Baptiste Chéhère, enseignant APA, maître de conférences à l’Université de Bretagne Occidentale, (EA4324, laboratoire ORPHY, faculté des sciences du sport et de l’éducation, Brest), membre du comité scientifique Alvéole. Le groupe Alvéole est un groupe de travail de la Société de pneumologie de langue française (SPLF) sur l’exercice physique et la réadaptation respiratoire.
Quelle est la finalité de l’APA ?
L’activité physique adaptée (APA), que ce soit dans un cadre de réadaptation ou qu’elle soit prescrite par le médecin traitant, vise principalement à améliorer l’état de santé et l’autonomie des individus, en particulier ceux souffrant de maladies chroniques. Ces personnes sont souvent restreintes dans leurs activités quotidiennes en raison de symptômes tels que l’essoufflement, la douleur ou la fatigue, qui sont fréquents dans le cas de maladies respiratoires ou de traitements contre le cancer. Ces symptômes suscitent du stress, et sont souvent accentués par le mouvement ou certains efforts physiques (par exemple monter un escalier, porter des charges lourdes), induisant parfois une peur du mouvement (on parle alors de kinésiophobie), à l’origine d’un déconditionnement progressif, appelé « spirale du déconditionnement ».
Par exemple, chez les patients atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), l’évolution de la sévérité du syndrome obstructif et l’augmentation de la dyspnée sont associées à une diminution de l’activité physique quotidienne. Il a par exemple été montré qu’après un suivi de 3 ans, la diminution des activités physiques est associée à une dégradation accélérée de la fonction respiratoire. L’activité physique a pour premier rôle d’éviter ou de renverser cette spirale de déconditionnement, d’améliorer ou de maintenir les capacités physiques des individus, et de permettre une amélioration des symptômes.
Dans le cadre de l’insuffisance respiratoire, la réadaptation peut-elle être vue comme un moyen de mettre le pied à l’étrier vis-à-vis de l’activité physique ?
Pour les maladies respiratoires chroniques, les bénéfices de l’activité physique ont souvent été évalués dans un contexte de réadaptation respiratoire (RR), c’est-à-dire à la suite d’un programme de plusieurs semaines supervisé par une équipe de soins pluridisciplinaire (pneumologue, infirmier, kinésithérapeute, enseignant APA, etc.). Ces programmes incluent une prise en charge globale de la personne, avec de l’éducation thérapeutique, un accompagnement psycho-social et de l’activité physique. La réadaptation respiratoire peut être une solution efficace et adaptée pour reprendre une activité physique. Elle est d’ailleurs recommandée et a montré son efficacité pour la majorité des personnes atteintes de problèmes respiratoires, que ce soit dans un contexte de BPCO, de pneumopathie interstitielle diffuse (PID), ou d’asthme sévère… Les études montrent que ces programmes ont un impact positif sur l’amélioration des capacités physiques, de la qualité de vie, et sur la réduction des symptômes.
Durant la réadaptation, les personnes construisent un projet avec le soutien des professionnels de santé pour poursuivre une activité physique après le programme. Ce projet peut être par exemple de faire des exercices en autonomie (marche, renforcement musculaire) ou au sein d’associations. C’est un engagement qui doit être envisagé tout au long de la vie. Bien que les programmes de réadaptation respiratoire, généralement d’une durée de 3 à 8 semaines, apportent des améliorations physiques et symptomatiques à court terme, leurs bénéfices tendent à diminuer après 6 à 12 mois. Ainsi, une transition bien préparée vers une pratique continue de l’activité physique est essentielle pour maintenir ces bénéfices.
Tout l’enjeu réside donc dans cette phase de transition ?
Effectivement, diverses études cherchent à élaborer des stratégies pour soutenir le maintien à long terme des bénéfices des programmes de réadaptation. Ces recherches révèlent qu’en l’absence de stratégies efficaces, seulement environ un tiers des patients parviennent à maintenir régulièrement leur pratique d’activité physique sur le long terme.
Dans ce contexte, des expériences émergent pour orienter a minima ces patients vers des associations, proposer des activités – par exemple des parcours de marche adaptés ou des circuits urbains -, ou pour organiser des visites de suivi à la fin des programmes de réadaptation. Ces visites permettent d’évaluer leur progression et de réaliser un bilan plusieurs mois après le programme. Ces approches ont démontré leur efficacité, en augmentant la proportion de patients qui persistent dans une pratique régulière d’activité physique à long terme.
D’après les études, quelle que soit la stratégie proposée (circuit urbain, association…), la proportion de patients qui adhèrent aux programmes de maintenance testés se situe entre 58 et 70 %. Cependant, même avec ces mesures, environ un tiers des patients ont du mal à maintenir une activité physique constante sur le long terme.
Comment ensuite pérenniser les acquis ?
