L’espoir d’une vaccination dès début 2021 en France se concrétise
Alors qu’une embellie s’amorce et que le nombre d’hospitalisations pour COVID-19 diminue régulièrement en France, la course aux vaccins s’accélère avec, coup sur coup, les annonces de résultats d’efficacité de deux vaccins exploitant l’ARN messager du SARS-CoV-2 : celui de BioNTech/Pfizer (BNT162b2) le 9 novembre, et celui de la société américaine Moderna (mRNA-1273) le 16 novembre. Au coude-à-coude, le premier affiche une efficacité de 95 % et le second de 94,5 %.
Le Pr Marie-Paule Kieny, vaccinologue, directrice de recherche Inserm et présidente du Comité scientifique vaccin COVID-19 français, est confiance quoique prudente, mais n’exclut pas un démarrage de la vaccination début janvier 2021 et une amplification au cours du premier et second trimestres. Un calendrier confirmé par le Président Emmanuel Macron dans son allocution du 24 novembre, avec une première campagne de vaccination, « dès la fin décembre-début janvier », pour les personnes « les plus âgées ».
La technologie ARN, rapide à mettre en œuvre tant dans la conception du prototype que de la fabrication elle-même, coiffe au poteau ses concurrents ; par exemple, le vaccin Sanofi-Pasteur est plus long à fabriquer, conçu à partir d’une protéine purifiée issue d’une fermentation de cellule d’insecte. Quant aux résultats du vaccin d’Astra-Zeneca-Oxford (vaccin à adénovirus de chimpanzé) sortis le 23 novembre, ils méritent une analyse approfondie et l’obtention des résultats finaux : le groupe ayant reçu une demi-dose suivie d’une dose complète affiche une efficacité de 90 % versus 62 % dans le groupe ayant reçu deux doses complètes. Des résultats qui intriguent et qui imposent de patienter jusqu’à la fin de l’essai clinique.
Quand peut-on vraiment espérer un premier vaccin en France ?
A ce stade, il faut prendre ces résultats sur les candidats vaccins à ARNm pour ce qu’ils sont : des communiqués de presse. Aucun de ces résultats n’a encore été soumis à relecture par des pairs. De nombreux points restent à clarifier et en premier lieu la durée de protection. « Les taux annoncés d’efficacité sont mesurés 10 à 15 jours post-vaccination, soit au moment du pic de la réponse immunitaire, précise le Pr Marie-Paule Kieny. Or, personne ne connaît la vitesse de déclin de cette réponse et donc la durée de la protection. Munis des données sur la baisse de l’immunité à 3 et 6 mois, il sera peut-être possible de dessiner une pente de décroissance, mais dont la fiabilité ne sera pas garantie. »
De plus, les données d’efficacité selon la catégorie de la population et notamment chez les plus âgés ne sont pas connues. D’après les communiqués, il n’y aurait pas de différence d’efficacité selon l’âge. Mais la puissance statistique sera-t-elle suffisante pour apporter des réponses selon les sous-groupes ?
BioNTech/Pfizer a déjà déposé une demande d’autorisation de commercialisation d’urgence auprès de la Food and Drug Administration (FDA) américaine et s’apprête à faire de même auprès de l’EMA, l’Agence européenne du médicament. Moderna suivra dans quelques jours. La FDA a demandé que les dossiers qui leur sont soumis contiennent les données de sécurité avec un recul de deux mois au minimum chez au moins la moitié des participants vaccinés. L’instruction devrait être rapide, d’autant que la FDA comme l’EMA ont mis sur pied une procédure accélérée qui leur permet d’examiner les données de sécurité et d’efficacité des vaccins au fur et à mesure de leur parution. « Une autorisation pour la mi-décembre est raisonnable, estime la virologue, et les opérations de vaccination pourraient même débuter en Europe début janvier 2021, en fonction des calendriers de livraison. Le gouvernement français a déjà signé pour l’achat du vaccins BioNTech/Pfizer et il semble que ce soit imminent pour celui de Moderna. La montée en puissance de la campagne de vaccination se fera au premier et second trimestres. »
Moncef Slaoui, responsable scientifique de l’opération Warp Speed déployée par le gouvernement américain*, est convaincu que l’autorisation de mise sur le marché interviendra pour Pfizer et Moderna dès la mi-décembre. Pfizer a d’ailleurs déjà lancé à la mi-novembre un programme pilote de livraison dans quatre États américains pour son vaccin contre la COVID-19.
Quelle protection attendre de ces vaccins ?
La mesure de l’efficacité vaccinale a porté sur les symptômes, et donc sur le fait de déclarer une Covid, quel que soit le niveau de gravité. Elle n’a pas été mesurée en fonction de la protection contre les formes graves. Les deux firmes ont néanmoins analysé le nombre de cas graves au sein de la population totale des études, avec une proportion bien supérieure chez les témoins que chez les vaccinés. Ceux qui seraient infectés malgré la vaccination pourraient donc développer – mais cela reste à démontrer – une certaine protection contre l’évolution vers une forme grave. Mais la puissance statistique pour se prononcer est assez faible : 11 cas de Covid sévère ont déjà été observés par Moderna lors de son essai clinique de phase III, tous dans le groupe placebo. « Cela semble indiquer que le candidat vaccin de la biotech américaine protégerait totalement contre les cas graves d’infection, souligne Marie-Paule Kieny. De plus, impossible de savoir aujourd’hui si le fait d’être infecté mais vacciné limite la possibilité de transmission du SARS-CoV-2. Les expériences conduites chez les primates non humains semble l’indiquer ; la quantité de virus présente dans la sphère avec les singes contrôles. Ce vaccin pourrait ainsi protéger, au moins dans une certaine mesure, contre la transmission virale. Difficile donc, à ce stade, d’envisager un changement de stratégie en ce qui concerne le dépistage (mais avec un résultat impérativement remis dans les 24 h au plus) et l’isolement des COVID positifs et même des cas contacts. »
Cette transmission virale limitée par la vaccination – si elle est confirmée – pourrait être un argument en faveur d’une vaccination plus large des populations et donc donner à envisager un taux de couverture vaccinale relativement important. Déjà, BioNtech/Pfizer élargit ses critères d’inclusion dans ses études aux enfants en dessous de 12 ans.
