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Covid-19 : Faut-il tout miser sur le vaccin ?

Covid-19 : Faut-il tout miser sur le vaccin ?

Vaccin et Covid-19 : « A moins d’un taux d’efficacité très élevé et d’une couverture vaccinale qui semble irréaliste, un vaccin seul ne permettra pas un retour à la normale rapidement ». Dr Marie-Paule Kieny

 

Dr Marie-Paule Kieny, vaccinologue, directrice de recherche Inserm et présidente du Comité scientifique Vaccin COVID-19 français

Le vaccin contre le SARS-CoV-2 est souvent présenté comme le Graal. Bientôt sept mois après le début de la pandémie, de nombreux débats, des controverses scientifiques et des stratégies politiques autour des vaccins susceptibles d’être efficaces contre la Covid-19, quelles sont les avancées officiellement reconnues ?  Le Dr Marie-Paule Kieny, vaccinologue, directrice de recherche Inserm et présidente du Comité scientifique Vaccin COVID-19 français est confiante, mais se défend de tout miser sur la solution vaccinale.

Avec un vaccin contre le SARS-CoV-2, la menace de la Covid-19 prendra-t-elle fin ?

Dr M.L Kieny : C’est, à mon sens, placer trop d’espoirs dans le vaccin. Le vaccin sera certes un élément supplémentaire important dans la lutte contre le nouveau coronavirus, mais il faudra conserver dans les premiers mois voire les deux prochaines années les mesures de distanciation sociale et le port du masque dans les endroits confinés et ce, vraisemblablement jusqu’à ce que le taux de transmission R0 (le potentiel du virus à se transmettre d’une personne contaminée à une autre non malade) descende, de manière stable, à un niveau bien en deçà de 1. Nous pourrions cependant vivre un peu plus « normalement », sans relâcher pour autant la vigilance. Mais la vie « d’avant » ne reprendra pas dès l’arrivée d’un vaccin, d’une part parce qu’il est illusoire de penser qu’il sera protecteur à 100 %, a fortiori au sein de toutes les tranches d’âge et, d’autre part, parce qu’il ne sera pas possible de vacciner toute la population d’emblée. Il n’y aura d’ailleurs pas un seul vaccin mais probablement plusieurs, dont les efficacités seront peut-être différentes vis-à-vis de la maladie, de la transmission virale et de l’âge. Certains vaccins pourraient ainsi être plus appropriés à certaines populations.

Justement, des chercheurs de la CUNY Graduate School of Public Health and Health Policy de New York ont modélisé l’efficacité potentielle que devrait atteindre un vaccin pour éteindre l’épidémie. Si la couverture vaccinale atteignait 75 %, l’efficacité du vaccin devrait avoisiner les 80 %. Quelle devrait être l’efficacité minimale d’un vaccin pour qu’il soit homologué ?

Dr M.L Kieny : Les résultats de cette modélisation ne veulent pas dire pour autant qu’un vaccin avec une efficacité moindre ne serait pas utile, notamment en réduisant l’engorgement du système de santé et en évitant potentiellement la mise sous ventilation artificielle de plusieurs millions de personnes. En étant administré aux publics fragiles, un vaccin pourrait limiter la plupart des cas graves. A ce stade, les données de sécurité et d’immunogénicité chez l’homme et chez l’animal laissent espérer que les vaccins qui sont en phase 3 pourraient être efficaces. Avec quelle efficacité et pour combien de temps ? Les interrogations restent complètes. Le seuil jugé « acceptable » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été fixé à 50 %. La Food and Drug Administration américaine a prévenu qu’elle autoriserait un vaccin seulement si ce dernier montrait une efficacité également supérieure à 50 %.

Cette efficacité est mesurée en fonction des cas de Covid symptomatiques : le nombre de personnes vaccinées par rapport aux personnes non vaccinées qui feront une Covid symptomatique. Il ne faut pas non plus négliger l’efficacité vis-à-vis de la transmission, car on souhaite bien évidemment que les personnes vaccinées et protégées contre la maladie (tout en étant potentiellement infectées) ne transmettent pas le virus. Enfin, pour parer au phénomène d’immunosénescence (baisse des défenses immunitaires avec l’avancée en âge), les candidats vaccins devront faire état d’une efficacité satisfaisante dans cette population âgée particulièrement vulnérable à la Covid-19. A ce jour, malgré l’immunosénescence, certains vaccins ont démontré en phase 1-2 des réponses immunitaires satisfaisantes chez les personnes âgées. Par ailleurs, des rappels seront envisageables, au moyen de vaccins de même nature ou potentiellement différents.

