Témoignages

« Les moisissures de mon logement ont fait basculer ma vie. »

Marine Leblond, 27 ans (Val de Marne), souffre d’une pneumopathie d’hypersensibilité environnementale et greffée pulmonaire

La qualité de l’air intérieur ne relève pas seulement du bien-être. C’est un élément essentiel à la bonne santé respiratoire. L’histoire édifiante de Marine en est une preuve, qui va marquer ceux qui la liront. Celle-ci est exceptionnelle, tant par les conséquences dramatiques d’une exposition à un air intérieur malsain sur ses poumons que par sa capacité à se battre contre l’adversité. Elle nous raconte.

« Tout a débuté pour moi en janvier 2020. J’ai éprouvé des difficultés à respirer, de l’essoufflement, de la toux, mes ongles et lèvres sont devenus bleus. En septembre 2020, une tentative de traitement avec de la cortisone a été faite, car l’on supposait alors que je souffrais d’une sarcoïdose (caractérisée par la formation de granulomes, des amas de cellules inflammatoires dans divers organes du corps, dont les poumons). Comme aucune amélioration n’était constatée, une biopsie pulmonaire a été réalisée, révélant une pneumopathie d’hypersensibilité environnementale. Le pneumologue qui me suivait m’a recommandé d’inspecter mon domicile à la recherche de moisissures. J’ai découvert avec stupéfaction que derrière la tête du lit, le mur en était couvert. Et en effet, à l’extérieur, une grande fissure bardait le mur de ma chambre, par où pénétrait l’eau de pluie et l’humidité. De plus, l’isolation thermique de l’appartement que je louais était médiocre. Les moisissures étaient par conséquent responsables de la destruction de mes poumons.

Ce type de pneumopathie liée à l’environnement survient généralement chez ceux qui ont des oiseaux à domicile, travaillent dans un élevage, ou sont exposés à la pollution intérieure, notamment les moisissures.

Un traitement plus lourd, à la fois par voies orale et veineuse m’a été prescrit. Malheureusement, la fibrose était déjà présente. Je ne répondais à aucun traitement, et la situation évoluait rapidement. Mon pneumologue m’a informée que c’était une question de vie ou de mort. Je devais quitter immédiatement ce logement. Nous avons jeté les meubles de la chambre contaminée, et je n’y suis jamais retournée. Mais après avoir été hébergée un temps chez des amis et ma famille, je n’ai eu d’autre choix que de retourner chez moi, et dormir cette fois-ci sur le canapé du salon. Il me fallait patienter pour emménager dans un appartement en construction que nous avions acheté avec mon compagnon.  

Par la suite, mon état de santé a continué de se dégrader, presque d’une semaine à l’autre. Aucune mesure ne parvenait à ralentir la maladie. La greffe est souvent la seule issue, mais elle n’offre pas toujours une garantie de succès. Au début de l’année 2022, je rencontrais l’équipe de greffe pulmonaire. J’ai rapidement été placée sous oxygénothérapie lors de la déambulation puis 24 heures sur 24 et enfin, hospitalisée à partir de mars. Lors d’un bref retour chez moi, pour trouver un peu de réconfort auprès de mon compagnon et de ma mère, j’ai fait une détresse respiratoire aiguë chez moi. Classée en « super urgence » sur la liste des personnes en attente de greffe, j’ai vécu chaque jour entre formidable espoir, peur de ne pas recevoir de greffon (je suis de petite taille, donc les greffons étaient attribués à d’autres personnes) et déception profonde. Une semaine a passé, puis une seconde. On m’a accordé une troisième semaine, car je me battais tellement qu’on ne pouvait pas me laisser ainsi. Cependant, à la fin de la troisième semaine, le 14 mai, comme aucun greffon ne me correspondait, on a informé mon compagnon qu’il me restait 48 heures à vivre.

Miraculeusement, le 16 mai, au tout dernier moment, on m’a annoncé qu’il y avait un greffon pour moi.  

