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Cancer du poumon : l’expérience nationale de dépistage organisé est lancée !

Le dépistage organisé du cancer du poumon permet de sauver 5 vies pour 1 000 personnes dépistées. Autorités de santé et sociétés savantes sont toutes d’accord sur le fait que la mise en place de ce type de dépistage chez les grands ou ex-grands fumeurs se justifie pleinement. Reste à en définir les modalités dans le contexte français. A cette intention, l’Institut national du cancer lance en cette fin avril la première expérimentation au niveau national. L’association Santé respiratoire France compte beaucoup sur cette expérimentation pour déployer le plus rapidement possible et à large échelle la prévention de ce cancer encore trop meurtrier, responsable de plus de 33 000 décès chaque année.

Le dépistage organisé, c’est-à-dire dépister une population ciblée de manière systématique, du cancer bronchopulmonaire est dans les tuyaux. Au contraire des cancers colorectaux, du sein et du col de l’utérus, celui-ci ne fait, jusqu’à présent, pas l’objet d’un programme de dépistage organisé. En 2021, lors du lancement de la stratégie décennale de lutte contre les cancers (1), le président de la République avait affirmé une volonté de faire avancer les choses, en particulier dans le cancer du poumon. « Fixons-nous une priorité, avait déclaré Emmanuel Macron, que d’ici à quelques années, nous ayons déployé pour le cancer du poumon des campagnes au moins aussi efficaces que celles qui ont déjà cours. » Alors que les États-Unis et la Chine ont déjà franchi le pas et mis en place un dépistage ciblé de routine, qu’une trentaine d’experts cancérologues, pneumologues et radiologues français étaient montés au créneau en 2018 pour réclamer la mise en place d’un dépistage au moins individuel par scanner thoracique faiblement irradiant, la Haute autorité de santé (HAS) s’était en février dernier rangée à leur avis en donnant son feu vert (2). Elle écrivait noir sur blanc que le dépistage organisé est bel et bien pertinent parmi les groupes à risque de cancer du poumon avec une estimation de 5 vies sauvées pour 1 000 personnes dépistées. L’instance rejoignait ainsi l’avis de la Société d’imagerie thoracique, du Groupe Oncologie de la Société de pneumologie de langue française et de l’Intergroupe francophone de cancérologie thoracique. Elle émettait néanmoins de nombreuses réserves quant aux modalités de ce dépistage et à sa faisabilité, qu’elle considérait comme encore trop floues. Elle se positionnait donc en faveur d’études d’envergure en vie réelle, dont un programme pilote supervisé par l’Institut national du cancer (Inca). Avec cet avis rendu public, le la HAS avait donc ouvert début 2022 la voie à un dépistage organisé, que tous, de Thierry Breton, directeur général de l’Institut national du cancer (Inca) aux spécialistes, espèrent d’ici à cinq ans.

POURQUOI DEPISTER PRECOCEMENT LE CANCER DU POUMON EST UNE URGENCE…
– L’épidémiologie du cancer du poumon plaide en faveur du dépistage : en effet, le cancer bronchopulmonaire représente un lourd fardeau, tant sur le plan de sa sévérité (1ère cause de décès par cancer avec 33 100 décès annuels) que de sa fréquence (3ème rang des cancers incidents avec 46 300 nouveaux cas annuels).
 
– Bien que son incidence ait atteint un plateau chez les hommes, elle augmente fortement chez les femmes (+ 5,3 % par an).
 
– Aujourd’hui, la chirurgie curatrice ne peut être proposée qu’à moins de 25 % des patients car plus des deux tiers des cancers du poumon sont soit diagnostiqués à un stade trop avancé, soit associés à des maladies contre-indiquant la chirurgie.
Dr Olivier Leleu, pneumologue au Centre hospitalier d’Abbeville, Somme

Le dépistage comporte de nombreux bénéfices que plus personne ne conteste. « Le dépistage par scanner faible dose sans injection, aussi appelé tomodensitométrie faible dose, a démontré une diminution à la fois de la mortalité spécifique et du taux de détection des cancers à un stade avancé » peut-on lire dans le texte de la HAS avec, de plus, un impact sur les cancers du poumon détectés à un stade opérables. Pour le Dr Olivier Leleu (pneumologue au Centre hospitalier d’Abbeville, Somme), « passer au dépistage organisé ne fait plus de doute. » Son étude conduite en vraie vie (DEP-KP80) dans le département de la Somme a confirmé l’impact et la faisabilité d’un tel dépistage, organisé et ciblé.

