17 mois en moyenne entre l’apparition des premiers symptômes et le diagnostic de BPCO
Le diagnostic de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) est souvent tardif, malgré des symptômes persistants et des facteurs de risque identifiables. Le volet qualitatif d’étude ABCD (Analysis of Barriers in COPD Diagnosis) (1) avait dans un premier temps recueilli les témoignages de patients, de médecins généralistes et de pneumologues et identifié douze obstacles à une détection plus précoce. Trois phases clés ont alors émergé : méconnaissance et déni des symptômes en phase de préconsultation, priorité donnée à d’autres pathologies et délai dans l’accès aux spécialistes. Présenté en janvier dernier lors du 29e Congrès de pneumologie de langue française (janvier 2025, Marseille), le volet quantitatif de l’étude ABCD (2) a ensuite mesuré la fréquence de ces obstacles, du point de vue des patients et des professionnels de santé.
Pourquoi le diagnostic de BPCO tarde-t-il ? L’étude ABCD lève le voile sur douze obstacles clés
Le diagnostic de BPCO est souvent posé tardivement malgré la présence de facteurs de risque et de symptômes évocateurs sur une période prolongée, au risque d’affecter le devenir des patients et d’augmenter le coût des soins. L’étude ABDC a voulu identifier les barrières à un diagnostic formel plus précoce. Jusqu’à douze obstacles ont émergé grâce à l’analyse thématique des récits de patients, de médecins généralistes et pneumologues français. Ainsi, 15 patients (moyenne d’âge 62 ans : 55-65) ayant une BPCO depuis plus de trois ans, et 15 médecins généralistes et pneumologues ont été consultés. Voici les résultats, présentés au congrès CPLF 2024 :
- En phase symptomatique et de préconsultation, la BPCO reste méconnue. Les symptômes sont souvent attribués à des fragilités sans lien avec cette pathologie, et un déni s’installe. La crainte d’un diagnostic de cancer du bronchopulmonaire constitue un frein supplémentaire, avec un retard à consulter en médecine générale.
- En phase de consultation en médecine générale, la bronchite devient chronique sans que son origine soit clairement identifiée. D’autres pathologies qualifiées de « frontières » (asthme, Covid-19, etc.), jugées plus urgentes ou graves, mobilisent l’attention. Le manque d’outils de dépistage au cabinet de médecine générale et l’absence de traitements curatifs aggravent cette situation.
- En phase de consultation spécialisée, un traitement est parfois initié avant que le diagnostic de BPCO ne soit formellement établi. L’adressage au pneumologue intervient tardivement, pour de multiples raisons. L’étude pointe des difficultés d’accès aux spécialistes et la réticence des patients à passer des examens. La multiplication des investigations prolonge le délai avant la confirmation du diagnostic.
Plus de 50 % des patients diagnostiqués au stade GOLD II ou III (BPCO)
Le volet quantitatif de l’étude ABCD, mené entre le 3 juin et le 15 juillet 2024 (2), avait pour objectif de mesurer la prévalence de ces douze obstacles en fonction des points de vue des patients (n=150 ; 35 % avaient 60 ans ou plus) et des médecins (n=180 ; 10 à 30 ans d’expérience pour 48 %) qu’ils soient médecins généralistes ou pneumologues. L’analyse a distingué les patients diagnostiqués dans un délai inférieur ou supérieur à un an après l’apparition des premiers symptômes.
- Les résultats confirment un délai moyen de 17 mois entre l’apparition des premiers symptômes et le diagnostic formel de BPCO, ainsi qu’un délai moyen estimé entre deux consultations de 9 mois. Patients et soignants identifient les mêmes facteurs de risque, tels que le tabagisme actif et les expositions professionnelles, et des signes évocateurs comme des expectorations fréquentes, une bronchite chronique, une toux grasse ou persistante, une dyspnée, un essoufflement anormal et des sifflements respiratoires. Cependant, la fatigue est plus souvent rapportée par les patients, tandis que les exacerbations sont davantage mentionnées par les professionnels de santé.
