Vincent Valinducq, médecin généraliste (42 ans), a partagé son expérience en tant qu’aidant et son engagement auprès de sa mère, touchée par une maladie d’Alzheimer précoce. Son ouvrage, pudique, poignant, « Je suis devenu le parent de mes parents », est paru en 2023 (Éditions Stock). « Pendant les quatorze années de combat menées aux côtés de ma mère malade, j’ai souvent eu l’envie d’écrire pour porter une voix, celle des aidants (…) des années pendant lesquelles mon père, mon frère et moi (l’) avons portée à bout de bras au sens propre comme au figuré. » Né au Havre, Vincent a d’abord travaillé comme docker, suivant les traces de son père et de son grand-père, avant de se réorienter vers des études de médecine, au moment même où les premiers signes de la maladie apparaissent chez sa maman. Celle-ci avait tout juste la cinquantaine. Il pratique désormais en tant que médecin généraliste à Paris depuis neuf ans. Ce médecin est bien connu du petit écran grâce à sa chronique santé dans Télématin sur France 2 puis aujourd’hui dans Bonjour sur TF1.
Dans votre ouvrage, vous décrivez votre rôle d’aidant auprès de votre jeune maman qui souffre d’une maladie neurodégénérative, un “ Alzheimer apparenté ”. Quels ont été les retours des lecteurs ?
Vincent Valinducq : Ce n’est pas le livre le plus drôle, mais j’ai tout de même intégré quelques touches d’humour. Je ne voulais pas qu’il soit sombre. Les journalistes et lecteurs qui l’ont découvert m’ont assuré qu’il était très lumineux. Il y a beaucoup d’amour dans cet ouvrage, et ceux qui ont vécu des situations similaires ont souvent trouvé, étonnamment, du réconfort en se remémorant des moments nostalgiques. En mettant des mots sur ce qu’ils ont pu ressentir, ils y ont trouvé du soulagement. À l’époque, j’avais des réticences à me définir comme aidant, mais aujourd’hui, je suis fier de ce rôle. J’ai souvent été réticent à parler de cette expérience, craignant de déranger les autres, mais c’était une erreur. Il faut oser en parler.
Vous étiez trois aidants auprès de votre mère Nadine : votre père Denis, votre frère Sébastien et vous- même. Comment avez-vous articulé vos rôles et comment votre père l’a-t-il vécu ?
Vincent Valinducq : On va parler de systémie familiale, car les rôles se sont distribués de manière logique. Au début, lorsqu’on devient aidant, on ignore que l’on tient ce rôle. On commence par gérer les symptômes mineurs, comme allumer la télévision ou préparer le café. Avec le temps, la maladie progresse, et les tâches deviennent plus complexes. Par exemple, mon père a commencé par mettre une paire de chaussettes, puis a enchaîné avec le pantalon et, finalement, a pris en charge la toilette.
Pendant 14 ans, les rôles se sont donc répartis sans que nous ayons besoin d’organiser une réunion pour les définir, souvent sans que nous en soyons pleinement conscients. Chacun a pris en charge ce qui lui semblait le plus approprié. J’ai géré les aspects médicaux et paramédicaux à Paris, les rendez-vous, les médicaments et la surveillance des traitements, etc. Mon frère, habitant au Havre, s’occupait de la logistique quotidienne, comme les factures, le remplissage du frigo, l’entretien du jardin. Il sortait aussi avec ma mère pour permettre à mon père de souffler un peu. Puis la maison s’est transformée en un petit hôpital, avec l’arrivée de divers intervenants. Malgré cela, la communication entre nous est restée fluide et nous avons réussi à maintenir une forte cohésion. Plus les difficultés augmentaient, plus il devenait nécessaire de renforcer les aides. Mon père, toujours présent auprès de ma mère, a perdu peu à peu ses capacités, nécessitant une répartition des rôles encore plus précise. Puis, lorsqu’il est tombé malade à son tour, nous avons dû également nous occuper de lui.
