Témoignages
« Je viens d’apprendre ma mise en invalidité ». Que vais-je faire de ma vie ?

« Je viens d’apprendre ma mise en invalidité ». Que vais-je faire de ma vie ?

💬 Magali, 58 ans, atteinte de BPCO et d’emphysème (Alpes-Maritimes, mais compte bien déménager prochainement dans le Morbihan car le climat océanique est meilleur pour sa santé)

On entend souvent que la vie s’arrête lors de la mise en invalidité. C’est vrai, c’est un coup d’arrêt brutal. Magali, l’une de nos adhérentes, pour qui le choc a été violent, explique ici comment elle a dépassé la déception et le découragement. Au travers de son histoire, elle témoigne ici de sa vision de la condition des personnes insuffisantes respiratoires. C’est une leçon de vie et une belle suite à écrire.

J’ai 58 ans.

J’ai une capacité respiratoire d’à peine 36 %.

Je n’ai jamais fumé.

Je souffre d’un déficit génétique en alpha-1 antitrypsine (AAT), une maladie rare qui se manifeste par un emphysème pulmonaire.

J’ai une BPCO.

J’ai aussi des problèmes rénaux, liés au déficit génétique en AAT.

J’ai également des problèmes hépatiques, également liés à cette maladie génétique.

Je dois me protéger vis-à-vis de toutes les infections, car mes défenses immunitaires sont amoindries du fait du déficit en AAT.

J’ai perdu du muscle, et mon corps a changé.

J’ai perdu 16 kg. Ma silhouette, auparavant assez pulpeuse, s’est transformée en brindille.

Je vis avec une machine qui m’aide à respirer la nuit, et une autre pour marcher.

Je suis en invalidité depuis 3 mois.

J’ai perdu mon travail de formatrice pour lequel j’ai tant donné ma vie durant.

Je suis en dépression depuis 3 mois.

J’ai fait le vide autour de moi – amis et famille – et ceci bien malgré moi ! La maladie s’en est chargée.

Je ne bénéficie d’aucun soutien psychologique. Je n’ai pas trouvé d’aide me convenant, malgré mes tentatives. Ce n’est pas à mon avis le rôle des pneumologues.

Et puis, un mantra a surgi, que j’ai fait mien et me répète au quotidien :

« Il faut sortir de sa tente, il faut sortir de l’attente. »

Je marche tous les jours.

Je fais du yoga.

Je m’astreins à mes exercices respiratoires.

Je médite.

Je cuisine.

Je pratique une routine matinale d’exercices musculaires.

Je réalise des travaux manuels, une activité que j’affectionne.

Je vais vers les autres.

Je construis des projets. A ma mesure.

J’entretiens mes relations. Et mon couple.

Je veux donner pour les autres.

Je reste positive, et bienveillante.

Ces derniers mois, si l’on pouvait dessiner la ligne de vie de Magali, celle-ci ressemblerait à un « V ». Avec la plongée dans la maladie, le handicap, la désertion des amis, un état dépressif… Puis, un coup de pied au fond de la piscine, et la remontée vers la surface.

« En réalité, la maladie s’était sournoisement invitée depuis de nombreuses années, mais sans affecter outre mesure ma vie quotidienne. Très jeune, je me suis doutée que mon corps avait un problème. Lors du brevet des collèges par exemple, j’ai terminé l’épreuve sportive en très mauvais état, le souffle anormalement coupé. Au cours de la quarantaine, j’ai enchaîné trois opérations chirurgicales pour divers problèmes, tous liés au déficit génétique en AAT, suivies chacune d’une période de rééducation physique.

A 33 ans, j’ai failli mourir à la suite de surinfections. Lors des cinq semaines passées à l’hôpital, j’ai contracté un staphylocoque doré. Je ne pouvais plus avoir d’enfants.

A 53 ans, j’ai dû subir deux opérations des sinus, conséquences des surinfections. Depuis, mon organisme héberge un PYO (bacille pyocyanique sauvage). Cette bactérie prend ses aises entre les sinus, mes poumons (à l’origine d’exacerbations de la BPCO) et mes reins.

A l’âge de 45 ans, en pleine possession de mes facultés, à deux doigts de parvenir à un poste convoité depuis longtemps, on me l’a refusé parce que j’accumulais les arrêts maladie pour exacerbations notamment, et que, selon la loi, je relevais de la mise en invalidité.

J’avais un pressentiment depuis longtemps – ma sœur souffrait également d’un emphysème lié à un déficit en alpha-1 antitrypsine – et, lorsque j’ai senti la situation se détériorer, j’ai vite cherché des informations, par ailleurs difficiles à obtenir. Reçue pour un état des lieux « pulmonaire » par un éminent professeur de pneumologie, je n’ai bénéficié d’aucun suivi par la suite. J’ai réalisé que c’était à moi de me débrouiller afin de poursuivre ma vie sociale, professionnelle et familiale. Brutalement, face à la maladie, privée de mes capacités, j’ai dû répondre seule à cette question : comment faire ? Je me suis alors lancée à corps perdu, pêle-mêle, dans la marche, le chi gong, le yoga, l’homéopathie, la phytothérapie, la sylvothérapie* l’acupuncture, la respiration, …

Ma chance fut que mon médecin généraliste pratiquait une grande partie de ces thérapies complémentaires et, à nous deux, nous avons tout essayé !

