La journée mondiale de l’asthme, célébrée le premier mardi du mois de mai, revient ce 7 mai 2024 pour sa 25e édition. Cette maladie respiratoire chronique affecte plus de 4 millions de personnes en France, dont des enfants, des adolescents et de nombreuses femmes enceintes ou ayant un projet de grossesse. Les spécialistes pneumologues, notamment ceux du groupe « Femme & Poumon » de la Société de pneumologie de langue française (SPLF), dont le Pr Chantal Raherison-Semjen, alertent sur la nécessité d’un bon contrôle de la maladie chez les femmes enceintes. Il en va de leur santé et de celle de leur futur bébé.
Résumé |
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Les risques de complications pour la femme d’un asthme non contrôlé, pour le fœtus et la grossesse elle-même, sont principalement liés à un contrôle insuffisant de l’asthme et à l’apparition d’exacerbations sévères. Ces problèmes sont fréquents, en raison d’un manque de suivi du traitement médical (inobservance) ou d’une prescription inadéquate, souvent motivée par une crainte non fondée de malformation du fœtus (tératogénicité). L’objectif de la gestion de l’asthme pendant la grossesse est d’assurer un contrôle optimal de la maladie chez la mère pour réduire les complications chez elle mais également le manque d’oxygénation du fœtus (l’hypoxie fœtale). Il s’agit de prévenir les symptômes et les exacerbations de l’asthme chez la mère, de maintenir une fonction respiratoire optimale, et de gérer les facteurs aggravants et les maladies associées (comorbidités) à l’asthme. Étant donné les faibles risques, voire leur absence, associés aux principaux traitements de l’asthme pour la mère et le fœtus, continuer les traitements débutés avant la conception est fortement recommandé, principalement la corticothérapie inhalée – la pierre angulaire du traitement de l’asthme – en ajustant la posologie au strict nécessaire. Lorsqu’il est correctement géré, le traitement permet généralement de contrôler l’asthme et de réduire les risques de complications pendant la grossesse au même niveau observé dans la population générale (1-2). En parallèle, les femmes souffrant d’asthme allergique doivent prévenir l’exposition aux irritants bronchiques dont les aéro-allergènes auxquels elles sont sensibilisées : squames animales, acariens, blattes, pollens et moisissures à l’intérieur du domicile. |
Asthme & grossesse, 6 points clés en chiffres
12 % : la prévalence de l’asthme chez les femmes enceintes, ce qui en fait la maladie la plus courante chez elles (cohorte ELFE (3;4;5).
18,8 % : Une aggravation de l’asthme ne surviendrait qu’au cours de 18,8% des grossesses, en particulier dans les formes sévères de la maladie (6). En général, on estime que l’asthme se dégrade chez un tiers des femmes enceintes, s’améliore chez un autre tiers et reste stable chez le dernier tiers. Tout dépend des effets de l’augmentation de taille de l’utérus sur la respiration, ainsi que des changements hormonaux et immunitaires.
10 : c’est environ le nombre des différents risques chez la femme et le futur enfant liée à un asthme non contrôlé au cours de la grossesse. Il est ainsi associé à une augmentation du risque de diabète gestationnel, de césarienne, d’hémorragie du pré- et du post-partum, de placenta praevia (placenta se place anormalement bas dans l’utérus, avec des risques de complications), de décollement placentaire, de rupture prématurée des membranes et de fausse couche spontanée (7–8). Pour le fœtus, il est associé à une augmentation du risque de faible poids de naissance, de retard de croissance intra-utérin et de prématurité. Le risque de malformation congénitale est très faible.
51 %, c’est le pourcentage en Europe (9) de femmes enceintes et asthmatiques qui ne prennent pas de corticothérapie inhalée, car préoccupées par la sécurité des traitements. Or, l’absence ou l’insuffisance de prise de corticostéroïdes inhalés (CSI) est un facteur de risque majeur de non-contrôle des symptômes de l’asthme et d’exacerbation pendant la grossesse. Une crainte ressentie tant par les patientes que les professionnels de santé qui les suivent. Au lieu de ça, elles préfèrent les traitements de secours (bronchodilatateurs de courte durée d’action), qui ne sont pourtant pas adaptés ni recommandés pour un traitement de fond, au long cours, pour contrôler l’asthme.