Quelle surveillance mettre en place avec ces vaccins ?
Ces vaccins délivrent des acides nucléiques nus ou encapsulés dans une nanoparticule porteuse. Une fois que l’ARN est injecté, il pénètre dans les cellules où il permet la production de la protéine de surface du SARS-CoV-2, la protéine Spike, et il est ensuite détruit. Cet ARN ne s’intègre donc pas au génome humain composé d’ADN. Mais une technologie nouvelle suscite souvent l’inquiétude, d’où l’importance de la pharmacovigilance vis-à-vis des effets secondaires inattendus, même si à ce jour aucun signal alarmant n’a été rapporté . « Il faut souligner que ces vaccins sont assez réactogènes, révèle le Pr Kieny : chez une proportion significative des volontaires (de quelques pourcents à quelques dizaines de pourcents des personnes vaccinées, selon la réaction concernée), les effets secondaires apparaissant dans les 24 h sont bien plus forts que pour le vaccin antigrippal, par exemple. » Les médecins, généralistes et spécialistes auront de ce fait un rôle à jouer dans la surveillance des effets secondaires de ces vaccins, en faisant remonter au plus vite les signalements inattendus.
Quant au risque de réinfection plus grave par le SARS-CoV-2 chez les personnes vaccinées (phénomène appelé ADE – Antibody-dependent enhancement – de facilitation de l’entrée du virus dans la cellule par les anticorps fabriqués lors de la vaccination), c’est un point à surveiller même si aucun signal n’est encore apparu. A l’instar du cas du vaccin contre la dengue, lequel n’est plus recommandé que chez les personnes ayant déjà été infectés par le virus de la dengue, afin d’éliminer la survenue d’ADE.
Quelle serait la stratégie vaccinale avec ces vaccins à ARNm ?
En attendant les recommandations de la Haute autorité de santé prévues pour début décembre, en France comme dans d’autres pays selon les préconisations de l’OMS, et tant que les vaccins seront une denrée rare (deux doses à deux ou trois semaines d’intervalle sont nécessaires avec la plupart des vaccins en cours de développement), la priorité sera donnée aux travailleurs de santé en première ligne, sur une base de volontariat, et aux personnes les plus vulnérables (les 65 ans et plus, celles avec des maladies sous-jacentes dont les maladies respiratoires chroniques). Cela représente un peu plus de 25 % de la population française. « Bien sûr, cette stratégie se fonde sur l’hypothèse que l’efficacité vaccinale reste élevée chez les plus âgés, ce qui n’est pas encore démontré, rappelle le Pr Kieny. En effet, l’immunogénicité des vaccins (capacité à provoquer une réponse immunitaire) souvent amoindrie chez eux en raison de l’immunosénescence (efficacité du système immunitaire en perte de vitesse à cause du vieillissement). »
Vacciner les clusters en post exposition est une approche scientifique pertinente en discussion (par exemple, vacciner l’ensemble des pensionnaires d’un EHPAD lorsque qu’une proportion d’entre eux est Covid +). Vacciner les cas contacts de ces clusters également. Quant à la vaccination des cas contacts en population générale, il est trop tôt pour se prononcer. Enfin, on n’a aucun indice quant à l’efficacité des vaccins chez les personnes déjà infectées ou qui incubent la maladie.
La rapidité de la vaccination de l’ensemble des personnes prioritaires dépendra des modalités de vaccination (médecins généralistes, cliniques, infirmiers ou centres de vaccination dédiés à la Covid-19), elles-mêmes liées au type de vaccin. En effet, le vaccin BioNtech/Pfizer requiert un froid polaire (-70 °C puis entre 2° et 8° C les trois derniers jours) quand celui de Moderna peut se conserver 30 jours entre 2 et 8°C. Le conditionnement joue aussi, avec des flacons multidoses, a priori de dix doses, à cause de la difficulté de les enflaconner individuellement et de la disponibilité des flacons eux-mêmes. Cela obligera à vacciner dix personnes dans la journée dès l’ouverture du flacon.
Quel vaccin choisir ? Selon la spécialiste, « il ne sera sans doute pas nécessaire de choisir l’un des deux vaccins, d’une part du fait de leur efficacité similaire, et d’autre part parce que les pays sont dépendants des capacités de production et d’acheminement. »
Hélène Joubert, journaliste
* L’Opération Warp Speed est un partenariat public-privé, initié par le gouvernement américain pour faciliter et accélérer le développement, la fabrication et la distribution de vaccins, de produits thérapeutiques et de diagnostics COVID-19.