Lorsque la maladie chronique transforme la sexualité
La bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), comme toute maladie chronique impose des restrictions importantes au périmètre de vie. Fatigue, douleurs… sont toujours présentes dans les maladies chroniques et impactent gravement le sentiment de santé perçu. A cet état se superposent les modifications propres à la maladie en cause, et qui peuvent elles aussi produire des conséquences directes sur la sexualité, comme le diabète, les maladies cardio-vasculaires ou l’insuffisance respiratoire. Dans une étude menée par l’Association BPCO en 2016, 54% des répondants ont déclaré que leur vie sexuelle s’était dégradée depuis l’annonce de leur maladie*, et ce d’autant plus que le stade de celle-ci était avancé. Dans une autre étude souvent mentionnée, 44 % des patients atteints de BPCO sévère se disent gênés par la dyspnée dans leur vie sexuelle, facteur limitant principal chez 56% d’entre eux (1).
Les conséquences de la maladie chronique sur la vie sexuelle semblent plus prépondérantes chez les hommes. « La sexualité des hommes semble davantage impactée par la BPCO, et la dysfonction érectile est fréquente, souligne le Dr Marie-Hélène Colson, médecin sexologue, directeur d’enseignement (DIU de Sexologie-Faculté de médecine de Marseille) et vice-président de l’AIUS (Association Inter Disciplinaire Post-Universitaire de Sexologie). La prévalence de la dysfonction érectile chez les hommes avec BPCO est très élevée, jusqu’à plus de 75% dans certaines études, dont 20% de dysfonctions sévères, sans pour autant que le désir sexuel ne soit affecté (2) (3). De plus, on constate deux fois et demi moins de rapports sexuels chez les patients BPCO comparé à la population générale (4). Un constat aggravé par la ventilation non invasive chez 35,8 % d’entre eux, qui peut engendrer la crainte d’une défaillance ou d’une désaturation lors du rapport sexuel (5). « Dans la BPCO précisément, toux, essoufflement, troubles du sommeil, ralentissement dans les activités physiques sont autant de facteurs qui vont peu à peu mettre de la distance dans les relations avec les autres, générer des troubles de l’humeur et de l’estime de soi, et contribuer à l’augmentation des difficultés sexuelles », analyse Marie-Hélène Colson.
Tabac, hypoxie chronique et dyspnée…
La dysfonction sexuelle dans le cas de la BPCO est à mettre sur le compte de facteurs multiples, au premier rang desquels la toxicité du tabac, l’hypoxie chronique (manque d’apport en oxygène au niveau des tissus de l’organisme) et la dyspnée (6), ainsi que les troubles du sommeil accompagnés éventuellement d’un syndrome des apnées obstructives du sommeil (un SAOS affecte la sexualité de l’homme comme de la femme et son traitement par pression positive continue peut améliorer la dysfonction érectile). « A cela s’ajoutent des facteurs de risque comme une inflammation systémique et un ensemble de maladies associées (comorbidités) pouvant détériorer la fonction érectile des patients : pathologies cardiovasculaires et certains de leurs traitements, diabète, dépression, obésité, atteinte musculaire et inactivité, énumère le Dr Roger Escamilla pneumologue (Pôle respiratoire, hôpital Larrey, CHU de Toulouse). The Krimpen study a montré que tous les patients obèses avec une BPCO, un diabète sucré, un prostatisme (ensemble des troubles urinaires liés à l’hypertrophie de la prostate) et sexuellement inactifs auront une dysfonction érectile (7) ».
Parmi les personnes BPCO ayant des troubles de la sexualité, certaines ont probablement davantage de facteurs de risque que les autres, comme un âge avancé, le fait d’être célibataire, de souffrir d’un hypogonadisme avec notamment une moindre sécrétion de testostérone et d’être à un stade de BPCO élevé. Effectivement, dans l’étude ayant retrouvé plus de 75% de dysfonction érectile chez les hommes affectés par une BPCO, l’importance du trouble était corrélée à la sévérité de la BPCO. Plus de la moitié des patients souffrait d’une ou de deux maladies associées (2).