Quand vous êtes-vous senti aidant ?
Vincent Valinducq : Au tout début, on ne sait pas vraiment qu’on est aidant. L’une des difficultés des aidants est de comprendre qu’ils ont ce rôle. La première étape est de réaliser qu’on dépasse le simple statut de fils, mari ou parent d’un malade. Je parle ici de l’histoire de ma mère, mais il y a aussi des parents qui aident leurs enfants malades, et les rôles peuvent varier. Un jour, en écoutant la télévision, une journaliste a utilisé le terme “aidant”, et j’ai eu une révélation : c’est exactement ce que je vivais. À ce moment-là, j’ai compris que je n’étais pas seulement le fils, mais que j’avais un rôle spécifique. Bien
que cela n’ait pas changé fondamentalement ce que je ressentais, cela a été un soulagement de mettre un nom sur quelque chose qui semblait tellement naturel et inévitable. Cela a aussi eu un effet déculpabilisant. Il est parfois difficile de ne pas se sentir coupable quand on pense qu’on ne fait pas assez.
En tant que fils, on peut se dire que l’on est peut-être indigne de ne pas être à la hauteur, même si on donne tout ce qu’on peut. Comprendre que ce rôle dépasse la simple relation familiale a été important. Dans ma pratique médicale, je constate que certains aidants, avant de réaliser qu’ils occupent ce rôle, ont du mal à accepter leur situation. Ils peuvent culpabiliser en tant que mari, fils ou épouse, et éprouver un sentiment de ne jamais en faire assez, de ne pas être à la hauteur est fréquent. Comprendre qu’on est un aidant peut aider à mieux accepter cette réalité. Reconnaître son rôle d’aidant permet également d’accéder aux aides disponibles, qu’elles soient humaines, financières ou matérielles, et de mettre en place des adaptations du domicile. Cela aide aussi à prendre conscience de la fragilité des aidants. En effet, un bon aidant est un aidant en bonne santé, plus apte à fournir un soutien efficace et à
gérer les responsabilités liées à ce rôle.
Le décès prématuré de votre papa est-il lié à son rôle épuisant d’aidant, moralement et physiquement ?
Vincent Valinducq : Il est souvent avancé qu’un tiers des aidants décèdent avant la personne aidée. Mon père, par exemple, a énormément mis de côté ses propres besoins pour s’occuper de ma mère. Au début, les choses allaient bien, mais les dernières années ont été particulièrement difficiles. Les repas de ma maman prenaient énormément de temps, parfois jusqu’à une heure et demie, et il devait réchauffer les plats pour éviter qu’ils ne refroidissent. Il a même inventé une technique pour conserver la nourriture chaude. Avec le temps, ma mère n’arrivait plus à mâcher correctement, donc nous sommes passés à la cuillère. Mon père prenait son temps pour s’assurer que sa bouche était bien vide avant de donner la prochaine cuillère, avec la crainte de la fausse route. Voir ces scènes était déchirant, mais c’était aussi un
véritable témoignage d’amour. Les repas commençaient souvent tôt vers 18h30 ou 19h, et duraient jusqu’à 1h30. A 20h30 ou 21h, il n’avait plus vraiment d’appétit, se contentant souvent d’un sandwich. Il se rendait compte de cette perte d’appétit, mais nous évitions d’en parler directement. Il veillait aussi sur les moindres bruits la nuit, changeait les draps lorsqu’il y avait des incidents… et dormait moins, un sommeil de mauvaise qualité. A force de replacer ma mère sur son fauteuil, nous avons développé
des troubles musculosquelettiques. J’ai moi-même souffert d’une épaule douloureuse pendant un an. Mon père négligeait sa propre santé, mangeait peu, dormait peu, se concentrant entièrement sur le bien-être de ma mère. Il en était conscient mais me répétait « on verra ça après, le plus important : c’est ta mère ».