Quels sont les délais raisonnables pour espérer un vaccin en France et dans le monde ?

Dr M.L Kieny : L’OMS a annoncé le 4 septembre ne pas s’attendre à une vaccination généralisée contre la Covid-19 avant mi-2021. Des pistes sérieuses existent pour le début de l’année 2021, estimait Olivier Véran récemment. Je pense que c’est en effet raisonnable et je pencherais au mieux pour une mise à disposition auprès des publics prioritaires au cours du premier trimestre 2021 avec une vaccination proposée à la population générale lors du second trimestre. Pour illustrer un scénario possible, prenons l’exemple du vaccin de la biotech Moderna (mRNA-1273), pour lequel deux administrations de vaccin avec un mois d’intervalle sont nécessaires. Vers la fin août, ils avaient recruté la moitié des 30 000 sujets prévus pour la phase 3. Les 15 000 volontaires restants seront vraisemblablement recrutés avant fin septembre. Fin octobre, la totalité de la cohorte aura reçu le vaccin et son rappel. En fonction de l’intensité des infections dans la zone géographique d’étude, il faudra quelques semaines pour observer les 150 infections nécessaires pour évaluer les paramètres d’efficacité. Des résultats pourraient donc émerger au mieux courant novembre 2020. Après présentation à l’agence réglementaire européenne, une autorisation d’utilisation dans le cadre d’une procédure d’urgence pourrait ensuite être accordée, pour autant que l’efficacité soit jugée suffisante. Une évaluation de la durée de protection prendrait une année a minima. Ces derniers temps, les communications scientifiques se font malheureusement beaucoup par voie de presse et par effets d’annonce. Depuis le début de l’épidémie, les procédures scientifiques et réglementaires sont polluées par les annonces et les tweets motivés par des stratégies politiques. Exemple récent, aux Etats-Unis, les autorités sanitaires (Centers for Disease Control and Prevention) ont demandé sous la pression du président Trump aux États fédérés de se préparer à être « complètement opérationnels d’ici le 1er novembre 2020 » pour vacciner larga manu avant la date des élections présidentielles. C’est un coup politique scandaleux. Le processus scientifique ne doit pas être balayé par des considérations politiques, même si l’anticipation est indispensable. A ce titre, chaque pays a pris les devants avec des contrats de réservation. Les Etats-Unis, l’Europe et les autres pays riches ont déjà réservé les premières doses. Le total est d’au moins 3,1 milliards de doses réservées ou acquises.

Reprenant différentes contributions, dont celles de l’European Center for Disease Control pour la commission européenne, de l’Advisory Committee on Immunization Practices pour les États-Unis et de celle des experts du groupe CARE, du Comité scientifique Covid-19 et du Comité Vaccin Covid-19 publiée le 24 juillet dernier, la HAS a le 28 juillet imaginé quatre scénarios pour anticiper la stratégie vaccinale contre le COVID-19. Qui sera vacciné en priorité ?

Dr M.L Kieny : Cela dépendra d’une part de la situation épidémique (forte circulation virale au niveau national, forte circulation virale localisée sur certains territoires, circulation virale à bas bruit, absence d’indicateur de circulation virale) et de l’efficacité du vaccin. La HAS considère toutefois que, dans tous les scénarios envisagés, les professionnels de santé (dont les médecins généralistes) et du médico-social de première ligne constitueront les cibles prioritaires incontournables de la vaccination répondant aux objectifs de prévention individuelle, collective et de maintien des activités essentielles du pays en période épidémique. Par ailleurs, les personnes à risque de formes graves (âgées de plus de 65 ans et celles présentant une maladie associée/comorbidité) seront également prioritaires. L’OMS a prévu une vaccination en trois vagues, la première correspondant à environ 3 % de la population avec les travailleurs de première ligne dont les soignants hospitaliers et de ville. La seconde vague (20 % de la population) correspondrait aux personnes vulnérables et âgées. La troisième vague concernerait le reste de la  population. Cela correspond globalement aux recommandations françaises.

