Témoignages

« Mon projet La Mariposa voulait sensibiliser à la cause par l’action : c’était “marcher pour respirer, reprendre son souffle”. »

Éloïse Noisette, 28 ans bientôt, revient d’un tour du monde des randonnées mythiques. Son périple d’une année, baptisé La Mariposa, a été une véritable découverte, sur les autres, le monde, et elle-même. De retour avec des étoiles plein les yeux, Éloïse nous partage son parcours de soins marqué par la découverte de sa maladie : une tumeur carcinoïde du poumon. Proches aidants, parcours diagnostic et thérapeutique, émotions, solitude, manques de repères et d’informations… ses constats parfois amères font ressortir un processus de reconstruction difficile, long, surprenant, mais non dépourvu d’espoir et de volonté.

Quelles ont été les dates de votre tour du monde La Mariposa ?

Je suis partie le 7 mars 2023 et revenue le 10 mars 2024, soit un an et deux jours. Sao Paulo, l’Argentine de Iguaçu à Ushuaia, la Patagonie, le Chili, le Pérou, l’Équateur, le Guatemala, le Belize, le Mexique, l’Inde, le Népal, le Vietnam, le Cambodge, etc. l’idée était de relier les randonnées emblématiques autour du monde. J’ai grandi à la montagne et toujours été très sportive, entre la gymnastique et l’escalade. J’étais déjà une grande randonneuse avant de tomber malade. Après, je me suis mise au semi-marathon.

Vous étiez cheffe pâtissière à Paris lorsque la terrible nouvelle est tombée. Comment l’avez-vous vécu ?

Droits photos : Eloïse Noisette

Lorsque l’on a détecté une tumeur endocrine au niveau des bronches, une tumeur carcinoïde précisément, c’était à la suite d’infections récurrentes. Pendant deux ans, j’ai souffert d’infections pulmonaires environ tous les cinq à six mois, m’obligeant à des arrêts de travail de 10 jours à deux semaines, souvent passés à l’hôpital. Une alternance entre vie normale et hospitalisations, avec de nombreuses crises d’asthme. J’ai toujours eu de l’asthme allergique à l’effort, bien qu’on n’ait jamais vraiment su quel type d’asthme c’était. Parfois, un fou rire le déclenchait, alors que je pouvais jouer au tennis sans problème ! L’orage ou d’autres facteurs pouvaient aussi provoquer des crises.

On pense que cette tumeur pulmonaire est congénitale, c’est-à-dire présente dès la naissance. J’ai d’ailleurs appris récemment que je souffrais de problèmes respiratoires dès mon plus jeune âge. Ces infections pulmonaires ont commencé lorsque j’étais à Paris. J’avais quitté mes parents à 14 ans et déménagé à Paris à 17 ans. On ne comprenait pas l’origine des infections si fréquentes et on en est venu à la conclusion que c’était probablement une malformation congénitale. Pour obtenir des aides financières en tant que personne gravement malade, il fallait diagnostiquer cette malformation grâce à des imageries. C’est ainsi que lors de la fibroscopie – un examen que personne ne m’avait prescrit malgré mes antécédents d’infections bronchiques – on a découvert en explorant l’intérieur de mes bronches que ce n’était pas une malformation, mais une tumeur. L’annonce a été très violente et indélicate. Lors de la fibroscopie, le médecin avait oublié mon rendez-vous et ne s’intéressait pas vraiment à moi. Il m’a anesthésiée sans vérifier si cela avait fonctionné, et j’ai donc subi l’examen sans anesthésie, ce qui a été absolument horrible. J’ai convulsé, les infirmières me tenaient et l’une d’elles est même partie en pleurant, choquée par la scène.

Quel a été le diagnostic porté ?

