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L’enfumage des cultures pour lutter contre le gel : quel impact sur la santé respiratoire ?

L’enfumage des cultures pour lutter contre le gel : quel impact sur la santé respiratoire ?

Comme le titrait le journal Sud Ouest le 8 avril dernier, les Girondins ont eu un réveil embrumé par la fumée des feux allumés par les viticulteurs des domaines bordelais. Même spectacle en Bourgogne-Franche-Comté, en Touraine et dans de nombreux vergers français. Quelles sont les conséquences pour la santé ?

Selon les vents, une partie des Girondins s’est réveillée deux jours de suite la première semaine d’avril 2021 avec une odeur de fumée âcre. Il s’agissait de la fumée des feux allumés par les viticulteurs qui luttaient depuis deux jours contre le gel. Toujours selon l’hebdomadaire régional, « les grands axes de circulation comme l’autoroute A 62 au sud et A 10 au nord jusqu’à la RN 10 en Haute Gironde étaient sous un brouillard de fumée parfois épais. Quelques châteaux de l’appellation Pessac-Léognan avaient déclenché des feux. » Dans la journée, la ville de Mérignac a réagi sur Twitter : « Pour faire face à la chute brutale des températures la nuit, des opérations de brûlage sont effectuées par les viticulteurs. Sachez que la Préfecture a bien délivré des autorisations et que ces mesures exceptionnelles sont destinées à sauver les récoltes du gel. » Pour sa part, la Chambre d’agriculture de la Gironde rappelle qu’« au titre de leurs pouvoirs de police, ce sont les maires qui donnent autorisation des opérations de brûlage que les exploitants seront éventuellement amenés à effectuer pour la protection des cultures contre le gel. Aussi, si des risques sont avérés dans les cultures, les exploitants qui ont l’intention d’activer des systèmes de brûlage doivent solliciter leur maire pour demander une autorisation. »

On compte environ 400 bougies par hectare. Parfois, le feu est mis à des bottes de foin humides. Des vignes de la côte de Beaune ont ainsi été « réchauffées » à l’aide du feu. Objectif : contrer les effets potentiellement dévastateurs du gel qui a frappé les cultures de la région dans la nuit du 6 au 7 avril, rapportait le quotidien Le Parisien. Un sauve-qui-peut à l’unisson dans les vignes du Chablaisien, de la Touraine ou du Jura, pour les viticulteurs mais aussi les arboriculteurs. Twitter s’en est fait l’écho, tout en illustrant les tensions entre riverains et agriculteurs.

 

La technique de l’enfumage

La pratique n’est pas récente. Bougies ou paille mouillée, le but est de faire un maximum de fumée au lever du soleil. Cette technique de l’enfumage permet de créer un nuage artificiel pour protéger les bourgeons des basses températures et empêcher les rayons du soleil de les brûler. Le brûlage permet de faire monter de 0,5 à 1°C la température autour des vignes. Ce brûlage à l’air libre, comme toute combustion, émet des polluants dans l’air, notamment des particules. Lorsqu’il a lieu à un moment où les masses d’air sont stables, les concentrations en particules dans l’air peuvent fortement augmenter.

Pourtant, malgré les efforts souvent désespérés des agriculteurs, le gel a été dévastateur, au point que le dispositif de calamité agricole a été activé par le gouvernement. Les acteurs du secteur se retrouvent face à « la plus grande catastrophe agronomique de ce début de XXIe siècle », déclarait le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie.

Compte Twitter Le Bien Public, 14 avril 2019.

Assimilée à un pic de pollution

Ces enfumages sont des « pics de pollution nocifs pour les malades asthmatiques et BPCO », estime le Pr Chantal Raherison-Semjen, pneumologue (CHU de Bordeaux), présidente de la Société de pneumologie de langue française (SPLF). « Ces feux peuvent être assimilés à des pics de pollution. Cette source de pollution est reconnue depuis très longtemps : le fait de brûler du bois, que l’on appelle combustion de la biomasse, comme lors des incendies de forêt ou, dans une moindre mesure, des matières organiques ou d’origine fossile lors de l’enfumage des vignes et des vergers pour éviter le gel des bourgeons, provoque le dégagement de particules fines et d’hydrocarbures aromatiques polycycliques. C’est le même phénomène observé avec le trafic automobile. Depuis le début des années 2000, des publications scientifiques font état des conséquences sur la santé des feux de forêt. Même chez les personnes non asthmatiques, l’exposition aux feux de forêt (au brûlage des champs de canne à sucre, etc.) pendant 2 à 5 jours confère une augmentation du risque de symptômes respiratoires d’irritation (toux, sifflements) ainsi qu’un risque d’exacerbations et d’essoufflement accru chez les personnes asthmatiques et BPCO. »

