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ToggleExit le stéréotype de l’homme quinquagénaire ronfleur en surpoids ! Les femmes souffrent au moins autant du syndrome des apnées du sommeil, et elles peuvent être jeunes, minces, et hyperactives ! Mais du fait de symptômes plus discrets chez elles, sans forcément de ronflements, il est facile de passer à côté du diagnostic et donc d’un traitement, pourtant essentiel.
Le syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS) dans le jargon médical, se caractérise par la survenue de pauses dans la respiration de plus de dix secondes pendant le sommeil, avec des épisodes d’interruption (apnées) ou de réduction de la respiration (hypopnées). Si elle est très largement sous-estimée, la prévalence des apnées du sommeil chez la femme est probablement similaire à celle de l’homme, à savoir 5 % des adultes pour les formes sévères, et de 20 à 50 % pour les formes modérées à légères. En tenant compte de l’âge des femmes, une étude a constaté une moindre prévalence des apnées du sommeil avant la ménopause qu’après (< 5 % contre 20 %), ce qui témoigne du rôle essentiel joué par les hormones sexuelles dans la maladie respiratoire (1).
Cependant, comme les signes cliniques sont plus souvent discrets chez les femmes mais aussi moins typiques, elles passent facilement sous les radars. « Les critères de la maladie ayant été établis par rapport au profil masculin, à savoir le ronfleur en surpoids et somnolent en journée, on s’arrête trop souvent à la présence ou non de ronflements, alors que beaucoup de femmes apnéiques ne ronflent pas et ne sont pas forcément somnolentes », avertit le Dr Madiha Ellaffi, pneumologue allergologue (Albi).
Fatigue chronique ? Pensez aux apnées du sommeil !
« Il faut envisager la présence d’apnées du sommeil chez la femme et les rechercher de manière systématique, y compris chez celles qui sont minces par exemple, car les signes peuvent différer chez la femme en comparaison de l’homme, explique la spécialiste. Par exemple, on retrouve chez elle une fatigue chronique excessive plus qu’une somnolence diurne. Celle-ci est souvent mis sur le compte de la charge mentale et du cumul travail/famille. » En cas de fatigue, le réflexe de beaucoup de médecins est de penser à une anémie (baisse anormale du taux d’hémoglobine dans le sang, principalement due à une carence en fer) ou à une hypothyroïdie, et de passer à côté d’éventuelles apnées. Chez la femme, les autres signes qui peuvent être l’expression d’apnées sont un sommeil peu réparateur, des insomnies d’endormissement, un syndrome anxio-dépressif, des malaises à répétition non expliqués, une hypertension artérielle. De plus, « un diabète gestationnel expose à un risque ultérieur de diabète de type 2, rappelle Madiha Ellaffi. Mais on oublie trop souvent que les apnées du sommeil favorisent le risque de diabète gestationnel et donc un diabète de type 2 avec l’âge, tout comme la pérennisation d’une tension élevée. La grossesse est donc l’opportunité de dépister les apnées et de les traiter. »
Parfois, le diagnostic d’apnées du sommeil est apporté sur un plateau, avec le conjoint qui a repéré les ronflements ou les pauses respiratoires nocturnes de sa compagne. « Ça n’est malheureusement pas la situation la plus fréquente, regrette le Dr Ellaffi. C’est aussi souvent à la faveur d’une consultation pour une autre pathologie (fatigue chronique, troubles anxio-dépressifs, troubles pendant la grossesse ou à la ménopause) qu’il faut saisir l’occasion et vérifier si la femme ne souffre pas d’un syndrome d’apnées et plus souvent d’hypopnées du sommeil, qui peuvent soit être associées, soit aggraver les symptômes d’une pathologie dont se plaint la femme. Par ailleurs, lorsque l’on traite un enfant pour des apnées du sommeil, il est possible que leur mère en souffre également car il existe des traits familiaux très marqués pour cette pathologie. De plus, comme les apnées des enfants ne disparaissent pas spontanément à l’âge adulte, il nous arrive de les diagnostiquer à l’adolescence, vers la trentaine ou la quarantaine. »
Dès que l’on suspecte l’un des signes des apnées, il faut en parler à son médecin traitant, voire à un pneumologue.