Olivier Véran espère que de nombreux citoyens auront « naturellement et spontanément » envie de se protéger. Mais comme une stratégie fondée uniquement sur des choix individuels peut manquer d’efficacité, le terme d’obligation vaccinale sera-t-il prononcé ?

Dr M.L Kieny : Cela n’est ni souhaitable ni envisageable. Si une seconde vague de COVID-19 arrive, sévère, et si les mesures pour limiter l’impact humain, économique et social s’avèrent très contraignantes, les individus se porteront plus volontiers volontaires pour se faire vacciner. On peut espérer que la confiance augmentera au fur et à mesure que le nombre de personnes vaccinées progressera. Il faudra faire preuve de beaucoup de pédagogie. En revanche, si la seconde vague est limitée et que le port du masque devient la nouvelle norme, la vaccination sera peut-être plus limitée.

Les bémols émis au printemps sur une possible réinfection par le SARS-CoV-2 et aussi sur la durée de l’immunité des personnes qui ont été infectées ont-ils été balayés et peuvent-ils avoir des conséquences sur l’efficacité de la vaccination ?

Dr M.L Kieny : Des cas de réinfections ont effectivement été notifiés, mais on ne connaît pas la fréquence de ce phénomène. Par ailleurs, ça n’est pas parce que l’immunité acquise suite à la maladie serait de courte durée (laquelle varie en fonction de la gravité de la maladie, avec des taux d’anticorps neutralisants beaucoup plus élevés chez ceux qui ont fait des formes graves comparé aux formes légères et asymptomatiques), que celle acquise par la vaccination le sera également. En effet, la présentation des antigènes viraux de la protéine Spike (protéine de surface, porte d’entrée du virus dans la cellules de l’hôte) est totalement différente entre les vaccins et l’infection naturelle (NB : la plupart des vaccins mettent en jeu des technologies basées sur les acides nucléiques, des virus non-pathogènes « navettes » ou des adjuvants).

Propos recueillis par Hélène Joubert, journaliste.

Une petite dizaine de vaccins en phase 3
La course au vaccin contre la Covid-19 entre dans la dernière ligne droite. Plus de 200 vaccins sont actuellement en développement à travers le monde, dont huit ont prouvé leur immunogénicité dans les phases 1-2 d’essais cliniques et sont entrés en phase 3 (la dernière phase d’étude avant la commercialisation), où ils sont testés sur des dizaines de milliers de participants.

 – Le projet de la biotech Moderna (mRNA-1273, exploitant l’ARN message du virus), associée au National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID) américain, est en phase 3 depuis le 27 juillet.
 
– En Grande-Bretagne, celui d’AstraZeneca (AZD1222) en partenariat avec l’université d’Oxford et le National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID) est également en phase 3 et pourrait, selon le directeur général du laboratoire pharmaceutique, être livré d’ici à « la fin de l’année ». Le vaccin utilise un adénovirus de chimpanzé non réplicatif pour délivrer une protéine de surface (protéine S pour Spike) du SRAS-CoV-2. Il est considéré comme le plus avancé.
 
– La biotech allemande BioNTech et l’américain Pfizer (en partenariat avec le chinois Fosun Pharma) développent un autre vaccin candidat à ARNm (BNT162b2) et ont débuté l’évaluation clinque le 27 juillet.
 
– Quatre vaccins chinois sont également en phase 3. Les trois premiers sont des vaccins inactivés dont le CoronaVac (laboratoire chinois Sinovac Biotech) testé notamment au Brésil et en Indonésie sur des milliers de participants, et deux vaccins de la compagnie pharmaceutique étatique Sinopharm. Le quatrième, utilisant un adénovirus humain recombinant de type 5 (rAd5-S) est produit par la société CanSino.   
 
– En Russie, les résultats d’un essai clinique de phase 1 avec le vaccin Spoutnik V – un vaccin composés de deux vecteurs adénovirus administrés successivement avec un mois d’intervalle : l’adénovirus humain recombinant de type 26 (rAd26-S) et l’adénovirus humain recombinant de type 5 (rAd5-S) – mené en juin-juillet de cette année et impliquant 76 participants, ont été publiés. Un essai clinique de phase 3 sur 40 000 personnes a été lancé fin août.
 
Tous ces vaccins promettent des chiffres d’efficacité pour octobre ou novembre prochains. Le laboratoire français Sanofi Pasteur vient juste de démarrer début septembre un essai clinique de phase 1-2 sur l’homme avec un vaccin fondé sur une protéine Spike recombinant et qu’il développe avec le britannique GSK qui fournit l’adjuvant. 
 
