L’interview du Pr Odile Launay, infectiologue au Centre d’investigation clinique en vaccinologie Cochin-Pasteur (Paris)
Quelles sont les spécificités de la recherche vaccinale contre le coronavirus ?
Pr O. Launay : « A ce stade des investigations, aucun obstacle insurmontable n’apparaît à la mise au point d’un vaccin. Mais les difficultés existent. A ce jour, nous ne connaissons pas de manière certaine et complète les mécanismes de défense de l’organisme humain contre ce coronavirus. Il semblerait qu’ils mobilisent à la fois les réponses humorale (la production d’anticorps par l’organisme) et cellulaire (via des cellules de défenses comme les lymphocytes cytotoxiques). Ces connaissances sont un préalable indispensable, d’autant que nous avons toujours la crainte d’induire la formation d’anticorps qui au contraire faciliteraient l’infection, à l’instar de ce qui avait été constaté avec le vaccin contre le virus respiratoire syncytial. Les expériences précliniques menées lors de l’épidémie de SARS-CoV-1 et de MERS font craindre des complications dites « immunopathologiques ».
Une bonne nouvelle est que nous ne disposons pas de données inquiétantes concernant une éventuelle propension du virus à muter au niveau du matériel génétique d’une protéine particulière de l’enveloppe du virus : la protéine S pour « spike », contre laquelle sont dirigés la majorité des vaccins candidats à l’étude actuellement. La protéine S sur l’enveloppe du virus a une affinité suffisante avec un récepteur des cellules humaines pour permettre l’entrée du virus à l’intérieur des cellules.
Les vaccins développés contre le Mers-CoV, Sras-CoV-1 ou la fièvre de Lassa, n’ont pourtant pas abouti après plusieurs années de recherche ?
En réalité, le développement de ces vaccins, comme ceux de médicaments contre les coronavirus, n’ont pas été un échec de la recherche. Il a été simplement interrompu car les épidémies se sont arrêtées. Et les financements avec.
A quel horizon pourrions-nous disposer d’un premier vaccin ?
Développer un vaccin prend généralement entre dix et quinze ans. Ce laps de temps a été réduit à cinq ans pour le vaccin contre Ebola. Le temps des essais cliniques est incompressible afin d’obtenir toutes les garanties d’efficacité et d’innocuité. Par exemple, pour le vaccin développé par l’Institut Pasteur, les premiers résultats d’efficacité chez l’animal sont attendus pour fin mai. Nous allons identifier les patients pour l’étude de phase 1 qui devrait débuter au début de l’été 2020. Il faudra patienter trois mois environ pour avoir les premiers résultats et – si le virus continue à circuler, ce qui est très probable- lancer dans la foulée une phase d’efficacité accélérée dont la durée minimale serait de six mois. En comptant la fabrication à large échelle du vaccin et si les résultats montrent une efficacité et une bonne tolérance, il serait envisageable d’en disposer à l’automne 2021. On ne voit pas comment obtenir un vaccin efficace dans des délais plus rapprochés.
Il s’agit d’une course contre le virus, et non pas entre scientifiques. De nombreuses pistes sont explorées, et il y aura de la place pour plusieurs vaccins. Il faudra en effet être en mesure de vacciner l’ensemble de la population mondiale, et déterminer sur le moyen terme lequel affichera un meilleur rapport efficacité/tolérance et pourra être produit à grande échelle. »
Propos recueillis par Hélène Joubert
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