1/3, c’est la part des femmes dont le traitement antiasthmatique a été revu à la baisse au 1er trimestre de leur grossesse, avec en France souvent un remplacement des associations fixes (bronchodilatateurs longue durée d’action/courte et CSI) par une simple corticothérapie inhalée (10). Le traitement de fond de l’asthme repose sur les CSI, mais une bronchodilatation de longue durée d’action est également nécessaire. Il est démontré que les avantages d’un traitement continu (de fond) de l’asthme pendant la grossesse dépassent largement les risques pour le fœtus et la mère.
0, c’est le nombre de cigarettes pendant la grossesse chez une femme asthmatique. Le tabagisme expose la femme enceinte à des risques de mauvais contrôle de son asthme et des risques pour son enfant.
Médicaments dans l’asthme, des données très rassurantes |
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Étant donné qu’il n’est pas éthique de réaliser des essais cliniques où certaines femmes enceintes prendraient des corticostéroïdes inhalés (CSI) et d’autres non dans le but de comparer les effets sur leur asthme et leur santé et celle du fœtus, les médecins s’appuient sur de vastes études de cohorte. Ces études, portant sur des centaines de milliers de femmes, ont démontré l’innocuité des corticostéroïdes inhalés pendant la grossesse. Les bronchodilatateurs béta2mimétiques de longue durée d’action (LABA) peuvent être associés aux CSI quand ceux-ci ne suffisent pas à contrôler l’asthme (mais jamais tous seuls). Les études n’ont pas rapporté de surrisque de petit poids de naissance, de prématurité, de retard de croissance intra-utérin (11), ni de malformation du fœtus (12) avec des médicaments. Pour leur part, les anti-leucotriènes (montélukast) peuvent être inclus en complément des corticostéroïdes inhalés, éventuellement associés aux béta2mimétiques de longue durée d’action, si l’asthme n’est pas suffisamment contrôlé par ces traitements initiaux. Aucun surrisque de malformation fœtale majeure n’a été observé dans les études. Quant aux biothérapies de l’asthme sévère, l’Académie européenne d’allergie et d’immunologie clinique (EAACI) propose de poursuivre l’omalizumab au cours de la grossesse (13,14), le recul lié à l’utilisation de ce médicament biologique étant rassurant. En ce qui concerne les autres biothérapies (mépolizumab, benralizumab et dupilumab), il n’y a pas de données disponibles sur leur utilisation pendant la grossesse. Leur poursuite pendant la grossesse est discutée avec des spécialistes de l’asthme sévère. Pour en savoir plus : Centre de Recherche sur les Agents Tératogènes (CRAT) |
GRAND ENTRETIEN
Pr Chantal Raherison-Semjen, Coordinatrice du groupe « Femme & Poumon » de la Société de pneumologie de langue française (SPLF), service de pneumologie CHU de Pointe-à-Pitre, (Guadeloupe).
« De nombreuses femmes enceintes sous traitement de fond de l’asthme décident de l’arrêter dès qu’elles découvrent leur grossesse. Or, au contraire, le contrôle optimal de l’asthme et l’absence de survenue d’exacerbation sévère permet de maintenir une oxygénation optimale du fœtus. »
Quel constat faites-vous vis-à-vis de la prise en charge actuelle de l’asthme chez la femme enceinte ou celle qui envisage une grossesse ?
L’asthme est fréquent chez les femmes enceintes avec une prévalence s’élevant à environ 12%. Malheureusement, sa prise en charge n’est pas toujours optimale. Une proportion non négligeable de femmes enceintes sous traitement de fond décide d’arrêter ce traitement dès qu’elles découvrent leur grossesse. Un nombre non négligeable de médecins traitants optent aussi souvent pour une désescalade du traitement, ce qui implique l’arrêt des bronchodilatateurs à longue durée d’action au profit d’une seule corticothérapie inhalée, insuffisante pour un contrôle optimal de l’asthme. Cette stratégie peut en effet entraîner une perte de contrôle de l’asthme, ce qui est associé à des complications potentielles pour la grossesse, notamment un risque accru d’hypoxémie chez le fœtus (diminution de la teneur du sang en oxygène), c’est-à-dire un manque d’oxygénation. Autre observation, lorsqu’une femme enceinte se présente aux urgences pour cause d’exacerbation de son asthme, il est courant que les médecins hésitent à administrer un traitement optimal par crainte des effets des bronchodilatateurs et des corticoïdes par voie générale. Par conséquent, les femmes enceintes sont souvent moins bien traitées dans de telles situations comparativement à celles qui ne sont pas enceintes. Alors que les exacerbations sévères d’asthme font courir un risque à la mère et son enfant, celles-ci sont insuffisamment traitées chez la femme enceinte encore aujourd’hui.
