La Covid-19 a donné un coup d’accélérateur aux recherches nationales et internationales sur les troubles de l’olfaction suite à une infection, en particulier virale. Que savons-nous de cette conséquence parfois très invalidante ? Comment fonctionne la rééducation olfactive dont l’objectif est de relier mémoire et odorat ? Le point avec le Pr Justin Michel, chef du service d’ORL Adulte de l’hôpital de la Conception (Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille).
On perd le goût ? Non, c’est plutôt l’odorat !
Le goût, l’odorat et les sensations trigéminales (ce sont des sensations qui proviennent du nerf trijumeau, indépendant des voies gustatives et olfactives, une sorte de « troisième voie ») sont trois sens qui sont liés par une forte interaction, d’où la flaveur, une sensation provoquée conjointement par le goût et l’odeur d’un aliment. Par conséquent, les troubles de l’odorat ressentis dans la Covid-19 donnent aussi l’impression d’une perte de goût, alors même que le virus SARS-CoV-2 impacte essentiellement l’olfaction. En effet, les fosses nasales sont une porte d’entrée du virus SARS-CoV-2. L’atteinte par ce dernier génère des symptômes ORL parfois persistants.
« La pandémie de Covid-19 a été l’occasion de réaliser d’énormes progrès dans la compréhension des troubles de l’olfaction post-infectieux, explique le Pr Justin Michel. Nous disposons de publications et d’études qui indiquent que le SARS-CoV-2 peut être présent à chacune des quatre étapes responsables des atteintes de l’odorat :
- l’« aéroportage » (le transport des gouttelettes virales dans les airs),
- les « évènements péri-récepteurs » (le passage au travers du mucus des fosses nasales),
- la « transduction » (passage au niveau des récepteurs dans la muqueuse olfactive)
- et enfin l’ « intégration centrale » (la traduction par le cerveau de ces informations).
La revue de la littérature scientifique coordonnée par le Pr Jérôme Lechien, à laquelle nous avons collaboré (1), portant sur la localisation dans la sphère ORL de deux récepteurs essentiels pour que le virus pénètre dans la cellule (ACE2 et TMPRSS2) a montré que ces derniers étaient présents en grande quantité dans la muqueuse olfactive et respiratoire nasale mais aussi sur la langue et dans les glandes salivaires (2). Nous savons que le SARS-CoV-2 se lie à ces récepteurs et infeste ainsi l’organisme. Cela explique l’importance des atteintes olfactives et gustatives dans cette pathologie. »
Les troubles de l’olfaction post-infectieux, source de handicap
Les troubles de l’olfaction post-infectieux sont un sujet pris très au sérieux étant donné le handicap qu’ils génèrent (sentiment d’insécurité, altération de la qualité de vie, dépression…) mais également parce que la zone de l’odorat est la seule où le cerveau (l’encéphale) est directement exposé au milieu extérieur. En effet, la muqueuse nasale renferme l’extrémité distale des neurones de l’olfaction, qui sont présents dans le tissu (épithélium) olfactif, lequel contient aussi les cellules basales et les glandes de Bowman. Ce sont ces dernières qui synthétisent le mucus nécessaire pour présenter les molécules (les odeurs) aux récepteurs. Les neurones traversent l’os qui sépare le nez du bulbe olfactif (la lame criblée de l’ethmoïde) pour rejoindre les bulbes olfactifs.
Si, lors de l’infection elle-même, la perte d’odorat dans les sept jours post-infection peut être due à un œdème au niveau de la fente olfactive (espace aérien vertical, délimité par les parois des os du nez et la partie interne des fosses nasale), en revanche le problème est plus complexe dans le cas de troubles persistants, comme l’explique Justin Michel :
« Dans la Covid-19, comme dans toutes les atteintes post-virales, nous avons observé des troubles dans le fonctionnement de l’odorat (dysosmies) quantitatives avec une sensibilité accrue aux odeurs (hyperosmie) mais plus souvent une sensibilité moindre aux odeurs (hyposmie) ou une perte de l’odorat (anosmie).
Mais ce qui est bien plus problématique pour les individus sont les dysosmies qualitatives comme le fait de percevoir une mauvaise odeur pourtant non présente (cacosmie), une distorsion des odeurs vers une perception désagréable (parosmie), voire une odeur sentie en permanence (phantosmies). »
De manière générale, les causes post-infectieuses des voies aériennes supérieures représentaient déjà une grande part des anosmies, « de l’ordre de 36 % », précise le spécialiste, devant les désordres sinusiens (sinusites chroniques, déviations de la cloison nasale…), les traumatismes (anosmie souvent irréversible par section des fibres olfactives), ou les causes inconnues (dites « idiopathiques »).
