Patrice Scanu, concepteur des opérations nationales « Respirez’Golf » et représentant des patients au sein de l’association Santé respiratoire France, atteint de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), et Président de l’association « Second-Souffle Respir’acteurs »
« Le golf n’est pas un sport qui impose un rythme à l’individu. C’est l’individu qui va imposer son propre rythme au sport. »
En quoi le golf peut-il constituer une activité physique adaptée et, par conséquent, réalisable par des personnes insuffisantes respiratoires ou cardiaques ?
Tout d’abord, le golf a toujours été une excellente occasion pour rencontrer d’autres patients, pour créer du lien. En cela, il constitue une activité physique adaptée à des personnes en phase de réadaptation ; puis au long cours, que ce soit en cas de problèmes respiratoires ou cardiaques.
De plus, ce n’est pas un sport qui impose un rythme à l’individu. Au contraire, c’est l’individu qui va imposer le sien. Si l’on joue au squash ou au tennis, on est contraint de renvoyer la balle à la vitesse de son adversaire – on subit le jeu. Au golf, en revanche, on joue à son propre rythme.
Ensuite, ce sport est modulable et personnalisable puisqu’il comporte plusieurs stades. Lorsque l’on joue au tennis, on joue au tennis ; quand on pratique l’aviron, on rame ; quand on fait du cyclisme, on pédale… Mais quand on joue au golf, la flexibilité est possible, avec plusieurs étapes adaptées à nos propres rythmes cardio-respiratoires. Par exemple, les personnes que nous accueillons pour des initiations lors de nos événements « Respirez Golf » souffrent de BPCO dont la sévérité va du stade 1 jusqu’au stade 4. Pourtant, nous réussissons à nous occuper de chacune d’entre elles. Les possibilités sont extrêmement variées. Cela commence avec le « putting green » – la zone d’entraînement au putt – qui se rapproche du mini-golf, et dont l’action reste finalement assez statique et peu exigeante en oxygénation, ainsi que du point de vue du rythme cardiaque. C’est pourtant déjà physique (équilibre, sollicitation musculaire, gestuelle au niveau des bras…). Ensuite, il y a la possibilité de pratiquer sur le green, pour ce qu’on appelle le « petit jeu », c’est-à-dire le fait de s’entraîner à des petites approches à 30 mètres pour faire rouler la balle vers le drapeau. Pour monter d’un cran, on peut s’entraîner aux « sorties de bunker » (il s’agit de sortir la balle de la fosse de sable), ou aller au « practice », zone d’entraînement ouverte à tous, qui permet de s’initier ou de progresser en exerçant son swing. Ici, on va imposer à notre rythme cardiaque un effort supplémentaire, d’où des besoins accrus en oxygène. Et là aussi, chaque individu peut s’autogérer, et c’est en cela que le golf fait partie des activités physiques adaptées et modulables. Enfin, ce que l’on espère à court ou moyen terme, c’est amener les personnes insuffisantes respiratoires sur le parcours de golf. C’est tout à fait envisageable, avec la possibilité d’une gradation pour doser les efforts requis, entre un parcours de 200 mètres et un autre de 7 kilomètres.
Ce côté modulable est un élément de motivation, selon vous. Le golf entre donc dans la catégorie des activités physiques adaptées ?
J’en suis convaincu. Après avoir personnellement suivi des réadaptations respiratoires, j’ai réalisé que le golf constituait une option parfaite. Il est médicalement prouvé que sa pratique peut améliorer de manière générale la capacité articulaire, avec des répercussions dans notre quotidien, comme pour lacer ses chaussures ou récupérer une boîte en hauteur sur un placard.
Avec le golf, améliorer la capacité articulaire, la force musculaire et la motricité s’obtient avec des gestes simples et non traumatisants pour le corps. Le « putting », par exemple, améliore déjà la capacité cardiaque. Ensuite, si l’on commence à taper des balles au « practice », si l’on se lance sur un parcours, on va mobiliser les membres inférieurs, renforçant ainsi la partie musculaire. Quand on est patient BPCO, insuffisant respiratoire et/ou cardiaque, une musculature forte favorise une bonne capacité d’oxygénation. C’est un cercle vertueux.
Quelles sont les particularités du golf qui peuvent agir favorablement sur la motivation et sur la pérennisation de l’activité physique ?
