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Dossier : Le microbiote respiratoire, kezaco ?

Dossier : Le microbiote respiratoire, kezaco ?

Le poumon aussi a son microbiote. Le microbiote, c’est-à-dire l’ensemble des bactéries vivant au sein d’un organisme, est un nouvel organe. Mais qui dit organe dit une anatomie, des fonctions et des pathologies. Le Pr Geneviève Héry-Arnaud, de l’Unité de Bactériologie au CHU de Brest (INSERM URM 1078) nous dit tout.

Un dogme est tombé : un poumon sain n’est pas un poumon stérile 

Le microbiote est l’ensemble des micro-organismes (bactéries, levures, virus, champignons micromycètes, archées etc.) qui vivent dans un environnement spécifique comme un organe, une muqueuse etc. On assiste alors à un rapport de force phénoménal : si le génome humain comptabilise 23 000 gènes, le génome bactérien, rien qu’au niveau digestif, dénombre 10 millions de gènes !

Les 100 000 milliards de bactéries du corps humain vont s’adapter à des niches particulières. L’Homme possède donc plusieurs écosystèmes microbiens : l’écosystème intestinal, le plus connu et où les recherches sont les plus avancées mais aussi les microbiotes cutané, nasopharyngé et oral, urogénital et pulmonaire.

Les investigations sur le microbiote pulmonaire ou respiratoire sont à la traîne, car, à l’instar du microbiote urinaire, il a longtemps souffert du vieux dogme de la stérilité pulmonaire qui affirmait qu’un poumon sain était forcément stérile. Or les micro-organismes du poumon ne provoquent pas forcément des infections : ils participent au contraire de la régulation et de la physiologie respiratoire. Un dogme aujourd’hui totalement obsolète mais qui a considérablement ralenti les recherches.

A microbiote diversifié, bonne santé respiratoire

La structure ou l’« anatomie » du microbiote pulmonaire sain est tout d’abord une quantité de micro-organismes qui habitent l’épithélium (revêtement) pulmonaire. Leur faible densité au niveau du poumon, de l’ordre de 10 puissance 5 UFC (équivalent génome) /mL, très loin des 10 puissance11 bactéries par gramme de fèces pour le microbiote intestinal, est compensée par une très forte biodiversité. Le microbiote pulmonaire emporte même la palme de la plus grande biodiversité. Phénomène intéressant, une forte biodiversité (dite « alpha ») s’avère être en quelques sortes un « biomarqueur » de la santé respiratoire. Par exemple, un fumeur en bonne santé à un indice de santé respiratoire/biodiversité inférieur à un sujet sain mais supérieur à une personne BPCO (1-2).

50% des bactéries vivant dans le poumon n’aiment pas l’oxygène

En termes de composition, quel que soit le site du corps prélevé, on retombe toujours sur les quatre grandes divisions bactériennes ou « phyla » bactériens principaux : Actinobacteria, Bacteroidetes, Firmicutes et Proteobacteria. De tous les microbiotes du corps humain, c’est le microbiote intestinal dont la composition se rapproche le plus de celui du poumon, avec une prédominance des Bacteroidetes et Firmicutes. Ce sont des bactéries dites anaérobies, qui vivent sans oxygène (3-4).

Chez la personne saine, on estime que la moitié du microbiote est constituée de bactéries anaérobies dont les trois-quarts sont anaérobies strictes, c’est-à-dire capables de se multiplier uniquement en l’absence d’oxygène (O2< 5%).

Une autre spécificité du microbiote pulmonaire est la multiplicité des réservoirs de bactéries qui viennent « alimenter » l’épithélium respiratoire (cavité orale et plaque dentaire, système digestif, air ambiant etc.) avec des flux incessants de bactéries : un système d’entrées (inhalation de bactéries) et de sorties (toux, mouvements des cils des cellules épithéliales, système immunitaire de l’hôte) au sein d’une véritable complexité anatomique, d’où un accès difficile comparé au tube digestif. (5-6).

On parle de « biogéographie du microbiote pulmonaire » pour désigner la présence de communautés de bactéries résidentes extrêmement complexes dans les diverses parties du poumon, en petite quantité mais très diversifiées et hyper-adaptées à leur environnement.