Dans les premiers mois de la pandémie de Covid-19, « des études conduites par Nicolas Meunier de l’Institut national de la recherche agronomique (INRAE), chez le hamster doré ont permis de comprendre qu’en cas d’infection par le SARS-CoV-2, il y avait une élimination (desquamation) complète de l’épithélium de l’odorat deux jours après la contamination par le virus, détaille le Pr Michel, ainsi qu’une élimination des neurones olfactifs. Récupérer l’odorat nécessite que les fibres nerveuses (axonales) repoussent, à partir des cellules basales de l’olfaction. Le virus n’est qu’indirectement responsable de cette desquamation, car celle-ci est due avant tout à l’activation du système immunitaire de l’hôte déclenchée par l’infection. On peut penser qu’il s’agit d’un mécanisme de protection du cerveau (l’encéphale) qui saborde lui-même les voies d’accès pour empêcher le virus de remonter jusqu’à lui ! ».
Les bulbes olfactifs fonctionnent au ralenti
A l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille, un hôpital de jour « Anosmie » a été monté dès le début de la pandémie, ce qui a permis d’observer les troubles de l’odorat post-Covid-19.
« Sur les 109 mesures des capacités olfactives (olfactométries) réalisées, chez des patients vus plusieurs mois après de l’épisode infectieux aigu (8-10 mois), nous avons diagnostiqué 14 % d’anosmies, 51 % d’hyposmies, 35 % de normosmies, 10 % d’œdème de la fente olfactive et 7 % d’œdèmes persistants des bulbes olfactifs, décrit le Pr Michel, ce qui plaide en faveur d’un passage du virus du nez jusqu’à l’encéphale. Dans 15 % des cas, nous avons mis en évidence une atrophie des bulbes olfactifs, ce qui n’est malheureusement pas de bon pronostic pour la récupération de l’olfaction. »
Les examens d’imagerie (PET-scans) cérébrales ont mis en lumière un fonctionnement au ralenti (un moindre métabolisme) au niveau des bulbes olfactifs, et des régions du cerveau (régions fronto-nasales, limbiques, paralimbiques et du cervelet).
« Sur 87 imageries, nous avons comptabilisé 52 % d’un fonctionnement au ralenti du cerveau (hypométabolisme cérébral), ajoute-t-il. Et c’est corrélé au Covid long, mais sans que l’on puisse l’attribuer avec certitude au passage cérébral du virus, à l’inflammation ou à un autre mécanisme. »
La madeleine de Proust : la rééducation olfactive pour relier « mémoire » et « odorat »
La rééducation, l’unique thérapie validée après modification de l’odorat à la suite d’une infection, stimule la mémoire perceptive.
- Elle passe ensuite dans une région du cerveau (la plus grande des aires olfactives : le cortex pyriforme), ce qui marque le début de la perception olfactive consciente.
- « De manière générale, l’odeur est « encodée » sous forme d’une « identité olfactive » au sein des bulbes olfactifs, décrit le Pr Michel.
- Puis, dans la région du cerveau de l’ « hippocampe », elle intègre le monde des souvenirs.
- Dans la région de l’amygdale elle intègre le monde des émotions.
- Et, enfin, dans le cortex orbito-frontal elle intègre le lieu de la conscience, de l’hédonisme (recherche du plaisir, évitement de la souffrance) et de l’imagination. »
Les orthophonistes proposent la rééducation olfactive avec des odeurs connues des patients « car lorsque l’épithélium olfactif et les fibres axonales vont se reconstituer, la mémoire doit être connectée à la « bonne » odeur », précise-t-il.
Une source odorante permet ainsi de stimuler la mémoire, les émotions mais aussi les connaissances sémantiques. Par conséquent, le vocabulaire olfactif doit être maîtrisé par le patient, pour qu’il puisse décrire précisément ce qu’il ressent.
Concrètement, l’imagerie mentale olfactive peut s’exercer au moyen d’une aide auditive (exercice de visualisation grâce à l’hypnose ou à la sophrologie) et visuelle (images représentant une odeur spécifique). Ensuite, la dégustation doit se faire après un examen visuel, une olfaction orthonasale (les substances olfactives parviennent au nez par l’air que l’on respire) et une rétro-olfaction (l’aliment est déjà en bouche) avant l’ingestion.
Reste la question de l’évolution de ces atteintes olfactives suite à une infection, pour lequel il faudra encore un peu de recul.
👉 Pour en savoir plus : Les troubles du goût et de l’odorat au cours des symptômes prolongés de la Covid-19 (Haute autorité de santé, société de pneumologie de langue française, Société de pathologie infectieuse de langue française, etc.)/février 2021.
Référence :
(1) On sait que la protéine spike permet au SARS-CoV-2 de pénétrer dans la cellule via une interaction avec le récepteur ACE2 et la TMPRSS2, une protéine présente à la surface de la membrane cellulaire
(1) Lechien JR, Radulesco T, Calvo-Henriquez C, et al. ACE2 & TMPRSS2 Expressions in Head & Neck Tissues: A Systematic Review. Head Neck Pathol. 2021 Mar;15(1):225-235.
Dossier réalisé par Hélène Joubert, journaliste.