Témoignages

Dites-nous Dany Piano, « si vous étiez… » ? 

L’emphysème, la transplantation pulmonaire, et toujours le piano… Danièle Porre, que tout le monde connaît sous le nom de « Dany Piano », se prête au jeu du « Si j’étais… » pour ce « portrait chinois » qui met en lumière sa vision de la vie, ses coups de cœur, ses combats…

Dany Piano

Dany Piano a précisément 60 ans. Elle réside près de Toulon et exerce en tant que professeure de piano pour les jeunes, et les moins jeunes. Mais l’enseignement du piano dépasse chez elle le cadre habituel et cette femme (hyper)active s’investit auprès des personnes autistes, des accidentés de la route et des malades insuffisants respiratoires. Ces derniers, elles les comprend particulièrement bien, puisque c’est son cas. Sa maladie respiratoire, un emphysème sévère, lui laissait peu de temps à vivre. En avril 2018, elle bénéficie d’une double transplantation pulmonaire. Comme pour beaucoup de personnes concernées, l’opération n’était pas une évidence : « Ma forte réticence était alimentée par les avis divers, ce que je lisais sur internet et le souvenir tristement marquant d’une de mes jeunes élèves il y a une trentaine d’années. Mais aussi, de manière surprenante, des mises en garde choquantes de la part de certains personnels médicaux et paramédicaux rencontrés lors des différentes consultations dans les centres de santé. Leur discours, dénué d’empathie et de tact, me laissait entrevoir une issue sombre. »

Alors qu’elle repousse l’échéance, son état se détériore en l’espace de six mois. Ayant frôlé l’urgence absolue, elle se résigne finalement, consciente qu’il lui « reste peu de temps à vivre ». 21 jours après avoir été inscrite sur la liste d’attente des demandeurs d’organes, elle est admise à l’hôpital. Puis Dany reprend rapidement le fil de sa vie et, quatre mois plus tard, elle est de nouveau au travail, devant son piano et ses élèves. « Il aura fallu un an de kinésithérapie pour que je récupère mes capacités physiques », se remémore-t-elle. « Cependant, dès le début, tout allait bien du point de vue respiratoire. Aujourd’hui, mon volume expiratoire maximal seconde (VEMS) a considérablement progressé, même depuis l’intervention. » [Le VEMS correspond, normalement, à 80 % du volume maximal inspiré. S’il est inférieur, cela dénote une diminution du débit, et donc une obstruction des voies respiratoires, ndlr].

En 2023, soit 5 ans après l’intervention, Dany fait partie des individus que la transplantation a sauvés. Dans le but de sensibiliser au don d’organes, elle a rassemblé plus de 200 personnes début juillet 2023 : des enfants, des patients et des soignants se sont réunis lors d’un concert de piano dans les jardins de l’hôpital Renée Sabran. Cet établissement de santé, affilié aux Hospices civils de Lyon, se trouve en Paca sur la presqu’île de Giens. Elle connaît bien cet endroit, ayant suivi des stages de réadaptation respiratoire et intervenant aujourd’hui en collaboration avec les ergothérapeutes pour aider les patients grâce aux boomwhackers (tubes en plastique où chaque couleur correspond à une note). « Cela apporte une réelle joie aux patients. Ils oublient un instant leur maladie. Le côté ludique de cet instrument est qu’on peut jouer sans connaître le solfège et on rit comme des fous ! » Le concert a été un succès : « J’ai reçu tellement de retours enthousiastes, reconnaissants et sincères », se réjouit-elle. « Le bonheur et la joie que cet évènement a générés m’ont submergée et convaincue de continuer. »

Si vous étiez un slogan pour la Journée nationale de réflexion sur le don d’organes et la greffe ? 

Si j’étais un slogan pour la Journée nationale de réflexion sur le don d’organes et la greffe, je serais certainement « Communiquer, pour mieux anticiper ». Ce choix diffère nettement du slogan souvent entendu, à savoir « Tous donneurs, tous receveurs ». Ce dernier ne me convainc pas, car la décision de donner ses organes, ou d’obtenir le consentement des proches pour donner les organes d’un être cher en cas de décès soudain, n’est pas simple. Le réflexe compréhensible est de refuser. Il y a encore trop peu d’informations accessibles au grand public, et le sujet demeure un tabou important. Les gens sont souvent pris au dépourvu. C’est pourquoi il est essentiel d’en parler, de poursuivre les campagnes et les actions de sensibilisation en faveur du don d’organes.

