Du 19 au 24 juin 2023, c’est la semaine mondiale de l’allergie. Les allergies étant de plus en plus présentes dans notre quotidien, on pourrait être tenté de se tester soi-même, en cas de symptômes ou par simple curiosité. Une bonne idée ? Le Dr Céline Palussière nous éclaire sur ces autotests d’allergie en vente libre, dans les pharmacies et sur Internet. Céline Palussière est allergologue et membre du groupe « Biologie de l’allergie » de la Société française d’allergologie (SFA)*.
Que sont les autotests dans le domaine des allergies ?
Les autotests sont des dispositifs médicaux destinés à un autodiagnostic réalisé par le public dans un environnement domestique. Le règlement (UE) 2017/746 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 [1] précise les exigences spécifiques à leur mise sur le marché, en termes de conception, de performances, d’instructions d’utilisation et de vente en pharmacie d’officine.
Ils se distinguent des TROD (tests rapides d’orientation diagnostique), qui sont des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro destinés à être utilisés par des professionnels de santé ou par du personnel formé (TROD angine, par exemple).
La vente des autotests relève en principe en France du monopole pharmaceutique (Code de la Santé Publique (Article L4211-1)) [2]. Ils sont délivrés sans prescription médicale.
Les premiers autotests concernaient le dépistage du VIH, dès 2014. Ils ont rencontré un succès commercial malgré les réserves émises par certains biologistes concernant la conservation des dispositifs, la traçabilité, la déclaration obligatoire de la pathologie et l’accompagnement des patients au moment du diagnostic.
Concernant les autotests de l’allergie, l’argumentaire commercial repose sur le besoin des personnes de connaître rapidement leur statut allergique, sans avoir à attendre une consultation spécialisée en allergologie. Une promesse non tenue.
Quels sont les autotests disponibles et quel résultat prétendent-ils délivrer ?
Retirés du marché en 2021, les autotests “historiques” recherchaient un taux anormalement élevé d’anticorps immunoglobulines E (IgE) totales dans une gouttelette de sang. Les IgE sont des anticorps qui peuvent être impliqués dans les allergies, mais aussi la lutte contre les parasites. Depuis 2003, le dosage des IgE totales n’était déjà plus recommandé pour le dépistage des allergies, tel que le Journal officiel du 28/11/03 le précisait.
Actuellement, il est possible de trouver dans les pharmacies d’officine des autotests permettant de dépister dans le sang la présence d’anticorps spécifiques aux acariens. Il ne s’agit plus des IgE totales, mais des IgE dirigées contre les acariens, qui ne sont normalement pas présentes en l’absence d’allergie.
Il existe aussi des autotests qui cherchent un panel d’allergènes différents (chat, acariens, moisissures, pollens), mais on ne les trouve pas en France actuellement.
Dans le domaine de l’allergie alimentaire, des autotests pour le dépistage de la maladie cœliaque – une intolérance au gluten de type immunitaire – sont commercialisés. Toutefois, la personne malade cœliaque ne peut ni s’auto-diagnostiquer, ni se soigner seule. Des examens médicaux complémentaires sont à réaliser, assortis d’une prise en charge spécifique. Il ne faut pas débuter l’éviction du gluten dans son alimentation sans avis médical, au risque de fausser les examens ultérieurs et de provoquer des carences nutritionnelles.
Sur Internet, des autotests divers et variés pour une multitude d’allergènes sont disponibles, mais sans aucune garantie de fiabilité.
Pourquoi le dosage des IgE totales ou spécifiques à un allergène ne permet-il pas de dépister l’allergie ?
Le dosage des IgE totales n’a pas d’intérêt médical prouvé dans le cadre d’un dépistage d’une allergie. Si environ 20 % des personnes allergiques ont en effet un taux d’IgE totales normal, près de 20 % des personnes ayant un taux d’IgE totales élevé ne souffrent pas d’allergie !
Par ailleurs, en allergologie, il est essentiel de distinguer la sensibilisation de l’allergie elle-même. Une sensibilisation correspond à la présence d’IgE vis-à-vis d’un allergène (on parle alors d’IgE spécifiques et non plus d’IgE totaux). Mais une sensibilisation ne s’accompagne pas obligatoirement de symptômes cliniques. En d’autres termes, une allergie correspond à une sensibilisation accompagnée de symptômes allergiques.
Il faut toujours interpréter les tests/autotests en fonction des signes cliniques présentés par le patient.
Concernant les autotests disponibles aujourd’hui qui dosent les IgE spécifiques aux acariens : présentent-ils un intérêt, et qu’en est-il de leur fiabilité ?
Il s’agit en particulier d’un test qualitatif de présence d’IgE spécifiques vis-à-vis des acariens mis en évidence par immunochromatographie.
