Les actus

Les dessous de l’augmentation du prix du tabac

Le paquet de cigarettes à 10 euros en 2020, une utopie ? En tous cas, un bras de fer entre le gouvernement et l’industrie du tabac. Catherine Hill, épidémiologiste biostatisticienne* décrypte un phénomène beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.

Taxation et prix du tabac : le gouvernement fixe les taxes mais pas les prix.

Catherine Hill : « Deux taxes sont entre les mains du gouvernement pour augmenter le prix du tabac : la TVA (16,67% du prix de vente au détail) et une taxe à la consommation propre à certains produits (tabac et alcool notamment) appelée accise. Pour compliquer l’affaire, cette dernière se répartit en une partie fixe (1,198 € pour un paquet de 20 cigarettes) et une autre qui est proportionnelle au prix (50,8%). En résumé, en France continentale, les cigarettes sont taxées à 67,5% du prix de vente (accise proportionnelle + TVA) auxquels s’ajoute une accise fixe de 1,198€ pour 20 cigarettes.

Par ailleurs, il existe un montant minimum pour l’accise, aujourd’hui celle-ci est de 5,22€ pour 20 cigarettes. Ainsi, les cigarettes coûtant moins de 7,92€ les 20 sont taxées 5,22€ + TVA, ce qui les surtaxe**.

Pour parvenir au prix minimum de 10 euros le paquet de 20 cigarettes, le gouvernement actuel augmente peu à peu à la fois la partie fixe et la partie proportionnelle de l’accise. Le minimum de taxation est aussi augmenté.

Il faut souligner l’incongruité de la « non-politique » pratiquée entre 2004 et novembre 2017 : lorsque l’on augmentait l’accise fixe, on baissait dans le même temps l’accise proportionnelle ! Cela revenait donc à taxer plus les cigarettes les moins chères et moins les plus chères. Un effet neutre pour le gouvernement et un bénéfice accru pour les fabricants qui vendent surtout des cigarettes plus chères.

Augmenter le prix du tabac produit un effet sur les ventes.

Catherine Hill : Depuis 1950, une augmentation de prix de 20% fait baisser les ventes en moyenne de 10%. Les économistes parlent d’« élasticité de la demande par rapport au prix ». C’est le rapport entre la variation des ventes et celle des prix. Elle était en France de -0,47 entre 1950-2005 et de -0,41 entre 2005 et 2015. Cet ordre de grandeur est retrouvé partout dans le monde développé. Pourtant, le gouvernement estime qu’elle sera de -0,75 avec l’augmentation du prix à 10 € ! Une vision totalement irréaliste à mon sens, surestimant l’impact de l’augmentation du prix du tabac. Ce chiffre n’a été atteint dans aucun pays.

Les industriels du tabac ne répercutent pas forcément les augmentations du prix du tabac

Catherine Hill : La liste des prix des produits du tabac paraît désormais au Journal officiel tous les deux mois au lieu de deux fois par an auparavant, ce qui permet aux industriels d’ajuster leur prix très fréquemment. Rien ne garantit que l’industrie du tabac répercute entièrement l’augmentation des taxes sur les prix. C’est ainsi que les augmentations de mars, mai et juillet 2018 ont été moindres que prévu. Au premier juillet 2018, le prix moyen de 20 cigarettes est de 7,91€, au lieu des 8,10 € espérés, et plus de la moitié des paquets de cigarettes sont soumis au minimum de taxation (voir plus haut), donc surtaxés, illustrant le fait que les industriels sont tout à fait capables de vendre des cigarettes à des prix assez bas. Au final, l’augmentation a été 20% plus basse que prévu par le gouvernement : au lieu de passer de 7,1€ à 8,1€, le prix est passé de 7,1€ à environ 7,9€. Les cigarettiers font de la résistance.

Difficile dans ces conditions d’espérer en 2020 atteindre les 10 €, mais plutôt 9,42 €.

Il y a donc urgence à utiliser le seul outil fiscal qui reste disponible en relevant le minimum de taxation (ce qui peut se faire par la publication d’un simple arrêté ministériel). Cela permettrait de maintenir un prix élevé, car les cigarettiers ne peuvent pas rogner indéfiniment sur leurs marges.

Le gouvernement vise une augmentation de 50 centimes en avril et novembre 2019, de 50 centimes en avril 2020 et de 40 centimes en novembre 2020.