Au-delà de l’épuisement, mon père n’avait plus de ressources, et sa santé cardiovasculaire était également fragile. Il était complètement épuisé, mais il est parvenu à tenir un mois et demi après ma mère. Il a même fait des séjours en réanimation, surprenant tout le monde à chaque fois, en sortant pour rentrer s’occuper d’elle, avec dévouement et amour. En son absence, ma mère était complètement perdue. Elle ne mangeait plus et était totalement désemparée. Dès que mon père revenait à la maison, il suffisait qu’il entre pour voir immédiatement un sourire sur le visage de ma mère et ses yeux s’animer, pendant de nombreuses années avec la maladie, avant que son visage n’exprime plus rien. Elle reprenait
alors à manger. Cet amour entre eux était profondément touchant.
Quels sont pour vous les principaux enjeux pour les aidants ?
Vincent Valinducq : Déjà, permettre aux médecins de mieux repérer les aidants, et pour cela il faut améliorer la formation médicale. Lors de mes études, je n’ai pas appris le terme “aidant” ni les solutions à proposer aux patients dans ce contexte. Si je n’avais pas été moi-même aidant, je ne serais pas aujourd’hui aussi conscient des besoins et des défis des aidants. Certains de mes collègues médecins ont lu mon livre et m’ont confié qu’ils découvraient ce qu’est un aidant. Aujourd’hui, j’ai reçu un couple avec un aidant en consultation, et j’ai pu les aider à identifier leur rôle et à comprendre l’importance de leur propre santé. Il est essentiel de repérer les aidants et de leur proposer de consulter spécifiquement pour évaluer leur propre état de santé.
Outre le repérage des aidants, les axes prioritaires doivent aussi inclure l’amélioration de notre capacité à les orienter vers les ressources appropriées, tout en développant une plus grande sensibilisation parmi les médecins traitants et dans les services des ressources humaines des entreprises. Les aidants ont besoin d’un accompagnement qui passe par des aides humaines, financières et matérielles. Nous devons être capables d’orienter les patients vers les bonnes structures, comme les Centres de Services et de Coordination (CS-Clic), ainsi que les associations spécialisées en fonction des pathologies des personnes aidées. Lorsque l’on est submergé, il est souvent difficile de savoir par où commencer. Par expérience, je sais que joindre certains services peut être compliqué. Il est donc essentiel de développer une capacité d’orientation efficace pour aider les aidants à naviguer dans ce dédale de ressources et de démarches.
Vous écrivez qu’à force de recherches en ligne, vous avez découvert l’existence de nombreuses structures ou plutôt des sigles incompréhensibles pour qui ne les connait pas (CCAS, CLIC, APA, PCH, MDPH…) et ajoutez que, bien qu’ayant des fonctions proches, ces organismes semblaient ne pas communiquer entre eux ?
Vincent Valinducq : Il est absolument nécessaire de simplifier le parcours du combattant des aidants. Le système est tellement complexe et labyrinthique, chronophage, avec une multitude d’acronymes et d’organismes, qu’il est facile de se perdre. Quand l’aidant est âgé, l’utilisation d’Internet et la gestion de démarches administratives en ligne peuvent aussi être compliquées. Il faut enfin adapter le système aux besoins réels des aidants. L’accompagnement doit inclure une meilleure orientation et je plaide pour la création d’un guichet unique pour centraliser les démarches.
Dans les entreprises, il est également important d’améliorer le soutien aux salariés aidants. D’autant
que les études montrent que les aidants développent des compétences interpersonnelles, telles que la capacité d’adaptation, l’organisation, la gestion des relations et une certaine ingéniosité. Il serait également nécessaire d’envisager une flexibilité dans l’emploi du temps des salariés aidants. Mais aussi des autres statuts, comme les personnes qui exercent en libéral, ou en auto-entreprenariat, etc. En tant que médecin libéral, j’ai dû fermer mon cabinet plusieurs fois de manière soudaine pour m’occuper de ma mère, lorsqu’elle chutait, etc. Je comprends bien que la mise en place de telles flexibilité est complexe, mais elle est nécessaire pour soutenir les aidants. Il serait idéal que les entreprises offrent un accompagnement similaire à celui dont bénéficient les parents d’enfants malades, en permettant une flexibilité pour les aidants.