Un article récent précise que l’autotest commercialisé cible deux acariens parmi les plus souvent rencontrés (Dermatophagoides pteronyssinus et Dermatophagoides farinae) [3]. Ce test vise ainsi la mise en évidence d’une sensibilisation unique vis-à-vis des acariens, dont la pertinence clinique doit être évaluée médicalement.
Le laboratoire allègue de bonnes performances statistiques par comparaison avec le dosage ImmunoCAP IgE® de Thermofisher, sur un échantillon de 54 sujets [4]. L’étude récemment publiée analyse aussi les performances sur un groupe de 40 enfants allergiques aux acariens. Il faut noter que le laboratoire propose également un spray anti-acariens à base d’huiles essentielles et de phéromones, lequel n’affiche aucune efficacité prouvée…
Concernant les autotests d’allergie, il n’existe pas de critère d’évaluation imposé (en France et en Europe), pas de norme à appliquer, pas de performance minimale à atteindre.
Quant à leur fiabilité précisément, y compris pour ceux vendus en pharmacie, elle repose sur de faibles panels de patients. Alors, un autotest pour dépister une sensibilisation aux acariens, parce que l’on souhaite appliquer des mesures d’éviction sans attendre ? Pourquoi pas, mais il faut bien savoir que ces autotests ne permettent pas de poser un diagnostic clinique, ni ne permettent une évaluation globale du patient et de la réalité de son allergie. Un avis médical reste absolument indispensable.
La commercialisation des autotests dans l’allergie répond à une demande croissante de rapidité dans le domaine de la santé, et d’autonomie des patients dans leur prise en charge. On ne va pas forcément chercher un conseil médical avisé mais on cherchera de plus en plus souvent à se soigner tout seul… L’autotest peut toutefois présenter un intérêt si l’on a un doute devant des symptômes évocateurs, et pourrait conduire les patients à instaurer quelques mesures préventives simples (par exemple, pour un enfant présentant des salves d’éternuements, une obstruction nasale persistante, un autotest positif peut motiver la famille pour davantage lutter contre la poussière, aérer la maison, éviter l’accumulation de peluches dans le lit de l’enfant…). Un avis médical/allergologique reste toutefois primordial, afin de rechercher d’autres allergies, d’éventuelles complications telles que l’asthme. L’objectif est bien de recevoir et de suivre un traitement médical à l’efficacité démontrée…
Quelle est la réglementation qui régit la vente des autotests ?
Les autotests répondent à la loi du Parlement européen et du Conseil sur les dispositifs médicaux. La réglementation était très floue jusqu’en 2017, avec des auto-certifications possibles par les laboratoires. Évolution rassurante de la législation, une nouvelle réglementation française est effective depuis 2022 pour les dispositifs de diagnostic in vitro [2] : l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) contrôle désormais la conformité avec la réglementation**.
Précisons que ces autotests ne sont pas remboursés par l’Assurance-maladie.
Que valent les autotests d’allergie vendus sur Internet ?
L’offre sur Internet concerne essentiellement des tests réalisés à distance, après envoi d’un échantillon de sang à un laboratoire ; ce ne sont donc pas à proprement parler des autotests.
On trouve sur des sites de vente en ligne différents kits proposés alléguant le diagnostic des « allergies ou intolérances » alimentaires, des kits respiratoires ciblés sur les pollens, les phanères d’animaux ou les acariens. Certains tests recherchent la présence d’IgE spécifiques vis-à-vis d’un panel étendu d’allergènes très divers, mais aussi la présence d’IgG4 (immunoglobulines G4) vis-à-vis d’aliments, permettant de diagnostiquer de prétendues intolérances alimentaires. On trouve également un test permettant le diagnostic « d’allergie ou d’intolérance à l’histamine » par dosage de la diamine oxydase. Bien entendu, rien n’est scientifiquement fondé.
En pratique, le prélèvement est réalisé à domicile, une goutte de sang est déposée sur une carte à renvoyer au laboratoire. Les résultats sont ensuite communiqués par mail aux clients en quelques jours. Les techniques d’analyses et les performances diagnostiques ne sont pas précisées, et l’évaluation impartie aux dispositifs médicaux n’est pas réalisée. Les prix varient de 50 à 150 € environ. Pour information, l’un de ces laboratoires propose également des compléments alimentaires censés répondre aux besoins mis en évidence par les tests réalisés. Sans commentaire…
Les autotests d’allergie vendus sur Internet fonctionnent-ils sur le même principe biochimique que ceux vendus en pharmacie ?