Le médecin a rapidement conclu l’examen, m’a dit de le retrouver dans son bureau. Les infirmières m’ont offert un petit déjeuner et m’ont aidée à me calmer. Puis le pneumologue m’a annoncé de manière très brutale que j’avais une tumeur carcinoïde du poumon (une forme rare de cancer qui se développe à partir des cellules neuroendocrines des poumons, ndlr) et que je devais voir un chirurgien immédiatement et agir tout de suite, sinon « je ne passerais pas Noël ». Sans m’expliquer pourquoi, il a pris rendez-vous avec des spécialistes devant moi. C’était un vendredi matin, et dès le lundi suivant, j’avais plusieurs rendez-vous. Je me souviens avoir appelé ma mère, qui est professeure de biologie, pour lui dire que j’avais un cancer du poumon, sans même vraiment le réaliser moi-même. On a alors compris le lien avec les infections. La tumeur envahissait mon lobe pulmonaire inférieur droit, le laissant se détériorer. Celui-ci devenait un foyer infectieux. On m’a finalement fait une lobectomie du poumon. Après cela, malgré l’intervention, j’ai encore eu une infection.

N’étiez-vous pas guérie grâce à l’ablation du lobe pulmonaire malade ?

Il semble qu’il n’y ait pas vraiment de lien direct, mais si je n’avais pas été malade auparavant, cela n’aurait peut-être pas été aussi grave. Ca s’est passé ainsi : j’ai couru un semi-marathon en 2021 à Deauville, j’ai fait un burn-out fin 2021 puis je me suis envolée au Pérou et en Bolivie en 2022. Mon idée était de remonter du Pérou jusqu’à la Guyane pour découvrir les plantations de cacao. Mais au Pérou, juste après la période COVID-19, je suis tombée malade. J’ai contracté simultanément cinq germes différents, dont une salmonelle, un parasite, et une bactérie qui a infecté mon poumon. Les infectiologues sont intervenus, et j’ai été hospitalisée pendant 10 jours à Cusco. Tout cela n’aurait peut-être pas été aussi grave si mon corps n’avait pas déjà été affaibli auparavant.

Quelles ont été les suites ?

Je suis rentrée, guérie, mais extrêmement faible. Cet épisode infectieux m’a ramené à la réalité. Avant de partir, j’avais un peu nié ma maladie. À ma sortie de l’hôpital après la lobectomie, on m’a affirmé que j’étais « comme neuve ». J’ai donc agi comme tel, j’ai fait la fête, etc. Mais ce derniers épisode infectieux m’a fait comprendre qu’il était temps de prendre soin de moi. J’ai notamment débuté un programme de kinésithérapie.  

J’ai aussi commencé à accepter le fait que je suis plus fragile que d’autres, que mes problèmes de santé vont se résoudre mais auront un impact sur de nombreux moments de ma vie. Pour autant, je savais que je devais rebondir. Je devais donc repartir mais pas simplement prendre des vacances ou programmer un voyage classique. J’avais la motivation et la force nécessaires pour mener un projet, lever des fonds, etc. Les randonnées se sont imposées à moi, comme une suite logique de ma vie. Mon projet La Mariposa sensibilisait à la cause par l’action, résumé en ce credo marcher pour respirer, reprendre son souffle. Avec un peu plus de recul, je dirais que ce voyage a pris encore plus de sens chaque mois passé autour du monde.

Si vous deviez nous partager des moments phares de votre tour du monde ?

Droits photos : Eloïse Noisette

Deux randonnées m’ont marquée plus que les autres, peut-être parce que c’étaient les deux dernières. Sans trop faire exprès, j’ai arpenté le mont Kenya et le Kilimandjaro, les deux plus hauts sommets d’Afrique, en 13 jours. C’était une expérience intense. Mes guides me suppliaient de ralentir. Je marchais trop vite mais je m’acclimatais très bien à l’altitude, ce qui les surprenait. J’ai redécouvert ma capacité à relever des défis, tout en acceptant mon rythme. Respirer, trouver mon rythme, tout cela a apporté un supplément d’âme à ce voyage.