Je devais tout réapprendre, et j’ai beaucoup de séquelles. J’ai développé des neuropathies au niveau des jambes et des pieds, j’ai perdu la sensibilité au niveau de trois doigts de la main droite, et en attendant la greffe, mes organes ont souffert d’un manque d’oxygène, ce qui a entraîné des problèmes au foie et aux reins. Les médecins m’ont informée que vivre toute ma vie avec mes organes actuels ne serait probablement pas possible, et qu’une transplantation de ces deux organes serait nécessaire à un moment donné. Je suis restée sans voix face à cette perspective. Je suis greffée depuis le 16 mai 2022, soit un an et demi. Ma vie est une alternance de séances de kinésithérapie et de consultations avec un néphrologue, un hépatologue, un pneumologue. Je bénéficie également d’un suivi psychologique.

Je suis actuellement en procès contre le bailleur pour mise en danger de la vie d’autrui. Je partage mon expérience autant que possible pour sensibiliser aux dangers des moisissures et de l’importance de la qualité de l’air intérieur sur la santé. Pour souligner aussi le manque crucial de donneurs d’organes. Signalez-votre position sur le don d’organe à votre famille. Discutez-en ouvertement ! Je souhaite que mon histoire puisse servir à d’autres personnes. C’est devenu le but de ma vie, échanger et sensibiliser sur ces thèmes.

L’expertise médicale dans le cadre de mon procès a confirmé le lien de causalité entre ma pathologie pulmonaire et les moisissures. Cependant, tous les organismes ne réagissent pas de la même manière, et certaines personnes peuvent développer de l’asthme, tandis que d’autres, comme moi, certainement avec un terrain plus fragile, peuvent contracter une maladie grave.  

La greffe en elle-même a été complexe et longue. Au total, j’ai été opérée trois fois. Les médecins transplanteurs ont dû adapter les derniers poumons disponibles à ma morphologie, d’où des limitations permanentes au niveau du souffle et de la fatigue générale. Courir est impossible, marcher reste compliqué. Malgré cela, je me sens mieux par rapport à ce que j’ai connu. Cependant, il reste des complications, notamment des douleurs neuropathiques dont j’ai déjà parlé, et la greffe n’assure pas une guérison totale. Il y a toujours la crainte d’une éventuelle complication, ce qui demande une vigilance constante. Malgré ces défis, c’est une nouvelle vie, une nouvelle chance, et je cherche à relativiser en sachant que j’ai surmonté des moments difficiles. Car avant la greffe, la vie quotidienne était extrêmement difficile, mes mouvements, mes déplacements, et la simple réalisation des activités quotidiennes représentaient un défi. Aller aux toilettes, se laver les cheveux, nouer ses lacets, sont des épreuves insupportables pour quelqu’un en manque d’oxygène. Depuis la greffe, je me porte mieux, mais le chemin vers la guérison complète est encore long.

La maladie a rebattu les cartes de ma vie à l’âge de 23 ans. J’étais une jeune fille pleine d’énergie, de projets, de rêves, dont celui d’emménager avec mon compagnon et d’avoir un enfant. Nous avions prévu de nous marier après ma sortie de l’hôpital. Il m’a effectivement demandée en mariage, mais deux mois plus tard, il m’a quittée. Je suppose qu’il n’avait pas la même maturité pour affronter ces périodes difficiles. Il a décidé de reprendre une vie de jeune adulte, ce que je comprends. Mais pour moi, tout s’est écroulé. J’ai perdu mon compagnon après huit ans ensemble, mais également mon travail, et même l’appartement que nous avions acheté ensemble. Je dois d’ailleurs quitter ce logement sans savoir où je vais atterrir, le temps que l’on m’attribue un logement social. J’attends avec impatience que les choses se calment et que le procès arrive à sa conclusion.

Mes revenus sont faibles, et en tant que personne percevant l’allocation adulte handicapé, je ne suis pas prioritaire sur certains programmes d’hébergement. La mairie de Rungis semble prendre ma situation au sérieux, mais je ne sais pas encore si j’aurai accès à un logement.

J’essaie de me battre, notamment pour le procès, mais cela devient de plus en plus difficile. Cependant, la conscience d’avoir été greffée me donne la force de persévérer. Les organes d’une personne décédée vivent en moi, et cela crée un sentiment de responsabilité envers cette vie donnée. Je vis non seulement pour moi-même, mais aussi pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’être greffés à ma place. Les moments sombres existent, mais la gratitude envers cette opportunité m’aide à rester forte. Le soutien constant de ma mère et de mes frères joue également un rôle crucial dans ma résilience. »

Propos recueillis par Hélène Joubert.