Actuellement, les droits accordés aux aidants sont limités. Il existe des dispositions pour les jours de congés liés à des situations d’urgence, mais elles sont encore insuffisantes. Pour les travailleurs indépendants ou les libéraux, comme les médecins ou les entrepreneurs et les indépendants, fermer leur activité pour s’occuper d’un proche entraîne souvent une perte de revenus, sans possibilité de compensation. Cela souligne la nécessité d’un soutien plus large et mieux adapté aux réalités des aidants, quelle que soit leur situation professionnelle.
Des aidants qui se sentent souvent isolés, et pressés par les contraintes financières !
Vincent Valinducq : Les 11 millions d’aidants en France représentent une économie potentielle de 11 milliards d’euros pour la société*. Mon père, qui était aidant à temps plein, assumait les tâches d’un infirmier, d’un kinésithérapeute, d’une aide-soignante, etc. 24 heures sur 24. Il était tout à fait capable de donner à manger, de changer les draps, de faire la toilette et d’accomplir d’autres missions qui auraient pu être réalisées par des professionnels. Si demain les 11 millions d’aidants en France se retrouvent dans l’incapacité de poursuivre leur rôle, la conséquence serait catastrophique. Cela se traduirait par un afflux massif de personnes vers les hôpitaux, les services d’urgence et les généralistes. Les aidants, souvent invisibles et non rémunérés par le système de santé, apparaissent peu dans les statistiques et les discours publics. Ils vivent généralement isolés, parfois même de leurs amis et proches. Il faut également former des aidants professionnels, uniformiser la formation des auxiliaires de vie.
Du fait de son succès, votre livre est en soi une action de sensibilisation ? C’est un plaidoyer pour « aider les aidants » dont on estime qu’ils représenteront un actif sur quatre en 2030 ?
Vincent Valinducq : Le livre que j’ai publié a dépassé mes attentes en atteignant un large public. Je ne pensais pas qu’il toucherait autant de personnes, et j’ai découvert à quel point il est difficile de faire passer un message sur ce sujet. Une campagne de sensibilisation pourrait être bénéfique, non seulement pour informer les médecins et les réseaux sociaux, mais aussi pour aider les aidants à s’identifier comme tels. Cette campagne pourrait permettre à ceux qui aident un proche au quotidien de reconnaître leur statut d’aidant. Il pourrait ainsi comprendre qu’il existe une différence entre être un mari, une fille ou un fils, un parent, et assumer le rôle d’aidant. Le passage à ce statut peut être difficile à reconnaître et à accepter. Mon livre, intitulé “Je suis devenu le parent de mes parents”, illustre bien ce renversement de rôles, où le fils devient le parent de ses propres parents. Être aidant est souvent épuisant et douloureux. Tant que l’on n’y est pas confronté, il est possible d’en avoir une idée, mais non de le comprendre pleinement. Ce sujet touche et touchera de plus en plus de monde dans les années à venir. En 2030, un actif sur quatre sera aidant. Le vieillissement de la population et l’effondrement du système de santé rendent de plus en plus difficile la prise en charge d’un proche malade dans de bonnes conditions, notamment à domicile. Cette situation oblige à développer des compétences d’infirmier, d’auxiliaire
de vie, d’assistant social, de médecin, d’ergothérapeute ou de kinésithérapeute pour pallier le manque de professionnels, au détriment de notre rôle de fils, de fille, d’époux ou d’ami. De nombreux aidants se sacrifient et s’enferment chez eux avec leur proche malade pour compenser cette défaillance, mais aujourd’hui, qui aide les aidants ?
