Une étude en « vraie vie » conduite dans le département de la Somme valide l’efficacité et la faisabilité du dépistage organisé du cancer du poumon chez les gros fumeurs. Ces résultats, annoncés le 29 janvier au congrès de la pneumologie française (CPLF), tombent à pic : le président Emmanuel Macron vient d’annoncer aujourd’hui 4 février la stratégie nationale de lutte contre les cancers pour les dix années à venir. Et le dépistage du cancer broncho-pulmonaire ressort comme l’une des mesures prioritaires
C’était une première : afin de sonder la population, l’Institut national du cancer (INCa) a ouvert une consultation citoyenne (septembre-octobre 2020) sur les axes stratégiques de lutte contre les cancers à privilégier en France pour la prochaine décennie. L’« évaluation de la faisabilité d’un dépistage du cancer du poumon » a été désignée comme prioritaire par les participants. Reprise à son compte par l’INCa, l’instance officielle chargée de conduire la politique sanitaire en matière de cancer, cette mesure a officiellement été annoncée par Emmanuel Macron en ce début février 2021.
Le dépistage des cancers du poumon ne se discute plus
Le cancer broncho-pulmonaire est responsable de 33 000 décès chaque année dans l’Hexagone. C’est la première cause de mortalité par cancer.
A l’instar des dépistages organisés des cancers du côlon ou du sein, l’idée est de détecter, à l’aide de l’imagerie (un scanner basse irradiation, afin de limiter les doses de rayonnement reçues par les individus), tout nodule présent au niveau des bronches et des poumons de manière très précoce (au stade localisé dit « stade 1 ») afin qu’il soit possible de l’enlever et ainsi de sauver des vies.
En effet, la survie à 10 ans dépasse 80 % pour les cancers découverts à des stades localisés par scanner thoracique basse irradiation.
« Du point de vue scientifique, le dépistage individuel du cancer du poumon ne fait plus débat, indique le Dr Olivier Leleu, chef du service de pneumologie et d’oncologie thoracique (CH d’Abbeville). Nous disposons de données qui démontrent l’intérêt de ce type de dépistage. Deux études internationales font référence, les essais néerlando-belge Nelson (paru en 2020) et américain NLST (National Lung Screening Trial). » Ces études ont validé l’intérêt d’un dépistage du cancer du poumon parmi une population à risque (âge compris entre 55 et 74 ans, un tabagisme supérieur à 30 paquets/années, fumeur actuel ou sevré depuis moins de 15 ans). L’étude NLST (53 000 patients) a observé après plus de six années une diminution de la mortalité par cancer du poumon de 20 % et de la mortalité globale (toutes causes de décès) de 6,7 %. Le protocole comprenait un scanner basse irradiation tous les ans, durant trois années consécutives. L’étude Nelson a obtenu des résultats globalement similaires : une mortalité par cancer du poumon a réduite de 24 % chez les hommes et de 33 % chez les femmes.
Essai transformé dans la « vraie vie »
Si les résultats de ces grandes études étrangères sont convaincants, encore fallait-il les reproduire en vie réelle. C’était l’objectif d’une étude pilotée par le Dr Olivier Leleu dans le département de la Somme (étude DEP-KP80). Le protocole de l’étude a été calqué sur celui de l’étude NLST, avec trois scanners sur trois ans. Elle se terminera fin 2021. Mais d’ores et déjà, les résultats du premier et du second scanner confirment la faisabilité de ce dépistage.
Au second tour, comme au premier, le nombre de stade 1 (nodules localisés) était élevé (75 % au second tour), ce qui est très positif car un cancer localisé peut s’enlever (on parle de résection, et donc un cancer guérissable) avant qu’il ne grossisse voire ne dissémine dans l’organisme (à l’origine de métastases). Comme attendu, le taux de résection chirurgicale est lui aussi élevé (87 %, seule ou associée à une radiochimiothérapie/chimiothérapie).
« Tout l’intérêt du dépistage est le nombre de stade 1 découverts à l’imagerie, commente Olivier Leleu. Dépister permet d’inverser les stades au diagnostic. Car une fois qu’ils sont symptomatiques (ce qui arrive très tardivement dans le cancer du poumon), deux cancers sur trois sont étendus ou métastatiques. Or, avec le dépistage, on détecte deux cancers sur trois localisés ou très localisés, avec un nombre élevé de résections, à l’origine d’un gain de survie (constaté dans l’étude Nelson). »
L’important est de participer
Les 1300 participants à l’étude DEP-KP80 ont été recrutés par les médecins généralistes et spécialistes. Le problème est que seuls 35 % des participants ont effectué leur second scanner thoracique. Les raisons de cette désertion sont en cours d’investigation.
Par ailleurs, du point de vue de la santé publique, la question de la balance coût/efficacité entre en ligne de compte. L’analyse dans DEP-KP80 est en cours. Mais sur ce point, on dispose déjà des chiffres de l’étude NLST, où le dépistage organisé s’est révélé coût/efficace. Selon une publication française, un tel dépistage coûterait en France environ 200 millions d’euros pour deux millions de participants. La bonne nouvelle est que le coût intégral du dépistage pourrait être couvert par une augmentation du paquet de tabac de 10 centimes*.
Le feu vert de la HAS se fait attendre
En 2020, et à la lumière des études Nelson et NLST, la Haute autorité en santé (HAS) chargée d’élaborer les recommandations de santé publique, devait réviser son précédent rapport sur l’ « évaluation de la pertinence du dépistage du cancer broncho-pulmonaire en France », datant de mai 2016. Celui-ci ne tenait pas compte des récentes données des grandes études. Début 2021 ce rapport n’est toujours pas disponible ; un retard à mettre sur le compte de la Covid-19 ?
Les sociétés savantes sont en faveur de ce dépistage chez les gros fumeurs ou anciens fumeurs entre 50 et 74 ans, dont la Société de pneumologie de langue française SPLF (dans un avis qui devrait être prochainement publié) ou encore l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique et la Société d’imagerie thoracique. C’est déjà le cas des Etats-Unis depuis 2013, du Canada et de l’Australie.
En novembre 2018, compte tenu du bénéfice permettant de sauver jusqu’à 7500 vies chaque année en France, une trentaine d’experts avaient plaidé pour un dépistage individuel par scanner thoracique faiblement irradiant chez les fumeurs âgés de 50 à 74 ans actifs ou sevrés depuis moins de 10 ans ayant fumé plus de 10 cigarettes/j pendant 30 ans ou 15 cigarettes/j pendant 25 ans.
La mise en place d’un dépistage organisé du cancer du poumon chez les personnes à risque n’est plus désormais qu’une question de temps et de volonté politique. C’est l’un des combats de l’association Santé respiratoire France.
Voir l’interview du Pr Charles-Hugo Marquette, chef du service de pneumologie au Centre Hospitalier Universitaire de Nice : « Une telle politique de dépistage dans l’Hexagone est urgente » (janvier 2019)
Hélène Joubert, journaliste
Précision : Afin de corriger le taux de faux positifs (des cancers qui finalement n’en sont pas) trop élevé dans l’essai NLST, les investigateurs de DEP-KP80 ont intégré (comme dans l’essai Nelson) le concept de « dépistage indéterminé » lorsque la taille du nodule est supérieure à 5 mm (dépistage négatif) et inférieure 10 mm (dépistage positif). En cas de dépistage indéterminé, un scanner est alors réalisé trois mois après.
*Rev Mal Respir. 2017; 34(7):717-28