Apnées du sommeil : des mécanismes spécifiques aux femmes
Des femmes très minces peuvent souffrir d’apnées, car leur profil peut ressembler à celui de l’enfant apnéique avec un palais étroit en forme d’ogive, un volume buccal restreint pour la place de la langue, une respiratoire bouche ouverte du fait d’une déviation de cloison nasale, de grosses végétations, une rhinite allergique, etc. « La femme présente moins souvent d’arrêts de la respiration longs comme chez les hommes mais plus de syndromes dits de « haute résistance », ajoute le Dr Ellaffi, c’est-dire que la personne respire de manière ample avec peu d’arrêts mais avec une résistance au passage de l’air. Cela finit par la réveiller, comme chez l’enfant. Ces formes plus courantes chez la femme sont, de fait, classées comme peu sévères car à la limite des critères de sévérité établis chez l’homme (désaturation en oxygène inférieure à 3 % associée à l’obésité, seuils de durée du microéveil inférieurs à 5 secondes…). » Lorsque l’on réalise une polysomnographie, les femmes présentent plus d’hypopnées et moins d’apnées que les hommes, complétait le Dr Frédéric Roche (physiologiste, CHU Saint-Etienne) aux Journées européennes 2022 de la Société française de cardiologie (eJESFC) (2). Les apnées sont aussi plus courtes et il y a plus de microéveils. Chez les femmes, ce syndrome est majoritairement lié au sommeil paradoxal. »
Les facteurs aggravants chez les femmes sont la prise de poids, la ménopause avec le relâchement des tissus lié à la baisse de l’imprégnation hormonale (en progestérone). En effet, cette imprégnation hormonale chez la femme avant la ménopause modifie le seuil d’éveil et une hyperventilation différente protège la femme des apnées. Une protection qui disparaît à la ménopause.
Quelques conseils de bon sens
La prise en charge commence par des conseils de bon sens et qui souvent améliorent déjà la situation : lavage de nez et traitement médical d’un nez bouché, d’une allergie, perte de poids, rééducation du positionnement de la langue (cf. encadré) et de la respiration nasale, pratique de l’activité physique, révision de la position dans le lit (éviter la position sur le dos, en cousant par exemple une balle de tennis ou coussin sur le pyjama).
Quant aux propositions thérapeutiques chez les femmes, à savoir les prothèses d’avancée mandibulaire dans les cas les moins sévères et l’appareil de pression positive continue (PPC) surtout si les symptômes sont très invalidants, elles sont identiques à celles proposées chez l’homme. Il peut aussi être utile de corriger une cloison nasale, d’opérer des amygdales volumineuses ou de bénéficier d’une chirurgie maxillo-faciale pour agrandir un palais trop étroit.
Pourquoi traiter les apnées du sommeil ?
Outre une qualité de vie dégradée par la fatigue plus que par la somnolence, du fait d’un sommeil non réparateur, les apnées du sommeil sont un facteur de risque de troubles anxio-dépressifs, d’évènements cardiovasculaires (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral), de troubles du rythme cardiaque, d’hypertension artérielle, de diabète… Et d’accident de la route et du travail. « Lorsque l’on traite les femmes souffrant d’apnées du sommeil, non seulement on réduit leur risque cardiovasculaire, mais leur vie est transformée, assure le Dr Mediha Ellaffi, pneumologue. Elles se sentent mieux et moins fatiguées, leur sommeil est plus réparateur et elles souffrent moins d’insomnies. »
« De grandes études ont changé nos pratiques car elles ont montré que les pathologies respiratoires du sommeil sont un facteur de risque cardiovasculaire important », indique Frédéric Roche. Mais les spécificités féminines sont très peu explorées. En effet, les populations recrutées dans les études et les essais thérapeutiques sont majoritairement masculines, et parfois les résultat ne sont pas analysés selon le sexe. Finalement, les statistiques manquent de puissance pour tirer des conclusions sur les conséquences des apnées du sommeil en termes de morbidité (effets subséquents à une maladie) et de mortalité chez les femmes. » Une étude canadienne publiée en 2020 (3) concluait que la sévérité du syndrome semble associée à un surrisque cardiovasculaire identique chez les hommes et chez les femmes.