Concrètement, que peut faire le médecin traitant face à cette situation ?
Vincent Valinducq : Il est essentiel de poser les bonnes questions pour quantifier les besoins des aidants et comprendre la portée de leur charge. Cela inclut de déterminer le nombre d’heures par jour ou par semaine consacrées à l’aide, les moments de la journée où cette aide est fournie, ainsi que la durée totale de ces activités. Il faut aussi évaluer la charge mentale, les troubles musculosquelettiques, les problèmes de sommeil, et les troubles de l’alimentation. Les conséquences indirectes doivent également être examinées, telles que l’impact sur la vie sociale et professionnelle, les rendez-vous annulés, et le temps personnel accordé. Les différentes pathologies nécessitent des types d’aide variés. Sans négliger l’aide psychologique pour l’aidant. Consulter un professionnel, psychologue ou psychiatre, qui m’a aidé
sans jugement et avec neutralité, a été la meilleure décision que j’ai prise pour moi (et uniquement pour moi) ces dix dernières années. Toute la difficulté réside dans le fait que le statut d’aidant est difficile à appréhender, car il est multiple. Il peut surgir brusquement ou évoluer selon les circonstances. Par exemple, un partenaire ayant un AVC ou une maladie aiguë change radicalement la vie de l’aidant. De même, une fracture temporaire nécessite une aide de courte durée, tandis que des maladies neurodégénératives exigent un soutien constant, pendant de longues années. Les aidants vivent en état d’hypervigilance, une forme de stress permanent qui peut être épuisante. Cela m’est souvent
arrivé de me réveiller la nuit et de vérifier le téléphone même sans notification.
Il y a aussi souvent la promesse fait à la personne aidée de la maintenir au domicile, coûte que coûte ?
Vincent Valinducq : Oui, ce que je remarque souvent, c’est que les aidants, au début, font la promesse de garder leurs proches à domicile. Dans mon livre, je parle de cette promesse comme d’un engagement initial que les aidants prennent pour garder leurs proches près d’eux. Au début, cela peut sembler gérable, comme allumer le chauffage ou utiliser un micro-ondes. Mais, au fil du temps, lorsque la maladie évolue et devient plus complexe, les défis s’accumulent. Les aidants doivent constamment adapter leurs stratégies pour gérer les symptômes et les besoins changeants de la personne malade.
Nous avons, mon père, mon frère et moi, réussi à tenir notre promesse tacite envers notre mère jusqu’au bout, malgré de nombreux sacrifices. Mon père, en fin de compte, a payé le prix ultime, sa vie. Ce que je veux dire, c’est que faire ce qu’on peut avec les moyens disponibles est la clé. Les proches aidants que je reçois parfois dans mon cabinet sont souvent épuisés. Bien qu’ils aient atteint leurs limites, l’évocation même d’une éventuelle institutionnalisation reste inaudible, car elle les confronte à un sentiment d’échec et d’abandon. Je ne voulais pas culpabiliser les lecteurs aidants dans mon livre, mais il est clair que maintenir une personne à domicile peut être extrêmement exigeant. Quand cela devient
insoutenable, il n’y a pas d’autre choix que de prendre des décisions difficiles, parfois déchirantes, telles que l’institutionnalisation.
L’instinct de survie. Lorsque les aidants atteignent un point de surchauffe, ils ne sont plus capables d’assumer leur rôle efficacement, ce qui peut avoir des conséquences graves pour eux-mêmes et pour la personne aidée. L’épuisement peut rendre les deux parties vulnérables, et l’aide institutionnelle peut offrir une alternative nécessaire. Le but est de trouver un équilibre, en permettant aux aidants de se reposer et de reprendre des forces tout en garantissant que la personne malade reçoive les soins appropriés.