Je n’ai pas pris conscience de mon épuisement. 

Cette maladie est insidieuse

Elle commence par « je suis fatiguée », se poursuit avec « je suis souvent malade » et progresse avec « je suis de plus en plus souvent souffrante ». Concilier vie professionnelle, vie personnelle et santé devient un objectif de plus en plus inatteignable. A cela s’ajoutent les problématiques intimes et relationnelles avec le conjoint, un pan extrêmement important de la vie. On ne se rend pas compte des dégâts que cette maladie peut causer dans le couple. Même si le conjoint ne l’exprime pas, s’il est bienveillant et compréhensif, on devient vite un poids. On se doit alors de surcompenser le handicap, d’amoindrir les symptômes, de ruser… afin de ne pas trop montrer son épuisement. J’ai fait appel à un coach de vie qui, en faisant le tri entre toutes mes activités, m’a permis de me recentrer sur ma qualité de vie, sur l’importance du bien manger, de la qualité de mes exercices physiques et de l’acceptation de thérapies indispensables à ma vie telle que l’oxygénothérapie.

Le manque total de soutien psychologique des professionnels de santé que j’ai rencontrés m’a frappé. Je ne leur en veux pas. Le professeur de pneumologie qui a diagnostiqué ma maladie n’était pas en mesure de comprendre mon mal-être. Est-ce d’ailleurs son rôle ?

Du jour au lendemain, vous n’êtes plus bon à rien : le mot « invalidité » est terrible.

Bien qu’indispensable, le dossier de demande en mise en invalidité est psychologiquement difficile à mener à son terme puisque cela signifie la fin d’une vie professionnelle et heureuse, me concernant. Alors que j’étais une « bosseuse » qui ne comptait pas ses heures, il m’a fallu repenser ma vie. Qui m’a aidé ? Moi-même. J’ai pris une feuille de papier, tracé deux colonnes et réparti dans chacune les points négatifs et positifs. J’ai lu beaucoup de livres de psychologie, d’autres sur les pouvoirs du corps humain, du cerveau, etc. Avec dans mon esprit, une question « fil rouge » : que vais-je pouvoir en tirer pour orienter et conduire ma vie ? Finalement, j’ai réalisé que je n’allais pas si mal.

J’ai testé un protocole d’essai thérapeutique, puis un second, puis un troisième, etc. En vain. Ma capacité respiratoire, déjà basse à 43 %, est descendue début janvier 2023 à 36 %. On a voulu récemment m’inclure dans un nième protocole, à peine différent du précédent. Allais-je continuer à être un « rat de laboratoire », ou repenser ma vie, en regardant ce que je peux faire, et en détournant le regard de ce que je ne peux plus réaliser ? Je peux lire, je peux marcher, je peux voyager, je peux entretenir des relations amicales. Je peux aller au-delà de la maladie. Je peux formuler des projets. Il faut compter sur soi malgré les nausées, l’immense fatigue, les difficultés et la douleur pour respirer, pour pratiquer des exercices physiques, etc. Parfois se lever, faire sa toilette, s’habiller et sortir sont des efforts auxquels on a envie de renoncer. Il est d’ailleurs parfois possible d’y renoncer, sans jugement, sans culpabilité.

Je veux marteler : « Il faut sortir de sa tente, il faut sortir de l’attente. ». Ce mantra m’a aidé à sortir de mon état dépressif, cet état contraint symbolisé par une tente. Cela signifie qu’il ne faut pas attendre que quelqu’un nous sauve mais prendre sa vie en main. Se poser aussi la question de l’image que l’on veut montrer aux autres. Sans négliger de prendre soin de sa vie de couple, sans délaisser l’intimité. Mes projets sont nombreux. Je vais donner aux autres, prêter main forte dans un centre SPA, etc.

J’ai 58 ans. 

Je dis beaucoup moins souvent « je ».

Le “Je” est pourtant très important pour un malade. En effet, dans le subconscient de celui-ci, il disparaît ”au profit” du patient. 

Il faut que chaque malade se rappelle avant tout qu’il est important pour lui-même, qu’il mérite le meilleur, et le bonheur.

Le handicap généré par mon insuffisance respiratoire ne m’empêchera pas d’avoir confiance en l’avenir, ce futur que l’on forge chaque jour. 

Propos recueillis par Hélène Joubert.

* médecine non conventionnelle qui repose sur l’idée qu’être dans une forêt ou à proximité d’arbres aurait un effet bénéfique sur le bien-être et la santé. Certains y ajoutent des approches plus proches de l’herboristerie, de l’ethnobotanique, ou de la gemmothérapie (utilisation de tissus embryonnaires végétaux macérés) …