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Bronchite chronique, BPCO, hypersensibilité bronchique… les multiples facettes de la toux

Le Dr Roger Escamilla, pneumologue (Hôpital Larrey, Toulouse), nous explique les différences entre la toux du fumeur et la toux chronique du syndrome d’hypersensibilité.

La toux du fumeur, survenant préférentiellement le matin et accompagnée d’expectorations, est-elle un signal d’alerte ou le témoin d’une BPCO déjà bien installée ?

Dr Roger Escamilla, pneumologue à l'Hôpital Larrey, Toulouse
Dr Roger Escamilla, pneumologue à l’Hôpital Larrey, Toulouse

La toux est inclue dans la définition de la bronchite chronique. Elle doit respecter certains critères : être quotidienne, durer au moins trois mois par an et depuis deux ans au minimum. Toute toux chez un fumeur doit amener à consulter un médecin car elle témoigne d’une inflammation des bronches.

Attention, bronchite chronique et BPCO sont deux entités bien distinctes ; la principale différence étant la présence d’une obstruction bronchique qui définit la BPCO. Cependant, entre 15 et 20% des personnes BPCO vont tousser et cracher de manière chronique. Cela dépend chez elles de la présence d’une bronchite chronique, indépendamment de la sévérité de la BPCO elle-même. Une personne atteinte de BPCO ne tousse pas obligatoirement mais le fait de tousser et de cracher semblerait être un facteur de risque d’exacerbations de la pathologie (1).

Quelles sont les caractéristiques de la toux dans la bronchite chronique ?

Enflammées, les bronches sécrètent trop de mucus, d’où la nécessité de les évacuer en toussant. La toux est donc grasse et chronique. Il ne faut pas confondre la toux de la bronchite chronique la plus fréquente et la toux rebelle, disproportionnée. En effet, certaines personnes vont tousser souvent par quintes, chaque jour, plusieurs fois par jour, qu’elles soient ou non atteintes d’obstruction bronchique.

Diverses étiologies peuvent être à l’origine d’une toux, indépendamment d’une inflammation bronchique (2).

  • Certaines toux sont provoquées par des médicaments prescrits dans l’insuffisance cardiaque et l’hypertension artérielles (inhibiteurs de l’enzyme de conversion/IEC et antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II/ou sartans). Or, de nombreuses personnes BPCO ont une comorbidité cardiaque et le rôle du médicament doit être évoqué d’emblée car la toux va disparaitre à l’arrêt du traitement. {Pour rappel, dans la cohorte PALOMB constituée de personnes BPCO, 72% des personnes souffrent au moins d’une autre maladie en plus de la BPCO avec, parmi ces comorbidités, l’hypertension artérielle, la cardiopathie ischémique et les troubles du rythme, les apnées obstructives du sommeil (SAOS), la dyslipidémie.}
  • Un reflux gastro-oesophagien (RGO) peut souvent provoquer des toux incontrôlées. Il s’avère être également un facteur de risque d’exacerbation de la BPCO.
  • Les pathologies ORL (rhinorrhée postérieure/ l’écoulement nasal tombe dans le fond de la gorge, sinusite chronique ou allergique, dysfonction des cordes vocales et troubles de la déglutition) peuvent aussi être responsables d’une toux. Le syndrome des apnées du sommeil peut déclencher des toux par le biais d’une majoration du RGO.
  • Plus rarement, un asthme ou une allergie peuvent se surajouter à la BPCO et se manifester par une toux.

Faut-il chercher à supprimer la toux par tous les moyens sachant que la toux grasse est bénéfique en aidant à expectorer les mucosités accumulées ?

Non, bien sûr et c’est pourquoi il ne faut pas chercher à inhiber ce réflexe tussigène. Néanmoins, pour mieux vivre les quintes de toux, des séances de kinésithérapie aident à drainer les mucosités. D’éventuelles cures courtes de fluidifiants bronchiques peuvent faciliter l’expectoration. Les médicaments anticholinergiques délivrés dans la BPCO ont un effet antisécrétoire et donc asséchant. Parmi les petits moyens, les pastilles à la menthe peuvent calmer la toux, de manière transitoire car la menthe agit sur les récepteurs de la toux au niveau de la gorge. Des sirops à l’eucalyptus, au miel… peuvent être testés, tout en étant conscient qu’il n’y a pas d’étude scientifique rapportant une efficacité et que celle-ci varie d’un individu à l’autre.

La toux dans la fibrose pulmonaire idiopathique est un phénomène à part. Rebelle, résistante y compris souvent à la cortisone, son mécanisme complexe est seulement partiellement élucidé à ce jour.  L’inflammation mais également la stimulation du réflexe de toux induite par la fibrose du parenchyme pulmonaire des voies afférentes nerveuses impliquées dans ce réflexe, voire un RGO souvent retrouvé chez ces patients, sont les mécanismes avancés. La toux n’est plus d’origine bronchique mais pulmonaire.

Enfin, rare mais à ne pas sous-estimer, il existe une catégorie de toux, réfractaire et résistante, sèche et rebelle, dite d’« hypersensibilité ».

Cette toux chronique d’hypersensibilité n’est donc pas une toux comme les autres ?