Ainsi, quand la situation devient insoutenable, il ne faut pas hésiter à accepter une aide extérieure ? Mais comment convaincre l’aidant d’être aidé ?
Vincent Valinducq : Cela peut permettre aux aidants de continuer à visiter leur proche dans un cadre plus léger, sans les contraintes de la gestion quotidienne des soins. Le maintien à domicile est préférable lorsque c’est possible, mais il est essentiel d’accepter d’être aidé pour préserver la santé et le bien-être de toutes les parties impliquées. Accepter une aide extérieure n’est pas une marque de moindre affection pour la personne aidée. Le jour où on engage une auxiliaire de vie, cela ne signifie pas que l’on aime moins la personne malade. Au contraire, cette aide permet souvent de mieux valoriser les moments précieux passés avec elle. Par exemple, ma mère avait des sourires rares, et ne pas manquer ces instants était primordial. L’arrivée d’une auxiliaire de vie nous permettait de nous concentrer sur ces
moments de connexion, sans être submergés par les tâches quotidiennes.
Les difficultés résident souvent dans l’acceptation de cette aide, en particulier d’une auxiliaire de vie, comme l’a vécu mon père au début, qui était réticent. J’ai essayé de le convaincre en lui expliquant que cela lui permettrait de prendre du temps pour lui. Cette approche était une erreur. Au lieu de mettre en avant les bénéfices pour l’aidant, dont il se fiche éperdument à ce moment-là, reléguant sa personne au second plan, et au risque d’accroître sa culpabilité de ne pas en faire assez, il est plus efficace pour faciliter l’acceptation de cette aide de montrer les avantages pour la personne aidée (intimité, professionnalisme, etc.). La priorité de mon père était d’assurer le confort de ma mère. Donc changement de tactique : mettre en avant les avantages pour la personne malade, en considérant l’aidant comme le « chef de service » de l’équipe de soins, sans le mettre de côté. Il continue à jouer un rôle central et décisif dans le soin.
Et l’après-aidance ?
Vincent Valinducq : Étonnamment, après la perte de maman, c’était comme si tout s’était apaisé d’un coup. Les derniers jours avaient été chaotiques, une véritable tempête, mais le matin où elle est partie, un calme étrange est revenu dans la maison. C’était comme si le soleil se remettait à briller, les oiseaux à chanter, et un silence apaisant s’installait après tant de tumulte. Bien sûr, ce calme était teinté de la douleur de la perte, surtout quand papa est parti peu de temps après, un mois et demi exactement. La transition de cette hypervigilance constante, bien qu’elle ne disparaisse pas brutalement, se fait progressivement. Même deux ans après, il m’arrive encore de vérifier la nuit si je n’ai pas manqué un appel. Cette charge mentale s’estompe lentement, mais elle laisse des traces. Aujourd’hui, je retrouve un peu de tranquillité, je peux partir en vacances avec moins d’inquiétude, sans avoir à souscrire des assurances annulation à tout bout de champ. Pourtant, il y a un manque, un vide immense dans les premiers jours après les décès. C’est paradoxal, mais toutes ces tâches que je faisais, comme changer une protection ou donner à manger à la cuillère, finissent par me manquer. Ce sont ces moments, détestés sur le coup, qui laissent un vide.
Avec le recul, je referais tout pareil, sans aucun regret. J’ai réussi à construire ma vie professionnelle et personnelle malgré tout cela. Ce n’était pas facile, il y a eu des moments où j’ai eu envie de tout quitter, mais ce n’est pas la solution. Il ne faut pas s’isoler davantage, mais plutôt essayer de s’adapter, de trouver un équilibre. Et demander de l’aide.
*Laboratoire d’économie et de gestion des organisations de santé de l’université Paris-Dauphine, dans le cadre de l’étude européenne SHARE.
Propos extraits du Livre des Interventions des 17es Rencontres Santé respiratoire France
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