Le microbiote pulmonaire, facteur clé dans l’éducation du système immunitaire

Les fonctions du microbiote pulmonaire, comme celles du microbiote intestinal, sont en lien avec la maturation de l’immunité pulmonaire. Les études conduites chez la souris ont montré que pendant les deux premières semaines de vie, il y avait un retournement de situation avec un changement dans les genres bactériens présents dans le tractus pulmonaire, passant d’une majorité de Proteobacteria et de Firmicutes à l’apparition de Bacteroidetes anaérobies. Il semblerait que l’augmentation de la quantité de ces Bacteroidetes soit primordiale dans l’éducation du système immunitaire (immunité « acquise »), à l’origine de l’induction de la tolérance aux allergènes respiratoires et liée à l’émergence de cellules défensives de l’organisme, les lymphocytes T régulateur (7-8).

Mais le microbiote serait aussi en lien avec l’immunité cette fois-ci « innée », l’inflammation, observée dans un modèle expérimental de souris BPCO (9) ayant un phénotype (caractéristiques visibles d’un organisme) hyper-inflammatoire. Des chercheurs ont transféré le microbiote pulmonaire de ces souris BPCO à des souris exemptes de la maladie. Ces souris saines ont déclaré un phénotype hyper-inflammatoire. C’est la première preuve de concept que l’on peut transférer un phénotype (en l’occurrence ici, inflammatoire comme dans la BPCO) par une simple greffe de microbiote pulmonaire.

Une « signature microbienne » de la BPCO

Depuis 2010 environ, l’on sait qu’un déséquilibre dans la composition du microbiote ou « dysbiose » s’opère de manière similaire dans les maladies respiratoires chroniques, que ce soit l’asthme, la BPCO ou les maladies génétiques comme la mucoviscidose, avec une diminution de la diversité et du nombre de bactéries anaérobies (3-10). Mais lorsque l’on creuse encore plus loin dans l’analyse de la diversité microbienne (biomarqueur de la biodiversité cette fois-ci de type « Bêta ») on observe une forte corrélation entre certaines signatures microbiennes (compositions spécifiques) et des maladies respiratoires en particulier.

On passe à un niveau de complexité encore supérieur lorsque l’on descend jusqu’à l’espèce puis jusqu’à la souche bactérienne. Dans la mucoviscidose par exemple, certaines bactéries du genre Prevotella prolifèrent, faisant partie du microbiote résident. Sauf qu’au sein de ce même genre Prevotella, des espèces pathogènes vont, telle une association de malfaiteurs, favoriser l’installation dans le poumon de bactéries elles-aussi pathogènes du genre pseudomonas (en provenance de l’environnement- saprophytes), provoquant ainsi l’inflammation constatée dans la mucoviscidose.

Grâce à l’intelligence artificielle, le machine learning [apprentissage automatique, ndlr] *, les chercheurs sont désormais en mesure d’analyser les milliards de données disponibles sur le microbiote. C’est un formidable outil de compréhension de la physiopathologie de la maladie. C’est aussi potentiellement un nouvel axe de diagnostic (en identifiant une maladie par sa « signature microbienne ») et de suivi en référence à la médecine « sur-mesure » des 4P*, voire de traitement en pneumologie.

En bref-La faible densité bactérienne du microbiote respiratoire contrebalance une large biodiversité.

-La biodiversité du microbiote est un marqueur de la santé respiratoire.

-Des perturbations dans le temps et dans la composition de cette biodiversité microbienne ont été identifiées dans certaines maladies respiratoires chroniques dont la BPCO.

* Champ d’étude de l’intelligence artificielle, concerne la conception, l’analyse, le développement et l’implémentation de méthodes permettant à une machine d’évoluer par un processus systématique.

** La médecine « 4P » du XXIème siècle : une médecine personnalisée, préventive, prédictive et participative

 

Hélène Joubert, journaliste, en direct du 22e Congrès de Pneumologie de Langue Française (26-28 janvier 2018, Lyon)

Références :

(1) li et al. PloS One 2012 ; (2) Lloyd-Price et al. Genome Med 2016 ; (3) Marsland et al. Nature Rev immunology 2014 ; (4) Lloyd-Price et al. Nature 2017 ; (5) Dickson et al. AJRCCM 2017 ; (6) Guilloux et al. Médecine/Sciences 2018 ; (7) Yun et al. PloS One 2014 ; (8) Gollwitzer et al. Nat Med 2016 ; (9) Yadava et al. AJRCCM 2016 ; (10) Dickson et al. Annu Rev Physiol 2015

Légende visuel : Bactérie E-Coli

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