Pour en savoir plus :
 
Dans le cas des coronavirus, l’antigène d’intérêt est la protéine de surface (protéine S pour spike) que le virus utilise pour se lier et fusionner avec les cellules humaines à partir de laquelle ils produisent une réponse anticorps qui pourrait être protectrice. Les vaccins explorent des « plateformes » distinctes :

–       Les vaccins vivants atténués sont des virus SARS-CoV-2 affaiblis qui ne peuvent plus rendre malade
–       Les vaccins inactivés sont basés sur un virus SARS-CoV-2 tué avec des agents chimiques et formulés avec un adjuvant
–       Les vaccins sous-unités contiennent des protéines du SARS-CoV-2 produites dans des fermenteurs, purifiées et formulées avec un adjuvant
–       Les vecteurs recombinants viraux – réplicatifs ou non – sont basés sur des virus non-pathogènes qui transportent les instructions génétiques du SARS-CoV-2 dans les cellules hôtes, où elles sont traduites en protéines
–       Les vaccins génétiques (à ARN messager, à ADN) adoptent une approche nouvelle qui n’avait jusqu’à présent pas encore démontré son efficacité chez l’homme. Ces vaccins délivrent des acides nucléiques nus ou encapsulés dans une nanoparticule porteuse.

L’immunité conférée par un vaccin passe à la fois par la production d’anticorps mais également par l’activation des lymphocytes T auxiliaires CD4 + et des lymphocytes T cytotoxiques CD8 + (lymphocytes T tueurs).
Les deux tiers de la population mondiale se feraient vacciner contre la COVID-19 !
Selon une enquête du Forum économique mondial/Ipsos (20 000 personnes interrogées entre le 27 juillet et le 7 août 2020 dans 27 pays) publiée le 31 août dernier, 74 % de la population se déclarent prêts à se faire vacciner contre la COVID-19. Un refus de la part de 26 % n’est cependant pas négligeable. Les plus récalcitrants se trouvent en Russie, en Pologne, en Hongrie mais aussi en France où seuls 59 % l’accepteraient. Les personnes qui hésitent à se faire vacciner s’inquiètent avant tout des effets secondaires, devant le souci de l’efficacité. La Chine se distingue par son optimisme (87 % des Chinois s’attendent à un vaccin disponible cette année) alors que la majorité du public des autres pays n’y croit pas avant 2021. En France, seule la vague 1 de l’enquête Coconel (fin mars) s’était intéressée aux intentions des Français. A l’époque, à replacer dans le contexte d’une hausse continue des décès, un quart des Français aurait pourtant refusé de se faire vacciner, dont 18 % des 66-75 ans et 22 % des plus de 75 an
Le vaccin antigrippal, indispensable en cas de rebond épidémique
« Une politique judicieuse serait d’augmenter la couverture vaccinale antigrippale, approuve le Dr Kieny, pour limiter à l’automne le spectre d’une épidémie jumelle grippe et Covid-19 et pour éviter de confondre une grippe avec la Covid-19, tout en limitant le risque d’hospitalisation et de décès. » De plus, toute infection chez une personne souffrant d’une maladie respiratoire obstructive peut aggraver une situation précaire du point de vue respiratoire et conduire à l’hospitalisation voire au décès. D’où l’importance de la vaccination antigrippale mais aussi anti pneumococcique, surtout chez les individus vulnérables comme les insuffisants respiratoires. Malgré cela, la couverture antigrippale des personnes à risque n’est pas très élevée (45 % pour la saison 2019-2020), pas plus que celle des soignants (un médecin sur deux, une infirmière ou sage-femme sur quatre et une aide-soignant sur dix). De nombreuses voix s’élèvent actuellement pour que la vaccination antigrippale devienne obligatoire chez les soignants.
Mêmes recommandations de prévention avec la vaccination contre le rotavirus : en prévision d’une circulation active du SARS-CoV-2 cet hiver, l’Académie nationale de médecine et l’Association française de pédiatrie ambulatoire la recommandent afin de limiter la confusion entre les deux infections, les tests RT-PCR inutiles et les hospitalisations des nourrissons pour gastroentérite (31 000 passages aux urgences, 14 000 hospitalisations et une dizaine de décès annuels)

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