Témoignage, Madame N. (49 ans, Bordeaux)
Sans avoir atteint la gravité de la vague de froid historique de 2021, le gel a fait trembler les arboriculteurs et les vignerons trois nuits consécutives en ce début avril. Pour se prémunir du gel et protéger les bourgeons, certains vignerons optent pour des feux de pailles (balles de foin entières brûlées) ou l’installation de bougies voire d’autres combustibles parfois non autorisés (lien sur les articles de 2021).
Comme l’an passé, et de plus en plus fréquemment ces derniers printemps, les images de rangs de vignes réchauffés par de nombreuses bougies ou de petites cuves de fuel se font de plus en plus récurrentes. « Comme pour tous les feux, il y a des émissions de nombreux polluants comme des particules fines, des oxydes d’azote et du monoxyde de carbone, assurait à « Ouest France » Charlotte Delpeux, ingénieure chargée de communication pour Air Pays de la Loire. Ce qui est émis dans un territoire est vite dispersé au lever du jour dès la montée des températures. » L’enjeu est important pour les cultivateurs. Mais bien que coûteuses, il existe des alternatives au feu comme l’aspersion (le bourgeon est enfermé dans une bulle glacée grâce à l’arrosage des vignes) ou le brassage d’air, notamment par hélicoptère (lien sur article 2021).
Un « effet couvercle » où les polluants s’accumulent
L’effet couvercle, où les polluants s’accumulent à cause du froid, est bien connu. Si le redoux s’est installé depuis quelques jours en France, les autorités sanitaires devraient se préoccuper plus sérieusement de ce phénomène qui affecte la population vivant plus ou moins au contact de ces feux, au proche abord des vignes mais également à plusieurs kilomètres et même dans les centres-villes, du fait de l’étendue des nuages de fumée parfois impressionnants et poussés par le vent. Chaque année, Santé respiratoire France reçoit des messages d’alerte de la part de patients et du grand public. Les images des paysages enfumés au petit matin n’ont rien de poétique pour les habitants, qu’ils soient bien portants ou souffrant de maladies respiratoires et/ou chroniques en général. Et comme chaque année, aucune oreille n’est tendue ni solution concrète apportée par les pouvoirs publics.
Concernant l’épisode de gel qui vient de se terminer, nous donnons la parole à Madame N. qui habite à Bordeaux en Gironde, à la frontière entre la ville et les vignes (Barrière de Pessac, proche de Talence), et qui nous a alertés sur le fait que « les Bordelais subissent les effets toxiques des fumées provoquées par l’allumage des feux pour protéger les vignes du gel ».
Interrogée sur ce qu’elle a ressenti, elle décrit une odeur forte et omniprésente qui l’a tenue dans un demi-sommeil. « J’ai été réveillée dans la nuit du lundi 4 au mardi 5 avril 2022, ainsi qu’à l’aube par une odeur de fumée qui a envahi mon appartement. Cette odeur de fumée âcre, qui ne m’a pas réveillée complètement, était similaire à celle d’un incendie qui aurait pris dans le quartier. Elle était toujours présente à 10h, puis à 11h du matin, et était extrêmement gênante. Je n’entendais pas les oiseaux chanter, contrairement aux autres matins. »
En sortant sur sa terrasse le matin même, Madame N. a vu « le ciel bouché, comme recouvert d’un voile, très bas et sombre ». Puis, au fur et à mesure que les heures passaient, elle a commencé à avoir mal à la tête et à ne pas se sentir bien. « J’ai eu plusieurs appels téléphoniques à passer et, au moment de m’exprimer, j’ai ressenti une gêne au niveau de ma gorge qui était irritée. J’avais des difficultés à sortir un son pour terminer mes phrases. Je suis restée chez moi, calfeutrée bien entendu. En consultant la presse locale, j’ai découvert des images des rues de Talence enfumées. Des amis vivant plus proche du centre-ville et plus loin des vignes ont également senti ces fumées et en ont été gênés. Durant les deux jours qui ont suivi, les communs de mon immeuble sont restés imprégnés de l’odeur de fumée froide, comme s’il y avait eu un incendie la veille. Ce qui interpelle fortement sur la potentielle dangerosité et le risque de s’intoxiquer pendant son sommeil ».
On pourrait penser que Madame N. souffre habituellement d’irritation et de problèmes respiratoires puisqu’elle a alerté Santé respiratoire France, association nationale de défense de la qualité de l’air pour les personnes souffrant de pathologies respiratoires. Or ce n’est pas le cas. Madame N., 49 ans, ne souffre d’aucune insuffisance respiratoire. Ni d’aucune allergie, d’asthme, de BPCO ou même de symptômes post-Covid-19. Ce qui laisse présager des symptômes qui pourraient être ressentis par une population particulièrement vulnérable comme les personnes insuffisantes respiratoires…
« Ce qui se passe ici et dans d’autres régions de France est une réelle pollution atmosphérique et une intoxication de la population, estime-t-elle. Une enquête à l’échelon national devrait être menée sur la dangerosité de ces pratiques au sein des régions, sur les combustibles utilisés. Les taux de polluants doivent continuer à être mesurés mais il faudrait que l’on en tire enfin des conséquences, que l’on prenne des mesures. Au minimum, une information de la population en amont pourrait être systématique. Tout le monde était en alerte devant les risques de gel, et les prévisions météo avaient vu juste. Il faut au moins prévenir les citoyens et reconnaître cette forme de pollution qui touche l’ensemble de la population, et a fortiori les personnes vulnérables. »
Des collectifs contre l’enfumage viticole se sont constitués, comme dans le Lot, qui déplorent que « la santé des habitants passe au second plan ». D’autant que « des engrais organiques et des produits chimiques ont été déjà déposés dans les vignes avant cette opération d’enfumage. »
Lors des forts épisodes de gel d’avril 2021, le Pr Chantal Raherison-Semjen, pneumologue et ancienne présidente de la Société de pneumologie de langue française (SPLF) délivrait ces conseils à Santé respiratoire France : « Les habitants souffrant d’insuffisance respiratoire doivent appliquer les mêmes mesures qu’en cas de pic de pollution, comme augmenter la posologie de leur traitement bronchodilatateur et consulter leur médecin en cas d’exacerbation. »
Frédéric le Guillou, président de Santé respiratoire France : « Il n’est pas question ici de montrer du doigt les agriculteurs qui doivent sauver leur récolte et nourrir leurs concitoyens. La difficulté est de trouver un équilibre entre les mesures de prévention sanitaire et la survie économique d’une filière. Une politique de santé environnementale fondée sur une approche rationnelle, à la fois du principe de précaution mais aussi d’information des populations, est possible, nécessaire et, comme on le constate, urgente. La protection de la santé n’est pas le seul objectif de l’action environnementale. D’autres enjeux tels que la défense de notre planète, de l’emploi, des valeurs sociales et culturelles, ainsi que la recherche de solutions techniques méritent également d’être pris en considération. »
Pour aller plus loin :
L’enfumage des cultures pour lutter contre le gel : quel impact sur la santé respiratoire ?
Propos recueillis par Hélène Joubert.