité de vie et réduire les risques à long terme associés aux apnées du sommeil, dont celui de décès. Il est essentiel de suivre votre traitement régulièrement pour en tirer les bénéfices maximum.

En analysant les données du SNDS, nous avions précédemment constaté (3) qu’environ un quart des 365 000 participants avaient cessé la thérapie PPC au cours de la première année après son initiation (pour la première prescription), et près de la moitié avaient abandonné son utilisation dans les trois premières années. Parmi eux, seuls 6449 individus avaient des raisons valides, non liées à un problème d’observance, pour arrêter la PPC (telles que la redirection vers l’utilisation d’orthèse d’avancée mandibulaire, une chirurgie bariatrique ou des voies aériennes supérieures). Par conséquent, une proportion importante de patients qui pourraient potentiellement bénéficier de la PPC ont arrêté la thérapie alors qu’ils auraient pu continuer à en tirer profit. Ensuite, la reprise de la PPC s’est produite chez 26 % des individus l’ayant précédemment arrêtée. Bien que le taux de continuation de la thérapie PPC repris à un an soit acceptable à 65 %, le taux de 35 % d’une deuxième interruption de la thérapie est plus élevé que celui après la première utilisation de la PPC (27,7 %).

👉 Cela souligne l’importance de prendre des mesures pour assurer une bonne observance et une utilisation continue de l’appareil après les premières et les reprises de la PPC, telles que la télésurveillance et les outils dont nous disposons pour renforcer l’engagement des patients dans leur traitement (éducation thérapeutique du patient, applications numériques de coaching).

Quel est votre message aux médecins ?

↪︎ Il est crucial d’adopter une approche de prise en charge spécifique pour chaque patient. Par exemple, un homme de 70 ans présentant des symptômes liés aux apnées du sommeil sera observant de son traitement par PPC. Il nécessitera un suivi différent de celui d’une femme de 40 ans diabétique qui présentera peu de symptômes liées à ses apnées du sommeil et aura tendance à abandonner la PPC et à se focaliser sur le traitement de son diabète.  

↪︎ De plus, mon second message est que si un patient a arrêté le traitement par PPC une première fois, il est important de lui proposer un deuxième essai. Beaucoup de patients peuvent bénéficier d’une reprise du traitement, ce qui peut avoir un impact positif sur la réduction de mortalité. Les individus atteints d’apnées du sommeil qui échouent à la première thérapie avec la PPC devraient se voir offrir un deuxième essai avec l’appareil. »

* L’Affordable Care Act (ACA), également connu sous le nom d’Obamacare, est une loi adoptée aux États-Unis en 2010. Son objectif principal était de réformer le système de santé américain afin de rendre l’assurance maladie plus accessible et abordable pour un plus grand nombre de personnes.

** Le « healthy user effect », ou effet de l’utilisateur sain, fait référence à un biais potentiel dans les études observationnelles où les personnes qui choisissent de suivre des comportements sains, tels que l’exercice régulier, une alimentation équilibrée, et des visites médicales fréquentes, peuvent également être plus susceptibles de participer à des études de recherche. En conséquence, il peut sembler que ces comportements sains sont associés à de meilleurs résultats de santé alors qu’ils sont en fait influencés par d’autres facteurs non mesurés.

Le syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS) est la forme la plus courante de troubles respiratoires du sommeil, touchant près d’un milliard d’individus âgés de 30 à 69 ans dans le monde. En France, le SAHOS affecte 4 % de la population. Celui-ci se caractérise par des épisodes récurrents de collapsus pharyngé complet ou partiel pendant le sommeil (phénomène où les voies respiratoires de la gorge se referment partiellement ou complètement pendant le sommeil, ce qui entraîne des interruptions dans la respiration), entraînant une privation d’oxygène (une hypoxie) intermittente, des variations de pression au niveau du thorax et des réveils pendant le sommeil. Les symptômes incluent le ronflement, le sommeil non réparateur et la somnolence excessive en journée. De plus, le SAOS est un facteur de risque pour diverses comorbidités cardiovasculaires et métaboliques, notamment l’hypertension, la fibrillation auriculaire et le diabète de type 2.

En France, 1,8 millions de patients seraient actuellement traités par pression positive continue (PPC) pour un syndrome d’apnées du sommeil. Des visites de suivi sont obligatoires à 4 et 12 mois après le début de la thérapie par PPC, puis chaque année par la suite. Lors de ces visites, le médecin prescripteur doit remplir un formulaire spécifique pour renouveler ou arrêter la thérapie PPC. Le remboursement continu d’un appareil PPC est effectif lorsque l’utilisation de l’appareil est supérieure à 4 heures par nuit (ou lorsque l’utilisation est de 2 à 4 heures par nuit mais s’accompagne d’une éducation ou un accompagnement supplémentaire du patient).
 
Se reporter au dossier réalisé par l’Inserm sous la direction du Pr Pépin : « Syndrome d’apnées du sommeil. Une altération majeure de la qualité de vie et un risque élevé de maladies cardiométaboliques » https://www.inserm.fr/dossier/apnee-sommeil/

En savoir plus sur le syndrome des apnées du sommeil

Références :

1. Pépin J-L, Tamisier R, Benjafield AV, et al. CPAP resumption after a first termination and impact on all-cause mortality in France. Eur Respir J 2024; 63: 2301171

2. Avellan-Hietanen H, Maasilta P, Bachour A. Restarting CPAP therapy for sleep apnea after a previous failure. Respir Care 2020; 65: 1541–1546.

3. Pépin JL, Bailly S, Rinder P, et al. CPAP therapy termination rates by OSA phenotype: a French nationwide database analysis. J Clin Med 2021; 10: 936.

Propos recueillis par Hélène Joubert, journaliste

Cet article n’a pas répondu à ma question, pourquoi ?

Dans le but de vous informer au mieux dites-nous …

Merci pour votre message !