La motivation constitue le premier obstacle à surmonter en matière d’activité physique. Plusieurs études mettent en évidence le fait que la motivation est un élément central dans l’adoption de comportements favorables à la santé. Actuellement, on tend à intégrer dans les programmes de réadaptation des activités adaptées visant à rendre l’exercice plus attrayant. Cependant, pour favoriser la pratique à long terme, il est préférable de découvrir un plaisir intrinsèque dans la pratique de l’exercice physique.
Par conséquent, il est essentiel de personnaliser la prescription d’activité physique, en prenant en compte les préférences individuelles et en coconstruisant le projet d’activité physique avec la personne. Il ne peut y avoir de prescription standard pour tous, car cela doit refléter les désirs et le projet de vie spécifiques de chaque individu. Il est également crucial de considérer le contexte socio-environnemental de la personne, en s’assurant que l’activité proposée soit accessible géographiquement, financièrement, et sur le plan logistique. Le contexte familial et professionnel est important à prendre en compte afin de proposer une solution adaptée aux contraintes de la personne, et l’aider si besoin à trouver des solutions pour intégrer de l’activité physique dans son emploi du temps. Ces ajustements sont cruciaux pour que celle-ci devienne une habitude et persiste à long terme.
Pour beaucoup de personnes, avant la réadaptation, la dernière expérience d’activité physique remonte à longtemps, parfois jusqu’à l’école. Il est parfois nécessaire de redéfinir la notion d’activité physique. Celle-ci n’est pas synonyme de sport, elle peut être plaisante et bénéfique, même à des intensités légères à modérées. La plupart des activités physiques proposées entrent dans cette catégorie d’intensité, et apportent déjà d’importants avantages pour la santé.
Certaines personnes étaient au contraire très actives par le passé et doivent maintenant ajuster leur pratique à la suite d’une maladie chronique. Dans ces cas, l’approche peut être différente. Il s’agira davantage de réadapter cette activité physique en prenant en compte les limitations, tout en préservant le plaisir de la pratique.
Ainsi, il est primordial d’adapter et d’aménager les activités afin que les personnes puissent dans l’idéal percevoir l’activité physique comme une chose réalisable, agréable et gratifiante, adaptée à leur situation, et pouvant facilement être intégrée à leur quotidien.
Que pensez-vous du financement de l’activité physique adaptée ?
Le financement et l’accès à l’APA sont des aspects cruciaux à considérer. Quelques mutuelles proposent des participations financières variables en termes de durée et de montant, mais cela reste insuffisant. Je partage l’opinion selon laquelle il est indispensable de mettre en place des aides pour favoriser l’accès à l’APA. Une grande partie des personnes atteintes de maladies chroniques se trouvent en situation de précarité. Les inégalités sociales de santé sont réelles, comme en témoigne une étude de la DREES (2022), observant que les individus à revenus modestes ont davantage de risques de développer des maladies chroniques. Dans les programmes de réadaptation, il est d’ailleurs fréquent de constater une proportion significative de participants en situation de précarité, pour lesquels le coût de la participation à une activité physique peut être un obstacle majeur.
De plus, il est essentiel de développer une offre variée et accessible d’APA pour soutenir les participants après les programmes de réadaptation. Les associations locales jouent un rôle vital en proposant des créneaux accessibles pour la pratique de l’APA. Par exemple les « Clubs Cœur et Santé » ou encore les associations de patients atteints de maladies respiratoires (comme « Respire et Bouge à Brest ») proposent des créneaux d’APA animés par des professionnels ayant la formation pour encadrer ces pratiques, comme les enseignants en APA.
Cependant, malgré ces efforts, il semble qu’il n’y ait encore pas suffisamment de structures pour répondre aux besoins des personnes atteintes de maladies chroniques en France. Une volonté politique pourrait se traduire par le développement de l’offre en réadaptation en France dans les zones non accessibles, ou en développant la réadaptation au domicile pour permettre au plus grand nombre de bénéficier de ces programmes. Bien que les initiatives soient nombreuses pour proposer des APA dans un contexte hors-réadaptation, l’offre reste insuffisante. Un soutien financier pour les associations existantes, des aides pour les communes souhaitant développer une offre d’APA, et/ou encore un remboursement plus important et harmonisé des aides proposées par les mutuelles inciterait au développement de l’offre en APA. Il serait également crucial de développer des politiques publiques incitant à l’intégration systématique de l’activité physique dans le parcours de soins, avec des remboursements ou des participations financières pour rendre cette pratique accessible à tous.
En somme, mon espoir est de voir une reconnaissance et une promotion plus poussées de l’APA dans le domaine de la santé, et ce par le biais de mesures concrètes et de politiques publiques adéquates.
Quelles sont les priorités selon vous ?
Il est à mon sens crucial de recenser et de promouvoir l’offre d’APA sur le territoire, ainsi que de développer des plateformes ou des bases de données en ligne pour faciliter cette recherche d’informations et les interactions entre les structures de réadaptation, les professionnels de santé (médecin traitant) qui prescrivent, et les structures ou professionnels proposant des APA.
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Références :
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