En bref |
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Il semblerait que les patients atteints de maladies respiratoires chroniques sévères soient à risque de développer une forme sévère de COVID-19. Pour autant, il n’est pas souhaitable que le confinement très strict que s’est auto-infligé une grande partie de cette population dure plus longtemps, les précautions drastiques (masque, lavage de main, distanciation physique, voire port de la visière) étant protectrices. |
Face au SARS-CoV-2, tous les patients sont loin d’être égaux. Les maladies associées (comorbidités) jouent un rôle majeur dans les inégalités de pronostic chez les personnes infectées. Néanmoins, dans les études d’épidémiologie descriptive, et en particulier celles menées en Chine au début de la crise, certaines comorbidités exposant au risque de forme grave avaient tendance à être peu représentées : les maladies respiratoires chroniques, telles que la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) mais aussi l’asthme – à la différence du diabète, de l’obésité et de la maladie cardiovasculaire.
Peut-on s’y fier ? Le Pr Chantal Raherison-Semjen, pneumologue, responsable de l’unité de pneumologie ambulatoire du CHU de Bordeaux et présidente de la Société de pneumologie de langue française (SPLF) se veut rassurante, mais reste très prudente.
A-t-on progressé dans l’appréciation du risque lié à l’infection Covid-19 propre aux malades respiratoires ?
Pr Chantal Raherison-Semjen : A la lecture des publications chinoises, on se rend compte que les patients souffrant d’une maladie respiratoire sont malgré tout considérés comme une population à risque, et en particulier les fumeurs et les patients BPCO ; l’asthme ne ressort pas comme facteur de risque. Pour les autres maladies respiratoires, on reste dans le flou puisque dans ces études la prévalence des maladies respiratoires est sous-estimée. Impossible donc de trancher à ce stade entre deux hypothèses : soit peu de patients ayant une maladie respiratoires ont réellement été touchés par le Covid-19, soit les maladies respiratoires n’ont pas été recueillies de manière systématique car dans un contexte d’urgence, ce qui est très probablement la réalité.
En dépit de ces incertitudes, les premières études montraient de manière significative que le fait de souffrir d’une maladie respiratoire était associé à un moins bon pronostic et à des formes plus sévères de Covid-19.
L’ensemble de ces observations, où le terme de « maladies chroniques respiratoires » était souvent un fourre-tout, ont donné l’impression d’une controverse. Effectivement, depuis le début de l’épidémie en France, l’impression des confrères médecins est qu’ils n’ont pas vu tant de malades respiratoires que cela parmi les formes graves de Covid-19. Il a même été publié que les maladies respiratoires chroniques protègeraient du Covid-19 selon des mécanismes immunitaires qui leur sont propres. Mais restons extrêmement prudent vis-à-vis du discours pernicieux à propos des patients respiratoires qui ne seraient pas particulièrement à risque. Soyons clairs, à cette date de début mai, il n’existe pas de données chiffrées suffisamment fiables sur la réalité d’un surrisque que fait courir une maladie chronique respiratoire vis-à-vis du virus SARS-CoV-2, d’autant que ces personnes insuffisantes respiratoires se confinent déjà plus que la population générale en période de circulation des virus hivernaux et que, dès les premiers jours de mars 2020, bon nombre d’entre elles se sont très rapidement et volontairement isolées, au delà même de ce qui était préconisé.
On a aussi lu beaucoup d’articles scientifiques sur l’effet protecteur des traitements de fond, notamment les corticoïdes inhalés. Qu’en pensez-vous ?
Là aussi, ce ne sont que des hypothèses à l’heure actuelle. Attention à ne pas véhiculer de faux espoirs. Il faut rester prudent, considérer de façon non excessive que l’insuffisant respiratoire sévère est une personne à risque, car elle cumule souvent des facteurs de vulnérabilité (âge de plus de 65 ans) et d’autres comorbidités (surpoids/obésité, diabète, maladies cardiovasculaires et rénales…). De plus, pour interpréter les données, nous devrons distinguer le risque chez les patients insuffisants respiratoires bien équilibrés, sous traitement de fond, et celui chez les personnes dont la pathologie est méconnue, qui ne sont pas suivies médicalement ou qui sont en phase d’exacerbation.
En avril, la Haute autorité de santé (HAS) estimait que pour diminuer le risque de contamination, les patients ayant une maladie respiratoire chronique sévère et leurs aidants devaient utiliser les mesures barrière avec une attention toute particulière, et que le confinement devait être drastique* . Quelles sont vos recommandations pour cette population spécifique en vue du déconfinement ?
La majorité des insuffisants respiratoires a déjà adopté à l’extrême les mesures de confinement. Encore plus que le reste de la population, ils doivent veiller aux gestes barrière (lavage de main), à la distanciation physique et au port du masque (chirurgical idéalement ou grand public) pour une période encore un peu plus longue. Dans la mesure où ils peuvent tolérer ce masque, bien entendu. Au nom de la Société de pneumologie de langue française (SPLF), nous avions écrit à la Direction générale de la santé au tout début de l’épidémie pour réclamer des masques à disposition des insuffisants respiratoires. Il nous semble en effet essentiel que nous puissions prescrire des masques à nos patients fragiles, faute de quoi ils subiront la double peine : rester isolés chez eux pour ne pas courir un risque supérieur à la population générale, ainsi qu’être limités dans l’accès aux soins indispensables à tout malade chronique respiratoire (suivi, réadaptation respiratoires, kinésithérapie, etc.).
S’équiper d’une visière anti-projections, en plus du masque, peut être intéressant, même si on dispose de peu de recul sur les visières. Autant les masques ont été testés du point de vue de la sécurité et du degré de protection avec l’établissement de normes précises, autant les visières répondent plus à une précaution pragmatique et font appel au bon sens, en tant que rempart contre les projections tout en maintenant une distance avec les interlocuteurs. Attention car elles peuvent donner une impression de protection faussement rassurante. Pour la personne insuffisante respiratoire qui ne supporte pas le masque, la distanciation physique associée à la visière est déjà mieux que rien.
Les insuffisants respiratoires peuvent-ils recommencer à sortir ?
Ils doivent être vigilants, mais cela ne doit pas les empêcher de reprendre une activité physique régulière car mon impression est que beaucoup d’entre eux ont eu très peur de sortir de chez eux pour marcher ne serait-ce que trente minutes, et se retrouvent ainsi avec une situation respiratoire dégradée. La distanciation doit être physique, mais pas sociale : on sait que les personnes insuffisantes respiratoires, a fortiori lorsque leur état est sévère, sont plus que les autres isolées et sujettes à un état anxiodépressif. Rien ne les empêche de sortir de chez elles, au sein d’une zone qui n’est pas à haute densité de population, de pouvoir marcher et récupérer une autonomie. Le lien social est important.
A noter, selon la HAS* il n’existe pas de particularité clinique pour la COVID-19 chez ces malades mais l’aggravation de l’état respiratoire en particulier de la dyspnée et/ou de la toux dans un contexte fébrile doit faire suspecter un COVID-19.
Hélène Joubert, journaliste
* Réponses rapides dans le cadre du COVID-19 – Prise en charge ambulatoire des patients atteints de maladies respiratoires chroniques sévères (9 avril 2020) par la Haute autorité de santé, la Fédération française de pneumologie et la Société de pneumologie de langue française