N’est-ce pas compréhensible lorsque l’on voit les pictogrammes « femmes enceintes » apposés sur les boîtes de médicaments utilisés dans l’asthme ?
Un décret datant du 14 avril 2017, modifiant l’article R. 5121-139 du Code de la santé publique, impose aux fabricants de médicaments tératogènes ou fœtotoxiques d’apposer un pictogramme sur l’emballage. Mais les règles d’apposition sont laissées à la discrétion des laboratoires, conduisant parfois à des avertissements non justifiés sur les boîtes de corticostéroïdes inhalés ou de traitements de secours (bronchodilatateurs de courte durée d’action, type Ventoline). Les sociétés médicales françaises n’ont pas été consultées à propos de cette décision, ce qui complique la prescription pour les femmes enceintes asthmatiques. La SPLF et le CRAT dénoncent les effets négatifs d’un tel décret. Ainsi, même lorsque nous expliquons à la femme enceinte toute l’importance de suivre son traitement antiasthmatique, la présence de ces pictogrammes peut parfois la décourager, par crainte des dangers, et la conduire à l’arrêt du traitement. Aucune étude n’a été menée par les autorités sanitaires pour évaluer l’impact de ces pictogrammes sur la gestion de l’asthme pendant la grossesse, probablement assez délétère.
Les femmes enceintes atteintes d’asthme devraient donc être traitées de la même manière que lorsqu’elles ne sont pas enceintes ?
Parfaitement ! Les données du Centre de Référence sur les Agents Tératogènes (CRAT) apportent des informations rassurantes. Il n’y a pas de preuve scientifico-médicale justifiant que les femmes enceintes atteintes d’asthme ne soient pas traitées de la même manière que lorsqu’elles ne sont pas enceintes. La seule différence est un suivi mensuel (pour s’assurer notamment du bon contrôle de l’asthme) plutôt que trimestriel comme c’est le cas hors grossesse, ainsi qu’un suivi échographique plus rapproché que chez les femmes enceintes non asthmatiques. Il est impératif de maintenir le traitement de fond avec pour objectif le contrôle de l’asthme, en minimisant les exacerbations et les crises. J’irai même plus loin : la gestion de l’asthme chez la femme enceinte devrait être encore plus rigoureuse qu’en dehors de la grossesse, pour sa santé respiratoire et pour son fœtus. Il n’y a pas de risque malformatif pour l’enfant à naître à utiliser des traitements de fond de l’asthme, ni des médicaments de secours. Pas plus pour les médicaments antiallergiques tels que les antihistaminiques ou les corticoïdes inhalés pour la rhinite allergique pendant la grossesse. Aucune association entre les traitements inhalés pour l’asthme et des malformations fœtales n’a été établie, et de nombreuses femmes ont été traitées avec succès sans risque pour leur enfant à naître.
Vous rassurez quant à l’innocuité de ces traitements pendant la grossesse, mais à l’inverse quelles sont les conséquences d’un asthme mal contrôlé pendant la grossesse ?
Il est bien établi que les exacerbations fréquentes peuvent augmenter le risque de complications telles que la prématurité et les fausses couches, en particulier au premier trimestre. Des études ont également montré un risque accru de césarienne et de faible poids à la naissance au troisième trimestre. Par ailleurs, plus l’asthme est sévère avant la grossesse, plus il peut être difficile à contrôler pendant la grossesse. Cependant, même chez les femmes avec un asthme de sévérité modérée ou légère, la perte de contrôle peut survenir. Il faut aussi savoir que certaines femmes peuvent développer de l’asthme pendant la grossesse, notamment celles ayant des antécédents atopiques, telles qu’une rhinite allergique non diagnostiquée précédemment. Souvent, ces symptômes respiratoires nouveaux ne sont pas immédiatement identifiés comme de l’asthme en raison des changements physiologiques normaux de la grossesse, tels que la prise de poids et l’essoufflement associé.