Les croyances religieuses, le manque de connaissances, les idées préconçues, les traditions sont autant de freins potentiels qu’il faut surmonter bien avant le décès, afin que chacun soit préparé lorsqu’il est confronté au décès brutal d’un enfant, d’un proche. Sans donneur, je ne serais plus là. Cependant, je connais des personnes greffées qui ne souhaitent pas donner leurs organes à leur mort. Cela montre le chemin qu’il nous reste à parcourir. Nous devons communiquer, échanger, demander à nos proches ce qu’ils souhaitent à leur mort sur cette question, et pas seulement à l’occasion de la Journée nationale de réflexion sur le don d’organes. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Mais cela épargne bien des souffrances.

Si vous étiez un état d’esprit ? 

Si j’étais un état d’esprit, je serais hyper-optimiste ! Autrefois, j’étais plutôt hypocondriaque, mais depuis ma greffe, je n’ai plus peur de rien. J’ai le sentiment d’avoir reçu une mission sur terre qui consiste à aider les gens malades dans leur démarche vis-à-vis de la greffe. Leur peur est tout à fait compréhensible, et je pense que mon optimisme peut les soutenir. Cependant, il est essentiel de souligner que mon expérience personnelle, bien que belle, ne doit pas faire oublier les difficultés, les échecs et les souffrances que peut rencontrer une personne greffée tout au long de son parcours.

Je m’oppose aux statistiques que l’on présente aux patients en pré-greffe, souvent démoralisantes. Ce ne sont que des chiffres. Bien sûr, il est important de ne pas occulter la vérité et de ne pas promettre un dénouement heureux à chacun, mais le message est parfois délivré de manière agressive par certains soignants à des personnes déjà terrifiées par l’intervention et l’avenir. J’ai vu des personnes dont c’était la dernière chance renoncer à la greffe à cause de cela. C’est une réalité vécue. Nous sommes tous uniques, et toutes les histoires existent.

Si vous étiez une phrase d’encouragement ? 

Si j’étais une phrase d’encouragement, je dirais : « Un éléphant, tu ne peux pas le manger entier. Il faut le couper en petits bouts. » Je partage souvent cette phrase avec les élèves qui trouvent la tâche difficile, mais aussi avec les patients et autres personnes que j’aide : un pas après l’autre… Il faut croire en ses rêves.

Si vous étiez un moment du quotidien ? 

Si j’étais un moment du quotidien, je serais celui de procrastination. C’est mon moment de pause, où je lâche tout et ne pense plus à rien, pleinement dans le moment présent. Cela me régénère, peu importe le moment de la journée. Ensuite, je reprends avec énergie !

Si vous étiez un trait de caractère ? 

Si j’étais un trait de caractère, je serais la résilience, accompagnée d’une joie de vivre grandissante. Je cherche à partager cette joie de vivre avec autant de personnes que possible. Je suis naturellement volontaire. Récemment, j’ai organisé un concert de piano pour sensibiliser à la cause du don d’organes le 2 juillet dernier à l’hôpital Renée Sabran (Hyères). J’ai réussi à mobiliser toutes les bonnes volontés parmi les soignants et les patients présents.

Sensibilisation sur le don d'organe et la transplantation pulmonaire

J’ai motivé deux associations de pneumologues, l’Association Provençale des Pneumologues Privés et Pneumovar, afin qu’elles financent la location du piano à queue. L’association Brind’air nous a également apporté son aide sur ce poste de dépense. La pneumologue Nadine Dufeu, qui me suit au centre de greffe, est venue représenter l’hôpital Nord de Marseille en jouant du piano. La pneumologue Mireille Padovani était présente avec son alto au sein de son orchestre de musique de chambre. Les patients et les soignants qui le souhaitaient nous ont accompagnés aux boomwhackers (tubes en plastique où chaque couleur correspond à une note).

Je saisis cette occasion pour remercier le pneumologue Laurent Mely, chef du Service des Maladies respiratoires et Centre de Mucoviscidose – Cadgène, ainsi que la directrice de l’hôpital, Magali Guerder, qui m’ont donné carte blanche pour l’organisation du concert. Mes remerciements s’étendent également au service communication, au service technique et au cuisinier qui nous a préparé un excellent repas.