- De plus, 37 % des patients ont reçu leur diagnostic de BPCO au stade II GOLD, 16 % au stade III et 3 % au stade IV. Un peu plus d’un quart (28 %, exactement) ont découvert leur maladie dès le stade I.
- Parmi les autres enseignements de l’étude, le diagnostic tardif, au-delà d’un an, est plus souvent cité par les patients vivant en province, ceux aux revenus modestes, ceux ayant réalisé des examens complémentaires ou ayant été adressés à un pneumologue. Le diagnostic était posé en moins d’un an pour 32 % des patients vivant en région parisienne et aussi plus souvent parmi ceux ayant des revenus élevés. En revanche, le diagnostic était plus souvent retardé au-delà d’un an lorsque le médecin généraliste prescrivait des examens complémentaires ou orientait le patient vers un pneumologue.

L’avis du Dr Frédéric le Guillou, pneumologue et président de Santé respiratoire France |
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« Optimiser le dépistage de la BPCO grâce aux outils digitaux » « Ces résultats de l’étude ABCD soulignent tout d’abord l’importance des campagnes nationales d’information et de sensibilisation du grand public aux facteurs de risque de BPCO (tabagisme, pollution de l’air, expositions professionnelles), indispensables, qui doivent être renouvelées régulièrement. Car l’enjeu est bien d’encourager les consultations précoces par les publics à risque. C’est d’ailleurs l’objectif de la consultation de prévention aux âges clés de la vie, mais elle manque inévitablement beaucoup de patients atteints de BPCO. En effet, seulement le tiers des cas de BPCO (3) est diagnostiqué, souvent à des stades tardifs. Et à peine plus de 20 % des patients à risque font l’objet d’une mesure de leur fonction respiratoire, indispensable au diagnostic. Les outils diagnostiques doivent être plus répandus en médecine de ville. L’un d’entre eux, l’auto-questionnaire de dépistage de la BPCO validé par la Haute autorité de santé permet en 5 questions de déceler les principaux signes d’alerte de la maladie*. Il met l’accent sur la présence d’une toux, la fréquence des épisodes de dyspnée et l’exposition au tabac. Le médecin doit ensuite confirmer le diagnostic par la mesure du souffle (spirométrie ou EFR). Car le message clé est « mesurer le souffle ». Je dirais aux médecins : posez ces quelques questions basiques et pourtant si efficaces, et mesurez le souffle de vos patients. Et aux intéressés, je leur conseillerais de demander à leur médecin traitant d’évaluer votre souffle, a fortiori s’ils se sentent essoufflés, s’ils crachent ou fument. Je tiens à rappeler que la dernière convention médicale a validé une incitation financière pour la réalisation de la spirométrie standard par les médecins généralistes formés à cet examen. Cela s’inscrit dans le cadre du dépistage de la BPCO pour les patients à risque (plus de 40 ans, plus de 20 paquets de cigarettes par an), après avoir été identifiés comme à risque suite au questionnaire de dépistage de la BPCO de la HAS. Cela prouve que les décideurs et les acteurs de santé sont conscients de l’importance de la prévention et du diagnostic précoce de la BPCO. À ce propos, pourquoi ne pas ouvrir cet examen aux kinésithérapeutes et aux sages-femmes ? L’exercice coordonné de la médecine représente une solution, notamment en CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé). Lorsqu’ils travaillent en groupe avec un infirmier(ère) ou un infirmier en pratique avancée, celui-ci peut jouer un rôle clé dans la prévention : en consultant les patients pour d’autres motifs, il a l’opportunité de poser des questions que le médecin, par manque de temps, n’aurait pas forcément abordées. De plus, mettre à disposition le matériel ne suffit pas, la mesure du souffle doit s’inscrire dans un parcours afin d’aller plus loin dans l’approche du dépistage : un parcours simplifié pour le patient et une clarification des interventions, à chaque étape, par les différents