Personne ne sait, à cette heure, à quelle vitesse évoluera la situation. Les politiques ne peuvent s’appuyer sur aucune certitude pour prédire la manière dont se déroulera le déconfinement. Le pic épidémique est attendu dans les prochains jours en France, un délai volontairement flou car les données épidémiologiques et virologiques se construisent semaine après semaine, d’après les avancées de la recherche, fondamentale comme clinique, et les expériences régionales et nationales.
Le rationnel scientifique en matière de confinementest de diminuer la pression sur les secteurs de soins et en particulier les services de réanimation hospitaliers. Selon le Pr François Bricaire, infectiologue, membre de l’Académie nationale de médecine, le confinement, dans sa configuration actuelle – incluant l’arrêt d’une partie de l’activité économique et des déplacements non indispensables – est suffisant pour contenir l’épidémie : « Il faudrait ne pas trop durcir le confinement pour compter sur l’acquisition progressive d’une immunité collective. Le confinement est un pis-aller indispensable, mais renforcer les mesures de confinement me semblerait dommageable. Cela imposerait d’analyser le rapport bénéfice/risque, de mettre en balance le gain sur le plan infectieux et l’extension de l’épidémie, et les effets indésirables, d’ordre économiques mais également l’ensemble des conséquences comprenant les syndromes de glissement* chez les personnes âgées, l’immobilisation physique chez les personnes confinées dans de petites surfaces, les conséquences néfastes du manque d’activité et de la sédentarité en termes de santé publique, l’apparition d’un stress psychologique jusqu’au stress post-traumatique, et de syndromes dépressifs chez des individus vulnérables (les jeunes de 18 à 30 ans, les plus de 60 ans, etc.**) ou encore le déséquilibre de maladies chroniques chez des individus dont on voit qu’ils remettent en question la prise de leur traitement de fond, etc.
Il faut rester prudent mais, sur le plan clinique, à côté des formes asymptomatiques et des porteurs sains, même si 85 % des formes sont bénignes, certaines s’expriment de façon plus sévère, en particulier chez des sujets plus jeunes, c’est pourquoi le phénomène est bien entendu d’importance. Néanmoins, en dehors du risque élevé de formes graves et sévères chez les personnes vulnérables (personnes âgées, malades chroniques, présentant un déficit immunitaire…), le SRAS-CoV-2 n’est, je dis bien à l’échelle de la population et non pas de l’individu, pas aussi gravissime que l’on voudrait nous le présenter, notamment dans les médias. Il faut bien évaluer tout cela, avant de décider d’un tour de vis supplémentaire en matière de confinement. »
Confiner permet de réduire le risque de transmission virale d’un individu à un autre. Cela permet, d’une part, d’écrêter la courbe épidémique et de réduire la vitesse d’accumulation de nouveaux cas (le taux d’attaque de l’épidémie) et, d’autre part, d’étaler le risque de formes sévères, laissant le temps aux structures hospitalières de soins intensifs et de réanimation de s’organiser pour gérer l’afflux de malades et pouvoir sauver des vies. Cependant, le fait d’aplanir la courbe épidémique rallonge de facto la durée du confinement. « Une levée du confinement doit d’ores et déjà s’anticiper, probablement par paliers, précise François Bricaire. Elle devra s’accompagner de vérifications systématiques par des tests par PCR du matériel viral (RT-PCR SARS-CoV-2) qui permet de repérer les sujets porteurs du virus (les personnes infectées) mais également et surtout par des tests sérologiques. » Ces derniers testent les taux d’anticorps dans le sérum et servent donc à identifier les individus ayant été immunisés suite à leur infection par le virus.
Objectif : obtenir une immunité de groupe
Un modèle existe, celui choisi au départ par les Anglais, avant de faire machine arrière : laisser « filer » le virus, c’est-à-dire laisser le virus infecter naturellement la population comme c’est le cas pour de nombreux virus, afin de créer une immunité de groupe en renforçant drastiquement les mesures barrières et en isolant les personnes âgées et fragiles. L’immunité de groupe signifie que la propagation du virus s’éteint d’elle-même lorsqu’une majorité de la population a été infectée et donc a fabriqué des anticorps contre ce virus. L’épidémie s’arrête alors. C’est le principe des vaccins.
Ce modèle peut être viable si le système de santé peut absorber le nombre de sujets sévèrement atteints afin de limiter les décès. C’est ainsi une bonne façon d’assurer une montée d’anticorps protecteurs dans la population et de raccourcir la durée de l’épidémie. Mais tout cela est conditionné par les capacités d’accueil hospitalier, et la France n’aurait pu tenir le choc. Décider de l’absence de confinement pour laisser s’installer une immunité collective se ferait au prix d’un nombre important de décès.
Néanmoins, d’un autre côté, le fait même de confiner les gens limite la progression de l’immunité de groupe. Or, tant qu’une majorité des individus (au minimum 60%**) ne seront pas protégés par des anticorps anti-SARS-CoV-2, la levée des mesures de confinement pourrait risquer de voir repartir une vague de contagion. Avec, à la clé, un risque de rebond épidémique et d’une nouvelle flambée de contaminations. Prudence donc.
« Les tests RT-PCR SARS-CoV-2 aideront à lever le confinement, à partir du moment où l’on aura passé le pic épidémique, afin de maintenir le confinement des personnes infectées et les isoler des personnes dites « négatives » (qui n’ont pas rencontré le virus et donc ne possèdent pas d’anticorps spécifiques contre ce virus), imagine François Bricaire. Pour leur part, les tests sérologiques (dits de séroconversion) permettront de libérer celles qui sont immunisées. Et mêmes si les coronavirus ne sont pas les meilleurs inducteurs d’anticorps protecteurs, en quantité, comme dans la durée, il n’en reste pas moins qu’ils obéissent à la règle générale en infectiologie, qui est la fabrication d’anticorps chez tout individu infecté. »
Hélène Joubert, journaliste.
* Détérioration rapide de l'état général survenant chez un sujet très âgé au décours, ou après un intervalle libre, d'une affection aiguë quelle soit d’ordre médical, chirurgical ou psychique. ** The Lancet VOLUME 395,ISSUE 10227, P912-920, MARCH 14, 2020. *** selon les estimation de l'équipe de Neil Ferguson, épidémiologiste à l'Imperial College de Londres.