Les mécanismes précis de cette association ne sont pas entièrement compris, mais il est probable que les changements hormonaux et l’augmentation du risque d’infections virales pendant la grossesse puissent jouer un rôle dans l’apparition de l’asthme chez certaines femmes. Il est donc essentiel de rester attentif à ces symptômes respiratoires nouveaux ou aggravés pendant la grossesse et de les évaluer avec soin pour assurer une gestion adéquate de l’asthme chez les femmes enceintes.
Qu’en est-il de l’asthme sévère chez les femmes enceintes ?
Plus l’asthme est sévère, plus le risque d’exacerbation sévère est élevé avec une incidence de 8 % dans l’asthme léger, 47 % dans l’asthme modéré et 65 % dans l’asthme sévère (15). De manière générale, pour les personnes atteintes d’asthme sévère traitées par des biothérapies, leur prise en charge est souvent réalisée dans des centres spécialisés. Concernant l’utilisation de ces médicaments biologiques pendant la grossesse, les données disponibles sont plus abondantes pour certains médicaments comme l’omalizumab (anticorps monoclonal recombinant ciblé sur l’immunoglobuline E), qui est l’une des premières biothérapies utilisées dans le traitement de l’asthme sévère. Les profils de tolérance de cette biothérapie sont généralement rassurants, ce qui permet souvent de poursuivre le traitement pendant la grossesse, car les risques liés à l’arrêt du traitement peuvent être plus importants que les risques pour le fœtus.
Cependant, pour les biothérapies plus récentes, les données disponibles sur leur utilisation pendant la grossesse sont plus rares. Dans ces cas, la décision de poursuivre ou d’interrompre le traitement est souvent prise au cas par cas, après une discussion approfondie entre la patiente et son pneumologue, et généralement débattue dans le cadre de réunions de concertation pluridisciplinaire entre les différents spécialistes concernés. L’objectif principal dans la gestion de l’asthme chez les femmes enceintes sous biothérapie est de maintenir un bon contrôle de la maladie tout au long de la grossesse, tout en minimisant les risques pour la mère et le bébé.
Je suis enceinte, mon asthme est-il bien contrôlé ? |
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Lorsque le médecin – généraliste et/ou pneumologue – évaluent le contrôle de l’asthme d’une patiente asthmatique, l’une des difficultés est de distinguer les symptômes de non-contrôle de l’asthme de la sensation normale d’essoufflement (dyspnée) pendant la grossesse, due à l’hyperventilation induite par les taux élevés d’une hormone, la progestérone. La présence de toux, de sifflements ou de réveils nocturnes dus à des symptômes d’asthme peut aider à faire cette distinction. En ce qui concerne la fonction respiratoire, une évaluation régulière est essentielle, que ce soit par spirométrie ou par débit expiratoire de pointe. À chaque visite, la patiente est interrogée sur son suivi du traitement. L’asthme non contrôlé se caractérise par des symptômes paroxystiques et récurrents tels que la dyspnée, la toux, l’oppression thoracique et les sifflements, communément appelés « crises d’asthme », ainsi que par des exacerbations (poussées) de l’asthme (les symptômes sont alors fréquents et intenses, sans retour à un état normal entre les crises). Indépendamment de la grossesse, les exacerbations d’asthme peuvent mettre en jeu le pronostic vital de la mère. L’Asthma Control Test (ACT), est un questionnaire rapide qui permet de vérifier soi-même (et le médecin) le bon contrôle de son asthme, où un score inférieur à 20/25 indique un mauvais contrôle. Il a été validé spécifiquement dans le cas de la grossesse. |
Pour en savoir plus (document destiné aux médecins)
T. Stoup, C. Chenivesse. Prise en charge de l’asthme chez la femme enceinte. Revue des Maladies Respiratoires. Volume 38, Issue 6, June 2021, Pages 626-637
Références
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