Le slogan publicitaire d’un fabricant de pneumatiques bien connu disait : « La performance se juge dans le temps »… Je trouve cela tellement vrai, car lorsque l’on vit avec une maladie chronique, la difficulté réside dans la durée, bien plus que le jour où l’on accomplit un exploit. Vivre avec une maladie chronique est dur pendant 100 jours, pendant 10 ans, et bien plus… Notre corps ou même les médicaments nous rappellent la maladie à chaque instant. Et pour maintenir la motivation et la pratique de l’activité physique, le golf possède plusieurs atouts. D’abord parce qu’il est pluriel. Il peut se pratiquer seul, à deux ou en groupe, ce qui constitue déjà un énorme avantage. Ce n’est pas le cas de certaines activités physiques, comme le tennis, où jouer inlassablement contre un mur peut devenir pénible. Au golf, on peut décider d’aller s’entraîner en solitaire. On se rend sur le « putting green », on y passe 1h30 ou 2 heures tout seul. On peut aussi rencontrer un ami qui nous challenge, et qui mise un café ou un Perrier citron en disant : « Allez, le premier qui met 3 balles dans le trou a gagné l’apéritif ! ». C’est aussi en jouant sur la convivialité que le golf peut motiver sur la durée.
Un autre élément en sa faveur est qu’il peut être extraordinairement addictif, comme peu de sports. Lorsqu’on commence à y goûter, c’est un peu comme une abeille sur un pot de miel : on a toujours envie d’y retourner ! En effet, quel que soit le niveau, du débutant au golfeur confirmé, c’est un sport « challengeant », un défi constant envers soi-même. Lors des événements « Respirez Golf », nous commençons souvent nos ateliers « putting » avec les professeurs de golf qui apprennent à faire rentrer les balles qui sont très proches du trou, à 10 ou 20 cm. Un challenge quasiment inratable. À partir de ce moment-là, les individus qui sont malades chroniques réussissent quelque chose ; ils sont vainqueurs. Or, nous, les « patients », nous sommes souvent habitués à ne pas pouvoir gagner, car c’est un peu perdu d’avance contre la maladie. Eh bien, le golf nous motive dans le sens où il donne envie d’aller sur le gazon et de jouer. Il remet du « challenge » dans nos vies.
Ensuite, sur un parcours de golf se côtoient des gens qui, sans être malades chroniques, n’ont pas à réaliser des prouesses physiques. Il y a un « effet miroir » avec la population que l’on y croise, contrairement aux clubs de sport, de gymnastique ou de randonnées, où la personne malade chronique se sent vite différente car limitée en comparaison avec les autres pratiquants. Ici, cet « effet miroir » est très rassurant.
Le golf peut aussi être motivant sur la durée parce que c’est une activité que les gens peuvent « importer » chez eux. Avec son « putter » sur le carrelage, la moquette ou le parquet, on peut s’amuser à rentrer une balle dans un verre, à chercher à améliorer son swing. Cette activité ludique, joyeuse, parfois certes un peu crispante, peut être pratiquée sur un green, puis chez soi pour s’entraîner. Car être en action dans sa tête, c’est déjà être en action !
Enfin, avantage incontestable, il se pratique en plein air, en foulant le gazon que j’aime appeler « la chlorophylle », pour faire le plein d’oxygène. C’est essentiel pour une personne insuffisante respiratoire.
Pourtant, la réticence liée à l’idée que l’on se fait du golf, en tant que sport élitiste, perdure !
Je me bats depuis de nombreuses années contre cette idée reçue. Non, ce n’est pas un sport inaccessible. Dans n’importe quelle région de France, l’offre est devenue très large en matière de lieux et d’accessibilité. Il y a 450 000 licenciés en France, avec des forfaits qui peuvent coûter 45 € pour la licence de la Fédération française de golf, et une cinquantaine d’euros par mois pour jouer sur des parcours en illimité 30 jours par mois, cours inclus. Ensuite, un petit club de golf acheté sur un site de seconde main peut être largement suffisant pour la première année. On peut passer un après-midi sur un « putting green » pour exactement 0 € de budget : on arrive avec ses trois balles, son club, et on s’entraîne. Les gens pensent qu’il faut forcément payer une cotisation et posséder une carte de membre pour s’entraîner sur un parcours : ce n’est pas vrai du tout. Nombreuses sont les chaînes de parcours de golf en France qui proposent des forfaits mensuels, avec matériel inclus et des parties illimitées, pour environ 40 à 50 € par mois. On peut sans problème trouver des initiations au golf pour moins cher que le prix d’un abonnement à une salle de fitness.
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