Enfin un projet pilote de dépistage des cancers bronchopulmonaires sur les rails !

Les incertitudes à propos des modalités du dépistage, individuel comme organisé, sont encore nombreuses. Si celles-ci n’empêchent pas les experts de prendre parti en faveur du dépistage, ils les reconnaissent néanmoins et, comme la HAS, plaident pour l’organisation et le financement très rapide d’expérimentations françaises.

Pour la présidente de la HAS, le Pr Dominique le Guludec « que le dépistage soit organisé ou même opportuniste, nous estimons que sur plusieurs points, nous ne disposons pas d’éléments fermes, validés et consensuels pour trancher, à commencer par définir précisément la population cible ». Parmi les autres points d’achoppement, « nous ne nous sommes pas non plus prononcés sur la durée du dépistage, ajoute-t-elle, ni sur l’intervalle de temps entre deux examens, ou encore sur la définition-même du scanner « faible dose » car celle-ci n’est pas totalement partagée. » De plus, « les critères (volumétrie du nodule, diamètre, temps de doublement de ce nodule) définissant une lésion suspecte ne sont pas clairement précisés et validés. Ils varient d’un essai à l’autre. Un consensus professionnel est indispensable, et doit être testé dans une étude pilote. »

Pour information, 10 à 30 % des personnes soumises à un dépistage par scanner faible dose se voient découvrir au moins un nodule de nature indéterminé. Or, seuls 1 à 2 % de ces nodules sont en réalité des cancers bronchopulmonaires ! Bref, sans protocole de dépistage formalisé, sans protocole de suivi en cas de résultat positif et sans consensus sur la caractérisation des images suspectes impliquant des examens complémentaires, un projet pilote était nécessaire.

C’est désormais chose faite et l’association Santé respiratoire France s’en réjouit. Annoncé fin avril, l’Institut national du cancer va initier de manière imminente cette expérimentation de dépistage des cancers bronchopulmonaires au moyen d’un scanner faiblement irradiant, dont on espère qu’il sera en mesure de répondre à une partie de ces questions. L’Institut national du cancer aura également pour mission de soutenir la mise en place d’études complémentaires et de modélisations : elles permettront de statuer sur la possibilité de déployer un programme de dépistage organisé de façon efficace et sûre à l’échelle nationale. Ces études complémentaires devront notamment porter sur les risques liés au surdiagnostic et aux faux positifs (un résultat positif alors qu’il n’y a en réalité pas de cancer), sur le risque de cancers radio-induits par la répétition des examens de dépistage, sur l’apport de l’intelligence artificielle en matière de performance du dépistage, sur la réduction des inégalités d’accès au dépistage, ou encore sur l’impact organisationnel et économique d’un dépistage systématique des cancers du poumon.

Frédéric le Guillou, Président de Santé respiratoire France : « L’association Santé respiratoire France prône une médecine de prévention, quelle que soit la pathologie respiratoire. Nous rappelons que la consultation de prévention, de manière globale, est une de nos revendications aux dernières élections présidentielles et nous défendrons et appuierons toutes les expérimentations sur la détection précoce du cancer broncho-pulmonaire, à un stade où il peut être guérit. Ce fléau qui tue chaque année plus de 33 000 personnes est par ailleurs en grande partie évitable par des mesures de prévention, dont en premier lieu la prise en charge multidimensionnelle du sevrage tabagique. A ce titre, l’innovation dans la prise en charge du patient et de sa qualité de vie est une mission de Santé respiratoire France. »

Et en attendant le dépistage organisé ?