En effet, elle est liée à un dérèglement du réflexe tussigène. Cette anomalie n’est pas propre à la BPCO ou à une autre maladie respiratoire, mais cela peut survenir chez le tout-venant, quel que soit son âge. La toux est déclenchée à la fois par des facteurs reconnus de toux mais aussi par des facteurs qui n’ont absolument aucune raison de provoquer une quinte de toux. Elle reste bien souvent inexpliquée.  Cette toux chronique par hypersensibilité appelée « Cough Hypersensitivity Syndrome » par les anglo-saxons a été individualisée en 2014 (3) : c’est une toux chronique évoluant depuis plus de 8 semaines, très souvent réfractaire en échec de toutes les lignes de traitement et impactant fortement la qualité de vie. La prévalence de cette toux « maladie » reste inconnue. Dans notre consultation spécialisée de la Toux au CHU de Toulouse, recevant au minimum quatre cent « tousseurs réfractaires » par an, la raison de la toux n’est pas identifiée dans un cas sur quatre. Seuls indices, la CHS concerne avant tout les femmes (70%), aux alentours de la cinquantaine. Il s’agit d’une toux habituellement sèche, survenant par quintes. La vie familiale et sociale est perturbée car la peur de tousser tend à isoler les personnes qui en souffrent.

Quel est le mécanisme de cette toux ?

La toux est un réflexe défensif des voies aériennes. Les récepteurs sont localisés au niveau bronchique, du bas œsophage, du pharynx, et le centre de la toux se situe au niveau du tronc cérébral. Certains récepteurs (TRP, par exemple) ont un rôle important car ils sont sensibles aux stimuli chimiques. Ainsi les récepteurs TRP A1 et TRP V1 sont activés par différents aliments comme la moutarde, l’ail, le chocolat, les épices, le cannabis et le piment. La toux chronique par hypersensibilité est un modèle de neuropathie « sensitive » : à la suite d’une inflammation chronique des bronches, infection respiratoire, d’une inflammation du bas œsophage, d’un choc psychologique ou autre circonstance, le réflexe de la toux est perturbé de façon permanente. La sensibilisation du réflexe est périphérique avec une augmentation de la sensibilité et du nombre des récepteurs en particulier des TRPV1 et/ou niveau central bulbaire.

Quelles sont les caractéristiques cliniques qui doivent faire penser à une toux d’hypersensibilité ?

Le tousseur décrit des fourmillements, un picotement, une diminution ou une exagération de la sensibilité (dysesthésies) au niveau du pharynx ou de la trachée. Tous ces symptômes alors même que les muqueuses du pharynx et de la trachée sont parfaitement saines.

Si le contexte psychologique entre parfois en jeu, toute la difficulté est d’identifier l’évènement déclencheur princeps qui a entraîné une sensibilisation du réflexe tussigène, en particulier un choc psychologique ancien qui peut être non avoué ou méconnu par le patient, la toux survenant bien longtemps après.

L’autre difficulté est de repérer les stimuli qui perturbent le réflexe tussigène. En effet, alors que certains patients se mettent à tousser à cause de stimuli présents à des concentrations très faibles (parfum, fumée de tabac, parfums, odeurs fortes…), d’autres partent dans des quintes de toux irrépressibles à cause de facteurs parfaitement non tussigènes (activité physique, marche, parler au téléphone, rire, situation de stress, changement de température ambiante, hyperventilation, position couchée…).

La toux d’hypersensibilité se soigne-t-elle ?

Côté thérapeutiques, le médecin se trouve encore démuni. Même les antitussifs centraux (via une action sur le cerveau) peuvent être inefficaces et leur prescription au long cours expose à des effets secondaires indésirables majeurs comme l’addiction aux opiacés. Les médicaments contre la toux, antitussifs périphériques (anesthésiques locaux qui réduisent la sensation des nerfs de la gorge, et des adoucissants qui revêtent l’arrière de la gorge) peuvent eux aussi s’avérer inefficaces, le médecin peut se tourner vers des molécules qui modulent l’activité des neurones comme un antiépileptique (gabapentine). Celui-ci se distingue par son efficacité dans plusieurs études randomisées. Bien entendu, cette prescription dépasse le cadre de son Autorisation de mise sur le marché et les effets secondaires majeurs (somnolence, étourdissements) sont un facteur limitant de leur prescription.

Dans l’attente de nouveaux antitussifs (antagoniste des récepteurs purinergiques P2X3 ) dont certains sont déjà bien avancés dans les recherches, les pastilles au menthol font peu ou prou l’affaire, de par leurs propriétés pharmacologiques anesthésiques et antitussives au niveau du pharynx.

Quant aux alternatives thérapeutiques non-médicamenteuses comme la sophrologie, l’ostéopathie, l’orthophonie et la rééducation en cas de trouble de la déglutition, elles représentent un complément souvent utile dans la prise en charge du tousseur chronique ; la toux étant un réflexe que l’on peut essayer, en partie, de contrôler par ces méthodes alternatives.

Où consulter en cas de toux invalidante ?

En premier lieu, son médecin traitant. Si la toux dure plus de trois, il faut consulter un pneumologue et, dans certains cas, il existe des centres spécialisés avec des consultations dédiées, à l’exemple de la consultation Toux à l’hôpital Rangueil- Larrey de Toulouse.

Propos recueillis par Hélène Joubert, journaliste.

Références  
(1) The Evidence Is Growing. Chest. 2019 Oct;156(4):641-642  (2) CHUNG KF et al. Prevalence, pathogenesis, and causes of chronic cough.Lancet. 2008 Apr 19;371(9621):1364-74 
(3) Morice AH et al. Eur Respir J. 2014 Nov;44(5):1132-48

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