Le principe biochimique est l’immunochromatographie pour la détection des IgE. Les tests en ligne manquent d’informations techniques et scientifiques, et ne disposent pas d’études portant sur leur fiabilité… La démarche commerciale est évidente. Attention, ils peuvent inciter à adopter une conduite néfaste pour la santé. Il n’y a ni intérêt ni justification médicale à réaliser ces autotests, donc aucun crédit médical à apporter à ces tests, non évalués, mesurant des paramètres sans pertinence clinique et répondant avant tout à une démarche commerciale.
Pire, les évictions alimentaires non justifiées peuvent entraîner des carences, dans certains cas peuvent même faire perdre la tolérance vis-à-vis d’un allergène, et donc favoriser la survenue ultérieure d’une allergie.
AUTOTESTS D’ALLERGIE. A RETENIR – Le dosage des IgE totales n’a pas d’intérêt et les autotests d’allergie concernés ont été retirés du marché. Dans l’évaluation de l’allergie, il n’y a pas non plus lieu de réaliser des tests diagnostiques n’ayant pas fait preuve de leur efficacité comme le dosage d’immunoglobuline G (IgG) ou celui des immunoglobulines E (IgE) totales [5]. – Les tests d’allergie réalisés à distance après une commande en ligne sont fortement déconseillés. – De manière générale, les autotests d’allergie n’ont pas une fiabilité garantie. De plus, leur positivité ne signifie pas qu’il y a obligatoirement une allergie mais seulement une sensibilisation à un allergène, ce qui est bien différent. – En cas de positivité des tests de dépistage des IgE spécifiques anti-acariens, la prise en charge doit être guidée par un médecin, les signes de gravité recherchés, le traitement adapté à chaque cas précis. Certaines mesures d’éviction sont utiles, mais il peut être difficile pour les patients de connaître les bons gestes. Les mesures d’éviction sont le plus souvent insuffisantes. – Les informations commerciales parasitent le discours et peuvent se montrer délétères pour la santé des patients. Certaines firmes peuvent voir un intérêt commercial au développement de dispositifs apportant une « fausse » alternative aux longs délais d’attente pour accéder à une consultation spécialisée en allergologie, exploitant ainsi le besoin de réponse immédiate des patients [6]. |
POUR EN SAVOIR PLUS :
Références :
D’après l’interview du Dr Palussière, ainsi que sa conférence au congrès d’allergologie 2023 (CFA, Paris) 26/04/2023 (16h30 – Salle 342 AB – Les techniques de dosage des IgE spécifiques en laboratoire de ville, quelle utilisation pour demain matin ? Les autotests disponibles en pharmacie, qu’en penser ? Que dire à nos patients ?) ; et l’article C. Palussière, C klingebiel. Les autotests en pharmacie, qu’en penser ? Que dire à nos patients ? Revue française d’allergologie 63 (2023) 103321
1. Journal officiel de l’Union européenne. Règlement (UE) 2017/746 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro et abrogeant la directive 98/79/CE et la décision 2010/227/UE de la Commission. OJ L, 32017R0746 mai 5, 2017.
3. C. Stavart, N. Blavier, E. Bodart. Validation en consultation spécialisée d’un autotest identifiant les patients allergiques aux acariens de la poussière de maison. Article : 103260
Revue française d’Allergologie Vol 63 – N° 4 – mai 2023
4. https://www.exaller.com/fr/auto-test-d-allergie-aux-acariens
6. Aude Michel. Rôles du pharmacien dans la délivrance des autotests en officine : connaître leurs intérêts, limites et les conseils associés. Sciences pharmaceutiques. 2019. ffdumas-02877705f
Céline Palussière déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cette interview et sa présentation au CFA 2023
* vice-présidente du Syndicat français des allergologues (SYFAL)
** Points marquants du règlement des dispositifs médicaux 2017/745
Le nouveau règlement conserve les fondamentaux de la “nouvelle approche” dite de marquage CE, mais il détaille et renforce de nombreuses exigences dont :
– Les organismes notifiés sont placés sous contrôle européen pour une meilleure harmonisation des pratiques. Ils répondent désormais à un cahier des charges renforcé en matière de compétence et sont soumis à de nouvelles obligations de procédures (visites inopinées chez les fabricants, contrôles de produits).
– Le dispositif de vigilance est amélioré avec la mise en place d’une base européenne des incidents et l’obligation faite aux fabricants sous contrôle des organismes notifiés de produire des résumés périodiques de sécurité (PSUR).
– L’encadrement des investigations cliniques converge avec l’encadrement applicable au médicament pour les essais cliniques.
– L’évaluation avant mise sur le marché est renforcée. La transparence et la traçabilité sont améliorées. Une véritable base de données européenne des dispositifs médicaux accessible en grande partie au public permet de vérifier facilement la régularité de la présence sur le marché d’un produit donné et de donner accès à des informations sur les produits, avec un résumé de caractéristiques pour les dispositifs médicaux (DM) de classe III.