professionnels de santé. Outre la mesure du souffle qui doit devenir un réflexe, améliorer la détection de la BPCO passera indéniablement par l’utilisation de solutions digitales. On peut citer les outils numériques facilitant la construction d’un parcours préventif personnalisé du patient, partagés avec le médecin. Par ailleurs, le programme pilote de dépistage systématique du cancer bronchopulmonaire par scanner thoracique IMPULSION permettra indirectement d’identifier les patients présentant un emphysème, par exemple. Un autre moyen à exploiter sont les données patients de l’Assurance maladie, avec la conception d’algorithmes capables d’analyser des dossiers médicaux électroniques et les remboursements. Cela pourrait mettre en évidence des consommations suspectes de thérapies inhalées, même en l’absence de diagnostic formel de BPCO, et générer ainsi un message d’alerte : un moyen efficace de rattraper cette population en errance diagnostique. En décembre 2024, Santé respiratoire France avait réuni, lors d’une table ronde intitulé « la BPCO une question de prévention », des institutionnels (HAS, Assurance-maladie), des professionnels du soin généralistes et spécialistes. En préconisant des actions contre la banalisation des signes précoces (la toux du fumeur), et la sensibilisation aux facteurs de risque dont les expositions professionnelles à des substances toxiques irritantes, ou encore aux facteurs présents dès le début de la vie (infections respiratoires durant la petite enfance, etc.), nous avions fait remarquer que les 26-45 ans, pourtant une période clé pour modifier les habitudes voire repérer les signes précurseurs de la BPCO, ne faisaient pas partie de « Mon bilan Prévention ». Nous avions regretté également le manque de temps en consultation médicale consacré à la prévention et au dépistage de la BPCO. Nous avions aussi appelé de nos vœux la concrétisation sur le terrain des outils de diagnostic territoriaux (ODT) en cours d’élaboration, pour une visibilité renforcée sur ces parcours de soins et le caractère fréquemment polypathologique de ces affections. La prévention primaire, le diagnostic précoce des pathologies respiratoires sont une préoccupation de Santé respiratoire France, qui a longtemps porté le nom d’Association BPCO. D’ailleurs, le fil rouge de cette année 2025, qui nous conduira en novembre prochain aux Rencontres annuelles, est celui de la prévention. La prévention tertiaire, cette fois-ci. » |
Références :
(1) ROUCOUX G. ; SCANFERLA E.2 ; CORREIA DOS SANTOS A. et al. CPLF 2024 Douze obstacles au diagnostic précoce de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) en France : analyse qualitative d’entretiens de patients, médecins généralistes, et pneumologues (étude ABCD, Analysis of Barriers in COPD Diagnosis); Présenté au CPLF 2024
(2) P164 ZYSMAN M., DELORME M., FRATICELLI L. et al. CPLF 25 Obstacles au diagnostic de la BPCO en France. Partie quantitative de l’étude ABCD. Résultats obtenus auprès de patients, médecins généralistes, et pneumologues. Présenté au CPLF 2025
(3) Similowski, T et Roche, N. Prise en charge pratique des patients atteints de BPCO. s.l. : John Libbey Eurotext, 2006.
(4) Faire de la BPCO une urgence de santé publique pour le quinquennat ; Contribution des patients et des professionnels de santé a un plan BPCO 2018-2022
*Le diagnostic précoce de la BPCO est facilité grâce au questionnaire de dépistage : « Toussez-vous souvent ? Avez-vous fréquemment une toux grasse ou qui ramène des crachats ? Êtes-vous plus facilement essoufflé que les personnes de votre âge ? Avez-vous plus de 40 ans ? Avez-vous fumé ou fumez-vous ? ». Deux réponses « oui » constituent un signe d’alerte qui doit conduire à réaliser une spirométrie. Une réponse positive à trois de ces questions doit conduire le médecin généraliste à mesurer le souffle de son patient à l’aide d’un spiromètre soit l’orienter vers un pneumologue. |
Avec le Soutien de GSK France