Interview du Pr Marie Pia d’Ortho, pneumologue et somnologue, cheffe du service de physiologie-explorations fonctionnelles (Hôpital Bichat) et responsable scientifique du Digital Medical Hub.
Objets connectés en santé : technologie validée ou gadgets à éviter ?
« Aujourd’hui, l’innovation passe notamment par l’utilisation de dispositifs connectés qui permettent de collecter des données de santé mais aussi de comportement, etc. afin de suivre les patients. Ces innovations sont porteuses de grands espoirs et d’enjeux très importants.
Comment les dispositifs connectés permettront-ils le « virage ambulatoire » dans la maladie chronique ?
Ils permettent de déporter la surveillance du patient à son domicile, ou dans des structures allégées par rapport aux structures hospitalières. On en attend aussi la collecte de données massives et multimodales. J’entends par là, à la fois des données cliniques mais également de comportement et de déplacement (par exemple, un insuffisant respiratoire qui va moins bien va moins se déplacer). Des données qu’on ne s’attend pas a priori à utiliser peuvent s’avérer utiles. Une fois que l’on collige et que l’on croise les différentes données, on peut – on espère – grâce à des approches algorithmiques, obtenir des caractérisations très précises des patients.
En quoi consiste la démarche d’évaluation holistique des dispositifs connectés ?
L’évaluation est obligatoirement multidisciplinaire car il s’agit d’aborder des enjeux de cybersécurité, de pertinence d’algorithmes, de pertinence clinique, d’enjeux psychiques, de conséquences sociétales et sociales. Il faut donc mettre autour de la table des informaticiens, des mathématiciens spécialisés dans l’algorithmie, des médecins, des patients qui sont des utilisateurs au même titre que les soignants, des sociologues, des économistes de la santé. Cela suppose des structures qui savent construire cette évaluation particulière.
Le temps requis pour évaluer la fiabilité des objets connectés est-il compatible avec les enjeux économiques des industriels ?
Le terme d’”évaluation” fait souvent frémir les industriels car ils ont le sentiment que les constantes de temps nécessaires à l’évaluation ne sont pas compatibles avec une politique industrielle. Mais dès lors que l’on parle de santé, cet aspect est incontournable.
Quelle est l’ambition du Digital medical hub de l’AP-HP dont vous êtes la responsable scientifique ?
Le Digital medical hub est une structure qui a été mise en place au sein des Hôpitaux de Paris – Assistance Publique mais plus spécialement au sein de l’hôpital Bichat, avec le soutien de l’entièreté de l’institution.
Son objectif est de proposer une évaluation multidisciplinaire destinée à ces technologies particulières. Et donc nous collaborons avec l’Agence nationale de sécurité des système informatiques, des sociologues, des psychanalystes, des cliniciens, des économistes de la santé et des patients.
Notre force et notre originalité sont doubles avec, d’une part, le fait que nous soyons l’une des rares structures à mettre autour de la table l’ensemble des disciplines connectées et, d’autre part, d’être porté par une institution académique (AP-HP et Université de Paris) permettant une indépendance vis-à-vis de l’industrie, assez forte, du moins nécessaire. Nous disposons de l’AP-AH comme “terrain de jeu” : pour le coup, quel que soit le champ de la pathologie ou de la discipline concernée, on peut y déployer la solution technologique pour l’évaluer. »