Les buralistes et l’Etat ont tout à gagner de l’augmentation du prix du tabac.

Catherine Hill : Les grands gagnants du prix du tabac seront les fumeurs qui décideront d’arrêter mais aussi l’Etat via les recettes fiscales et les buralistes.

Quand on observe à la fois une augmentation du prix du tabac et une baisse des ventes, les revenus de l’État augmentent malgré tout. Ceci est la conséquence de l’élasticité de la demande sur le prix. Supposons que le prix augmente de 10% et que les ventes baissent de 5%, alors quand il se vendait 100 paquets de cigarettes pour 700€ par exemple il s’en vendra 95 pour 731,5€ (95×7,7) ; les revenus de l’État ainsi que ceux des buralistes augmenteront donc de 4,5% (31,5/700).

Dans le détail, un paquet de 20 cigarettes à 7,50 € rapporte 6,47 € à l’État (dont 5,22 € d’accise), 0,72€ au buraliste et 0,31 € au fabricant. Le même à 8 € rapporte 6,60 € à l’État (dont 5,26 € d’accise), 0,77 € au buraliste et 0,63 € au fabricant.

Cigarillos, cigares ou tabac à mâcher, tous ne subissent pas la même hausse des prix.

Catherine Hill : Les tabacs à priser (réduits en poudre et qui s’inhalent) et à mâcher – dont la consommation reste marginale – ne sont soumis qu’à un droit d’accise proportionnel, qui va lui aussi augmenter jusqu’en 2020. Pour sa part, la taxation des cigares a été augmentée mais nettement moins que prévu en mars 2018, probablement sous l’effet d’un lobbying assez actif.

Alors que le paquet de 20 cigarettes et un paquet de tabac à rouler contiennent le même poids de tabac (16 grammes environ), le premier coûte au minimum 7,50 €, celui du tabac à rouler 5,12 €. Une différence d’un tiers pouvant expliquer le report, notamment des plus jeunes, vers le tabac à rouler.

Le volume des achats transfrontaliers ou en contrebande stagne.

Catherine Hill : Ces achats semblent à peu près constants depuis 2004 et aucune donnée n’était disponible avant cette date. Nous avons supposé que, depuis 2004, 21% des cigarettes et 30% du tabac à rouler étaient achetés en dehors du réseau des buralistes. Les achats transfrontaliers représentent les trois-quarts des achats en dehors du réseau ; un quart pour la contrebande environ.

Il faut savoir que la « contrefaçon » des cigarettes n’existe probablement pas. C’est une fiction entretenue par les industriels. La contrebande consiste à livrer dans un pays où les taxes sont faibles beaucoup plus de produits du tabac que ce que le pays consomme, en sachant pertinemment que ces produits vont être exportés clandestinement dans un pays où les taxes sont bien plus élevées. Elle est largement organisée par les fabricants de tabac eux-mêmes. Il existe aussi des produits fabriqués uniquement pour le marché parallèle, on parle de cigarettes « blanches illicites ».

L’exception Corse en matière de taxation perdure.

Catherine Hill : De tous temps, le tabac a été moins taxé en Corse. Le prix de vente en Corse est, pour les cigarettes, au moins égal à 75% des prix pratiqués sur le continent.

Cette exception est décrite sur le site de la Communauté européenne comme devant être supprimée en 2015 et le rapport Véran (en 2015) annonce « une convergence des prix entre la Corse et le continent, qui devra être achevée à partir de 2021 ». Il n’est pourtant prévu aucune convergence avant 2020 puisque les augmentations en Corse seront identiques à celles sur le continent. A savoir, les taxes du tabac récoltées en Corse restent sur l’île et ne sont pas attribuées à la Sécurité sociale comme c’est le cas sur le continent ».

 

Hélène Joubert, d’après un entretien avec Catherine Hill.

* Catherine Hill et Clémence Legoupil. Taxation et prix du tabac en France et conséquences sur la consommation. BEH n°14-15, 29 mai 2018.

** Un paquet à 7,92 € est taxé (hors TVA) : 50,8% X 7,92 +1,198 selon la formule générale et ce montant est égal à 5,22€. Pour un paquet à 7,50€, la formule générale donne 5,01€ donc on n’applique pas la formule générale mais le minimum de 5,22€.

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