Pour lutter efficacement contre le tabagisme des adolescents, il faut tout d’abord mener les politiques publiques fondées sur les preuves, c’est à dire celles dont l’efficacité est scientifiquement démontrée comme la taxation du tabac, l’interdiction de fumer dans certains lieux ou encore la réduction de l’accessibilité au tabac.
Les 10èmes rencontres de l’Association BPCO (9 novembre 2017, Palais du Luxembourg) avaient pour thème « BPCO, et si l’éducation était la clé ? ». Invité à ce débat, Stephen Lequet, directeur de « Droits des Non-Fumeurs » (DNF) et vice-président de l’European Network for Smoking and Tobacco Prevention (ENSP) a pointé les déterminants du tabagisme chez les jeunes, s’appuyant sur des études européennes : la dimension socio-économique est primordiale, avec la nécessité de soutenir les familles défavorisées et traiter l’échec scolaire.
Parmi les projets de recherche d’envergure européenne, portés par le réseau européen de prévention du tabagisme (ENSP, 38 pays), figure SILNE (2013-2015). Financé par la Commission Européenne et conduit en partenariat avec de nombreuses universités au sein de six pays (Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas, Finlande, Portugal) SILNE comprenait deux objectifs : diagnostiquer les inégalités face au tabagisme juvénile et comprendre la relation entre le tabagisme et le statut socio-économique.
Il ressort que « dans toute l’Europe, le tabagisme des adolescents est plus important chez ceux issus des catégories socio-économiques plus défavorisées. » Quoique peu surprenantes, les conclusions de Stephen Lequet sont tranchées mais nuancées : « L’initiation au tabagisme est intimement liée au statut socio-économique des parents, mais pas uniquement. En effet, l’attitude des parents à l’égard du tabagisme pèse lourd dans la balance et peut même contrer l’effet propre du statut socio-économique ». Cette étude SILNE souligne par ailleurs l’importance de la réussite éducative : plus les résultats scolaires sont faibles, plus la consommation quotidienne de l’adolescent est élevée. L’inverse est aussi vrai. Les mauvais résultats scolaires affectent le tabagisme des adolescents par plusieurs biais. D’une part, le tabagisme conditionne leur insertion dans des établissements scolaires de moins bonne “qualité”, avec pour conséquence des résultats scolaires plus bas, entraînant à leur tour une augmentation du tabagisme. D’autre part, « le tabagisme impacte la qualité et la quantité des réseaux amicaux et sociaux des adolescents, ajoute Stephen Lequet. Là aussi, plus les réseaux sont de qualité et de quantité, moins l’adolescent est susceptible de fumer ».
Les politiques anti-tabac à la loupe
L’effet des politiques de lutte contre le tabac sur le tabagisme juvénile s’étudie aussi à l’échelon européen. Le projet SILNE-R (Horizon 2020), en cours, évalue l’impact des politiques de prévention du tabagisme existantes, par exemple l’augmentation des prix et la fiscalité du tabac, l’interdiction de fumer, les diverses campagnes de communication, la régulation des messages publicitaires et du marketing, le contrôle de l’accessibilité au tabac, les campagnes de prévention en milieu scolaire etc.
Ce projet est lui-aussi financé par la Commission Européenne et déployé dans les six pays européens du projet SIL auquel s’ajoute le Royaume-Unis. Son objectif, en décryptant l’effet des politiques anti-tabac sur le tabagisme des adolescents de 16 ans scolarisés dans 50 établissements scolaires, est d’améliorer l’efficience de ces mêmes politiques. Là aussi, les constats sont sans appel, quel que soit le pays étudié. « Dans le détail, précise-t-il, le prix du tabac produit un plus fort effet sur les adolescents les plus défavorisés. En revanche, l’interdiction de fumer et les campagnes de prévention en milieu scolaire ont un impact soit neutre soit plus fort chez les adolescents des classes les plus favorisées. Néanmoins, de façon globale, la plupart des politiques a un effet similaire quel que soit le niveau socio-économique auquel appartient le jeune ». Les politiques anti-tabac ont donc un impact sur le tabagisme des adolescents, peu importe leur appartenance socio-économique.
Concernant le levier du prix du tabac, ce sont les adolescents les plus défavorisés qui fument en plus grand nombre lorsque les prix sont bas, alors que ce sont les plus favorisés qui fument le plus lorsque les prix sont plus élevés, « prouvant que la politique de hausse des prix est bien une politique progressiste de réduction des inégalités de santé et non pas une politique antisociale comme on l’entend trop souvent », rétablit Stephen Lequet.
Un autre focus a été prévu dans SILNE-R concernant l’interdiction de fumer dans l’enceinte des établissements scolaires. A ce jour, l’étude a estimé à 30% de tabagie en moins dans les lycées dans lesquels il est interdit de fumer, comparé à ceux qui tolèrent un espace fumeur.
« Pour tenir l’adolescent éloigné de la cigarette, il faut éviter les mesures de prévention par à-coup, souvent un one-shot au cours du parcours scolaire. Le processus doit engager l’ensemble de la communauté éducative et inclure les initiatives sportives, culturelles, y compris hors les murs des établissements, au domicile de l’élève. Il faut aussi renforcer les compétences des enfants, c’est à dire leur estime de soi, leurs capacités à ne pas être manipulé, à aiguiser leur esprit critique et à leur faire connaître ce qui est bon pour leur santé ». Stephen Lequet, directeur de Droits des Non-Fumeurs (DNF)
Hélène Joubert, journaliste