 

Un pic bref, mais intense, de pollution aux particules selon Atmo Nouvelle-Aquitaine

La Fédération des associations de surveillance de la qualité de l’air (Atmo) l’a constaté et en particulier Atmo Nouvelle-Aquitaine. L’association confirme que dans la matinée du 8 avril 2021, elle a mesuré des concentrations élevées de particules en suspension PM10 (d’un diamètre inférieur à 10 µm – microns – dans l’air du territoire bordelais. Plusieurs habitants leur ont aussi signalé des odeurs de fumées la veille et ce matin-là, issues des pratiques agricoles de brûlages de matière organique ou d’origine fossile qui ont eu lieu dans les nuits du 6 au 7 et du 7 au 8 avril pour lutter contre le gel des pieds de vignes.

Le graphique ci-dessous représente l’évolution de ces concentrations, heure par heure, sur chacune des six stations de mesure implantées dans la métropole bordelaise. Le 8 avril, le pic horaire le plus élevé est mesuré par la station de Bassens : 420 μg/m3 à 10h.

Concentrations horaires de particules en suspensions PM10 du 07/04 au 08/04/2021

Pas d’épisode de pollution, au sens réglementaire

Le seuil réglementaire d’information et de recommandation est fondé, pour les PM10, sur une moyenne journalière. Ce seuil est fixé par le Code de l’environnement à 50 μg/m3 en moyenne sur une journée. Toutes les stations témoignent de concentrations de PM10 supérieures à 50 μg/m3 sur un pas de temps horaire, et ce pendant plusieurs heures consécutives, entre 8h et 11h. Toutefois, seule la station de Bassens a dépassé le seuil d’information et recommandation (fixé à 50 μg/m3), avec une moyenne journalière le 8 avril 2021 s’élevant à 54 μg/m3 (Cf. graphique ci-dessous). Ce dépassement localisé du seuil d’information et de recommandation n’était pas suffisant pour caractériser un épisode de pollution au sens de l’arrêté préfectoral relatif aux procédures d’information-recommandation et d’alerte en cas d’épisode de pollution.

Pour information : La station de Bassens est une station urbaine de fond. Cela signifie qu’elle est représentative de la pollution dite de fond, c’est-à-dire éloignée de sources de pollution particulière (transport routier, activités industrielles)

Des particules contenant des résidus de végétaux et de combustibles fossiles ont été identifiées, témoignant de la combustion de biomasse, comme par exemple le bois de chauffage ou la paille brûlée dans les vignes, et de la combustion de combustibles fossiles, tels les carburants des véhicules ou la paraffine des bougies utilisées lors des brûlages par les viticulteurs. Ces deux sources de « black carbon » (carbone suie) ont été relevées le 8 avril, entre 7h et 12h, notamment dans des proportions importantes.

Enfin, les stations d’Atmo Nouvelle-Aquitaine ont repéré des quantités certes moins importantes, mais non négligeables, de nitrate d’ammonium, de sulfate d’ammonium et d’ammonium, mesurées cette même journée dans les particules. Le nitrate d’ammonium dérive de précurseurs gazeux dont l’ammoniac, qui provient des activités agricoles (élevage et utilisations d’engrais azotés) et des moteurs à essence catalysés ainsi que des oxydes d’azote, qui sont émis par les multiples procédés de combustion.

 

L’enfumage des cultures, une pratique de plus en plus courante

Moins d’une semaine après, d’autres feux ont été notifiés la nuit du 12 au 13 avril, lors d’une seconde vague de gel dans cette même région. Ces pratiques d’enfumage s’installent depuis quelques années et devraient même se multiplier comme l’expliquait le journal Les Echos dans son édition du 13 avril 2021 : « Caractéristiques du printemps, ces épisodes de gel pourraient être de plus en plus dommageables pour les cultures. En cause : le réchauffement climatique. » Météo France a consulté ses archives climatologiques et précise : « un changement aussi soudain de températures moyennes, à l’échelle de la France, au mois d’avril, avec une telle amplitude (>10°C) est inédit depuis au moins 1947 ». Pour Thierry Castel, chercheur associé dans l’équipe de climatologie du laboratoire Biogéosciences et enseignant à Agrosup Dijon, interrogé par Le Figaro, la « réduction de l’écart de température entre le Pôle Nord et l’Equateur impacte le « jet stream », un courant d’air qui sépare l’air froid de l’air chaud, qui se déforme. À cause de cela, nous faisons face à des descentes d’air froid et des remontées d’air chaud plus importantes. » Cette théorie fait actuellement l’objet d’études, et soulève certaines incertitudes.