L’impact émotionnel de la dysfonction sexuelle majorée
Les patients malades chroniques et BPCO en particulier, accusent souvent un retentissement de la maladie sur la vie intime. Chez eux, « une plus grande détérioration de l’ensemble des paramètres psychologiques est constatée, fait remarquer le Dr Colson, avec un sentiment de détresse accru chez les hommes, une moindre confiance en soi, mais également davantage de répercussions anxieuses. Or, il existe une relation forte et validée entre troubles anxieux, image de soi, fatigue et sexualité. L’installation de difficultés sexuelles augmente le sentiment de détresse, l’incidence des troubles de l’humeur dans le cadre de la maladie chronique ».
Le couple mis à l’épreuve
Les convergences sont difficiles entre les fausses croyances liées à la maladie et les aspirations habituelles du couple. « Plusieurs études scientifiques l’ont bien mis en évidence : le couple dans la maladie chronique est un couple à risque, avertit Marie-Hélène Colson, avec une moins bonne satisfaction conjugale, davantage d’hostilité, de reproches, de conflits et moins d’aptitude à résoudre les difficultés ».
Une sexualité qui n’est pas à bout de souffle
Tout d’abord, il ne faut pas hésiter à en parler à son médecin. Alors que les troubles sexuels concernent environ une personne BPCO sur deux, ceux-ci sont rarement abordés en pratique médicale courante ainsi que dans les études scientifiques. « Seuls 40,5% des patients BPCO déclarent en avoir parlé à leur médecin », précise Roger Escamilla (8). « Cela offre pourtant aux patients un espace de parole, argumente le Dr Colson, souvent suffisant pour une grande partie d’entre eux ».
Car la maladie chronique transforme la sexualité. Moins physique, avec l’obstacle majeur que représente un essoufflement important, celle-ci peut néanmoins rester amoureuse et sensuelle. « Il est possible de continuer à s’aimer, poursuit la sexologue, à partager de l’affectivité, une intimité charnelle, et d’avoir une jouissance, même sans érection, parfois même sans éjaculation ». La tendresse, la connaissance et reconnaissance par le partenaire de la maladie de l’autre sont deux éléments essentiels pour conserver une sexualité et une vie de couple. « Le plaisir est toujours possible, ajoute-t-elle. L’enjeu est de savoir s’adapter à la maladie pour une sexualité fondée sur le partage de plaisir et non pas la performance physique. Cela passe par la recherche de positions confortables à l’instar de celles dites des petites cuillères ou d’Andromaque lorsque la pénétration est possible, ne comprimant pas le thorax et en conservant si besoin son oxygénothérapie pendant tout ou partie de l’acte sexuel. Il est aussi possible pour les hommes de s’aider en première intention des traitements oraux de l’érection ». Chez la femme, les lubrifiants peuvent être utiles. Enfin, « Je suis trop malade » n’est pas toujours une raison. Dans une étude, 34% des patients sous ventilation non invasive restaient sexuellement actifs (9).
« Le champ de la sexualité est très large, et il faut éviter de se contenter du menu unique. Notre rôle de sexologue est d’aider les patients malades chroniques et BPCO à diversifier leurs pratiques sexuelles. Toutes les alternatives sont possibles, et la pénétration n’est que l’une des formes de sexualité ». Dr Marie-Hélène Colson, médecin sexologue, directeur d’enseignement (DIU de Sexologie-Faculté de médecine de Marseille).
Dossier réalisé par Hélène Joubert, journaliste.
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Références :
* Etude BPCO & Autonomie : impact de la BPCO sur la qualité de vie au quotidien, Association BPCO, NXA, 2016.
(1) M.F. Hansen and coll. Sexual Dysfunction, Depression And Well-Being Among Patients With COPD Or Heart Failure. Abstract 32631 . Conférence de l’American Thoracic Society 21/05/12 ; (2) Koseoglu N. et al. The journal of Urology, juillet 2005, vol 174 : 249-252. (3) Schouten B. W. V. et al. International journal of andrology ; 2007, 32; 166-175; (4) Escamilla R. et al. Rev Mal resp Actua 2012., 4: 250-254; (5) Schönhofer B et al. Am J Respir Crit Care Med ; 2001, Vol 164, 1612-1617 ; (6) BPCO, nuit et sexualité. Revue des Maladies Respiratoires Actualités. Vol 5, N° 1HS – décembre 2013, pp. 23-28 ; (7) Schouten BW Int J Androl. 2009 Apr;32(2):166-75 ; (8) Meystre-Agustoni G et al. Swiss Med Wkly 2011 ; (9) Shönhofer AJRCCM 2001