Pr Charles-Hugo Marquette, chef du service de pneumologie au CHU de Nice

En attendant un dépistage systématique des personnes fortement exposée au tabagisme et aux produits cancérigènes, se faire dépister de manière individuelle lorsqu’on est un grand fumeur depuis de nombreuses années est une option qu’il faut envisager. Le Dr Frédéric Le Guillou, pneumologue et président de l’association Santé respiratoire France ainsi d’autres experts dont le Pr Charles-Hugo Marquette (CHU de Nice), le Dr Olivier Leleu rejoignent le Pr Sébastien Couraud (CHU de Lyon) qui a coordonné les recommandations d’experts 2021 : « Sur la base des essais majeurs internationaux (NLST ou NELSON) dont la taille de l’effectif conférait une puissance suffisante, il a été démontré que le dépistage par scanner faiblement irradiant réduisait significativement la mortalité spécifique par cancer du poumon. Ainsi, en accord avec les recommandations internationales, les experts renouvellent leur recommandation en faveur du dépistage individuel du cancer broncho-pulmonaire en France ». Le Dr Olivier Leleu ne dit pas autre chose : « En attendant le dépistage organisé, le dépistage individuel doit être encouragé avec un scanner sans injection et faiblement irradiant. Médecins généralistes, pneumologues, dépistez et nous sauverons des vies ! » Et d’ajouter : « Je formule de grands espoirs à propos de l’instauration d’un dépistage organisé au niveau national à une échéance de cinq ans. Car, à la différence du dépistage opportuniste, c’est-à-dire au cas par cas, le dépistage organisé présente l’intérêt de dépister aussi les populations les plus précaires, souvent exclues du dépistage individuel et, bien entendu, de couvrir l’ensemble de la population, avec un impact bien plus considérable. Notre étude DEP-KP80 qui portait sur 1304 grands fumeurs a confirmé l’impact et la faisabilité de ce dépistage organisé et ciblé sur les personnes à risque. Nous avons découvert 2,7 % de cancers au premier tour de scanner. Au second tour, comme au premier, le nombre de stade 1 (stade du cancer localisé, lorsqu’il est encore possible d’intervenir) était élevé (75 %) ainsi que celui où le nodule peut être enlevé chirurgicalement (>77 %, seule ou associée à une radiochimiothérapie / chimiothérapie). De plus, nous venons de publier une étude en collaboration avec le registre des cancers dans la Somme sur l’impact du dépistage du cancer du poumon dans ce département et avons démontré que les patients avec un cancer du poumon dépistés dans le cadre de l’étude DEP KP80 avaient une meilleure survie que ceux avec un cancer du poumon non dépistés (3), ce qui corrobore les données des études internationales en faveur de l’efficacité du dépistage organisé. Enfin, un point essentiel à mon avis est que ce dépistage doit impérativement être couplé à un programme de sevrage tabagique, et doit faire partie intégrante du protocole de dépistage. »

A noter, la HAS n’est pas en faveur de ce dépistage individuel, avançant que les incertitudes concernant le dépistage organisé sont identiques à celles concernant le dépistage individuel. Elle attendra donc, pour se prononcer, le résultat de l’expérimentation nationale qui débute tout juste.

Qui est à risque ?

Les critères de sélection des personnes qui relèveraient d’un dépistage individuel et a fortiori organisé, copiés à partir des grands essais internationaux, sont les suivants : à partir de 50 ans chez les fumeurs actuels ou les fumeurs sevrés depuis moins de 10 ans et ayant fumé plus de 15 cigarettes/j pendant 25 ans ou plus de 10 cigarettes par jour pendant plus de 30 ans.

L’âge limite supérieur de l’entrée dans le dépistage est de 74 ans. Sans oublier certaines professions qui exposent à des produits favorisant le cancer du poumon : amiante, bis-chlorométhyl-éther, dérivés du chrome, silice.

Personnes atteintes de BPCO, attention !
Une étude française (AIR, 2020) a constaté qu’il était possible de tripler la rentabilité du dépistage individuel du cancer du poumon en repérant les individus ayant une BPCO, dont le risque de cancer du poumon est encore plus important : à tabagisme égal, le fait d’avoir une BPCO (quelle qu’en soit la sévérité) triple en effet le risque de cancer broncho-pulmonaire.

Références :

(1) La stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030.

(2) HAS. Dépistage du cancer bronchopulmonaire par scanner thoracique faible dose sans injection : actualisation de l’avis de 2016

(3) Amale AitAddi, Olivier Leleu et al. Epidemiological impact of lung cancer screening by low dose CT scan in the French Department of the SOMME. Respiratory Medicine and Research Volume 81, May 2022, 100887

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