Comme le résumait au eJESFC 2022 le Pr Jean-Louis Pépin, du service hospitalo-universitaire de pneumologie (CHU de Grenoble), « la prévalence des arythmies cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux, de l’hypertension artérielle et des maladies des artères coronaires est majeure avec le syndrome des apnées du sommeil. » Chez les hommes comme chez les femmes, à la différence que chez elles, « ce syndrome est d’apparition est beaucoup plus tardive, avec grosso modo un décalage de 10 à 15 ans. L’imprégnation hormonale avant la ménopause protège de l’hypoxie intermittente, laquelle fait partie, avec la des perturbation de la fonction de la paroi des vaisseaux (dysfonction endothéliale), l’inflammation ou encore le stress oxydatif, des mécanismes essentiels des maladies cardiovasculaires. »
La kinésithérapie linguale La langue est composée de 17 muscles. Du fait d’un manque de tonus, la base de la langue peut basculer en arrière durant le sommeil, obstruant les voies aériennes. La rééducation linguale tonifie la langue et corrige son fonctionnement en journée (réapprentissage de la position de repos corrigée, lors de la déglutition, etc.) afin de libérer le passage de l’air pendant le sommeil. Le nouveau fonctionnement de la langue devient automatique après six mois de rééducation. Une respiration nasale efficace est un prérequis pour une bonne rééducation linguale, c’est-à-dire réapprendre à respirer par le nez mais aussi la respiration abdominale. Cela fait aussi partie de la rééducation dans le cadre des apnées du sommeil. |
Deux applications pour mesurer apnées et ronflements Sunrise. Facile d’utilisation, le capteur Sunrise se colle sur le menton au coucher et enregistre les mouvements mandibulaires, caractéristiques des apnées. Connecté à une application sur le portable, il permet une analyse détaillée du sommeil. Sunrise est un dispositif médical certifié pour l’étude du sommeil et le diagnostic rapide et à la maison des apnées du sommeil. iRonfle. Cette application gratuite utilise le micro du smartphone pour enregistrer et mesurer l’intensité et la fréquence des ronflements durant la nuit. Cette outil d’évaluation propose aussi des solutions afin de remédier à ce problème. |
A lire : Faire face aux ronflements et aux apnées du sommeil
Auteurs : Guichard Kelly, Manoukian Meryl, Micoulaud-Franchi Jean-Arthur
ISBN : 9782340065550, Éditeur Ellipses (paru en 2022)
Un livre pour comprendre et agir, réalisé en collaboration avec une association de patients. Comprendre le fonctionnement, les causes et les conséquences des ronflements et des apnées du sommeil mais aussi connaître les parcours de soin possibles. Dix fiches d’exercices, illustrées par des vidéos, pour réduire ses symptômes et améliorer sa qualité de sommeil.Cet ouvrage est destiné aux personnes atteintes de ronflements, d’apnées ou hypopnées obstructives du sommeil, avec ou sens appareillage ainsi que le personnel soignant ayant des patients concernés par ces affections.
Références : (1) Heinzer R, et al ; Impact of sex and menopausal status on the prevalence, clinical presentation, and comorbidities of sleep-disordered breathing. Sleep Med. 2018 Nov;51:29-36. doi: 10.1016/j.sleep.2018.04.016 (2) « Pathologies du sommeil : où sont les femmes ? », Palais des Congrès de Paris, salle 252, 14 janvier 2022, 8h30-9h30 (3) Kendzerska T, et al ; Cardiovascular consequences of obstructive sleep apnea in women: a historical cohort study. Sleep Med. 2020 Apr;68:71-79. doi: 10.1016/j.sleep.2019.08.021
Hélène Joubert (journaliste), avec le Dr Madiha Ellaffi, pneumologue allergologue (Albi) et le suivi des eJEFSC 2022