Se calfeutrer chez soi

Compte Twitter Association Météo Centre, 13 avril 2019

En attendant, face à des épisodes de gel qui se répètent, en cas d’enfumage des cultures, « les malades respiratoires doivent se calfeutrer chez eux et, s’ils sont prévenus suffisamment à l’avance, s’éloigner temporairement des vignes et vergers lorsque leur habitat se situe à proximité, conseille le Pr Raherison-Semjen. Ils doivent appliquer les mêmes mesures qu’en cas de pic de pollution, comme augmenter la posologie de leur traitement bronchodilatateur et consulter leur médecin en cas d’exacerbation. A mon sens, d’autres techniques pour préserver les bourgeons du gel devraient être privilégiées, comme la technique d’aspersion, lorsque c’est possible. » L’aspersion consiste à asperger les ceps avec de l’eau. Ainsi les bourgeons sont pris dans une poche de glace sans que l’eau qu’’ils contiennent ne gèle (phénomène de surfusion). 

Sans alimenter le « vitibashing », « les réseaux chargés d’étudier la qualité de l’air devraient jouer un rôle d’alerte et de prévention, ajoute la pneumologue. Les mairies ayant des vignes et des arboricultures aux portes de la ville devraient alerter la population car c’est un vrai problème pour le suivi respiratoire des populations, des riverains et des patients respiratoires en particulier. »

Plusieurs témoignages sont parvenus à l’association Santé respiratoire France, comme celui de Marie-Jo, malade atteinte de BPCO sous oxygène et bordelaise : « J’ai ressenti l’odeur de feu et j’ai d’abord pensé à la cheminée de ma voisine, puis je me suis dit : c’est bizarre, d’habitude ça ne pénètre pas dans la maison. J’ai donc pensé à un grand incendie. Puis nous sommes partis vers Blaye et avons vu les feux dans les vignes, et je me suis rappelé que je l’avais lu dans le journal. A part l’odeur, je n’ai pas ressenti trop de gêne… Et cela n’a duré qu’un seul jour, le jeudi matin. Outre le savoir à l’avance, on ne peut pas faire grand-chose, nous sommes entourés de vignes dans le Sud-Ouest… ». Mr J., malade BPCO, tempête : « Il y a des quantités de lois sur l’environnement et la qualité de l’air qui sont bafouées au quotidien. Par exemple, cette nuit, les viticulteurs ont brûlé des tonnes de sarments pour réchauffer les vignes et leur éviter de geler. Sauf que ces sarments humides ont dégagé une fumée toxique colossale, car les vignes sont traitées avec de nombreux pesticides/fongicides et herbicides ! ».

L’association Santé respiratoire France, alertée par ses adhérents, ouvre le débat. Frédéric le Guillou, son président, interpelle les maires sur leur rôle d’alerte envers la population. « Il n’est pas question ici de fustiger les agriculteurs qui doivent sauver leur récolte et nourrir leurs concitoyens. La difficulté est de trouver un équilibre entre les mesures de prévention sanitaire et la survie économique de toute une filière. Nous avons un rôle pour dégager des solutions. Au-delà de la médiatisation de ces épisodes, une politique de santé environnementale fondée sur une approche rationnelle à la fois du principe de précaution mais aussi d’information des populations est possible et nécessaire. La protection de la santé n’est pas le seul objectif de l’action environnementale. D’autres enjeux tels que la défense de notre planète, de l’emploi, des valeurs sociales et culturelles et la recherche de possibilités techniques méritent également d’être pris en considération. »

Hélène Joubert

PS : le 15 avril 2021

Un arboriculteur dans le Tarn a été placé en garde à vue le 14 avril, après l’intoxication d’une vingtaine d’habitants dans le secteur de Lavaur. La veille, des agriculteurs des communes d’Ambres et de Lavaur ont allumé 150 tonnes de paille à l’aide de gasoil, provoquant un important nuage de fumées qui s’est étendu sur cinq kilomètres. Selon la préfecture du Tarn, « huit personnes ont été prises en charge par les sapeurs-pompiers et treize se sont présentées aux urgences pour des problèmes d’intoxication liés aux dégagements de fumées ». Les analyses sanguines pratiquées ont révélé des taux de monoxyde de carbone très élevés. Les exploitants ont interdiction d’utiliser le fuel pour lutter contre le gel. Le 13 avril au matin, les fumées ont également provoqué une forte gêne de la circulation sur la RD 87 AMBRES -LAVAUR obligeant l’arrêt de la circulation une partie de la matinée. Une habitante d’Ambres décrit une épaisse fumée qui l’empêchait de voir à plus d’un mètre. Les quatre maires des communes concernées ont saisi la préfecture pour connaître la situation sanitaire et la dangerosité de ces fumées. Ils veulent surtout que ce type de pratiques soit définitivement abandonné pour éviter d’autres drames. 

Source : France 3 Occitanie TV Info

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