Si vous étiez une qualité ? 

Si j’étais une qualité, je serais l’engagement. En tant que patiente partenaire ayant suivi une formation en février 2023, j’interviens activement dans le programme PEPS à l’Hôpital Renée Sabran, en soutien des patients avant et après leur greffe.

Je suis également hypersensible. J’ai la tendance à absorber la détresse des gens, malgré mes efforts pour me protéger. Pour ceux qui me connaissent, cela peut être perçu comme un défaut, mais à mon sens, c’est une qualité. Je tiens à souligner également mon bon cœur. Je mets souvent tout en œuvre pour aider et je considère le respect de ma parole comme une valeur essentielle, même si cela n’est pas toujours compris.

Si vous étiez un défaut ? 

Si j’étais un défaut, je serais mon hyperactivité et mon incapacité à bien évaluer mes limites. Je suis comme une « pile » constamment en mouvement, mais je ne perçois pas toujours les signes avant-coureurs. Lorsque je m’arrête enfin, il est parfois déjà trop tard. Par exemple, peu de temps après ma sortie du service de réanimation après la greffe, j’ai dit au kinésithérapeute : « Nous sommes mardi. Samedi je marche, débrouillez-vous. » J’ai ainsi pédalé avec un appareil adapté placé dans mon lit, m’épuisant au point d’atteindre mes limites physiques. Je ne sais pas bien gérer ces limites, et cela ne me sert pas de leçon. En effet, quelques jours après mon arrivée au centre Renée Sabran, j’ai fait livrer un piano et j’ai joué pendant trois heures d’affilée. Cette imprudence m’a épuisée au point que je n’ai pas pu jouer du piano pour le reste de mon séjour. Aujourd’hui, mis à part la prise des médicaments anti-rejets, je n’ai aucune contrainte médicale, sauf celle d’éviter la plongée sous-marine. Je cours, je marche, je monte les escaliers, je travaille… Ma vie est « normale ». C’est fabuleux. Inespéré. Je ressens une immense gratitude envers mon donneur et les chirurgiens.

Si vous étiez un voyage ? 🧳

Depuis ma greffe, je me suis lancée dans des activités comme le paddle et le vélo. J’ai même acheté un van pour explorer différents pays, en France et en Europe. J’ai réalisé plusieurs road trips, notamment au Portugal, aux Pays-Bas, en Italie et en Croatie. Une question qui revient souvent est : combien de temps après la greffe peut-on prendre l’avion ? Pour ma part, j’ai pu le faire dix mois après l’intervention ! L’année dernière, j’ai même exploré la Mer de Glace, située dans le massif du Mont-Blanc, à une altitude de 2700 mètres. Mon rêve depuis de nombreuses années est d’explorer la Norvège et d’atteindre le cap Nord. L’année prochaine, c’est promis, je le réaliserai !

Si vous étiez une femme célèbre ? 

Si j’étais une femme célèbre, je serais Lady Diana, en raison de son grand cœur et de son dévouement envers les autres.

Les compositeurs, les musiques d’hier et d’aujourd’hui que vous aimez tout particulièrement ? 🎶

En matière de compositeurs et de musiques, mes préférences sont très variées, à l’exception du « métal » et de la « techno ». Voici quelques-uns de mes coups de cœur : la « Rhapsody in Blue » de Gershwin, les « Quatre Saisons » de Vivaldi, les compositions de Rachmaninov, Debussy, Albéniz, Khachaturian, Chopin (une évidence), ainsi que l’immensité musicale de Bach, qui englobe tous les styles. J’apprécie également Erroll Garner, entre autres.

Dans un autre registre, j’admire le groupe PianoGuys pour leurs superbes reprises et le pianiste excentrique Chilly Gonzalez. Et bien sûr, je vibre au son de Queen, Coldplay, Muse, Florent Pagny, Soprano, Juliette Armanet, pour n’en nommer que quelques-uns. Il y en a tellement que je pourrais continuer longtemps. Cependant, s’il faut en choisir une, la chanson qui m’émeut particulièrement est « Oh Happy Day », dans la version du film Sister Act. Cette chanson me fait vibrer au plus haut point.

Pour aller plus loin

Site internet : https://danypiano.fr

YouTube : @DanyPiano83

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Propos recueillis par Hélène Joubert