Il y a aussi quelque chose d’imprévu : la plongée. À Bali, la saison des pluies m’a empêchée de grimper les sommets, alors j’ai décidé de tenter la plongée. Sous l’eau, la panique peut survenir si l’on perd le rythme de la respiration. Progressivement, j’ai appris à contrôler mes poumons, à respirer correctement et à comprendre l’importance du souffle. C’était une étape majeure de mon voyage. Alors que la marche permet d’ajuster le souffle naturellement, la plongée oblige à un contrôle conscient.  

Pour prévenir les infections, avez-vous pris des précautions particulières pendant votre tour du monde ?

Oui. Si je suis un peu spécialiste du déni, j’ai beaucoup plus écouté mon corps pendant ce voyage. Dès que j’étais trop fatiguée, je prenais des jours de repos. Si je me trouvais dans un endroit pollué, je faisais en sorte de me rendre ensuite en pleine nature. Dès que j’avais une petite douleur, surtout à l’épaule où des nerfs ont été endommagés lors de la chirurgie du poumon, je m’arrêtais. Aujourd’hui je n’ai pas d’autre traitement que pour l’asthme dont je souffre.

Vous aviez comme projet d’organiser des ateliers de pâtisserie entre patients et soignants. Où en êtes-vous ?

J’habite depuis peu en Bourgogne, où j’ai saisi l’opportunité magnifique de travailler à la Maison Lameloise à Chagny, un restaurant trois étoiles. Toujours pâtissière, mais plus cheffe pour l’instant. Par choix. Ce projet d’atelier est donc en attente mais j’irai au bout de mes idées.  

Auriez-vous un message pour les personnes touchées par une maladie respiratoire ?

Il est essentiel de bien s’entourer de ses proches, comme je l’ai été. On se retrouve souvent seul et démuni lorsque l’on n’est pas dans le domaine de la santé. Par exemple, j’ai découvert l’Institut Gustave Roussy (un centre de recherche et de traitement du cancer à Villejuif) par moi-même en cherchant un professionnel pour parrainer mon projet La Mariposa. Personne ne m’en avait jamais parlé. Je ne savais pas non plus qu’il existait plusieurs communautés et associations de patients. En dehors de mon entourage proche, je me suis sentie très seule. Dans le milieu de la restauration, et plus particulièrement celui de la haute gastronomie, c’est un environnement très “marche ou crève”. Si tu ne vas pas bien, tu dois t’éloigner. Je n’avais donc pas beaucoup d’amis issus du travail, et je n’ai pas pour habitude de mélanger vies professionnelle et privée. Le soutien extérieur n’était pas à la hauteur de ce que j’aurais souhaité. J’ai découvert seule tous les accompagnements disponibles, grâce à ce projet La Mariposa, mais cela m’a pris trois ans.

C’est donc votre entourage proche qui vous a soutenue ?

Lors de l’annonce de la maladie et du traitement qui allait suivre, mes proches ont été très présents et m’ont beaucoup aidée. Ils ont apporté un soutien émotionnel crucial. Leur présence et leur aide m’ont permis de traverser cette épreuve avec plus de force et de résilience. En fait, ils avaient plus peur pour moi que moi-même. Je n’avais pas réalisé la gravité de la situation. Pour mon entourage, cela a été violent et brutal. Ils voulaient me protéger, alors que moi, j’avais envie de les protéger eux. Ils voulaient créer une barrière entre la violence de ma situation et ma vie de jeune femme de 21 ans. Ma maman a été très affectée. Je lui ai annoncé la nouvelle de manière brutale. Elle était en pause entre deux cours, et à sa question : « Comment ça va, ma fille ? » j’ai répondu « Bah pas ouf, j’ai un cancer du poumon. T’inquiète, je vais au travail, j’ai acheté des croissants. » Ce fut un choc pour elle. Cela a été très compliqué à gérer pour eux tous, à distance. Entre le travail, l’hôpital et la maison, je n’arrêtais pas, même sur leurs conseils. Ma mère a pris des congés au moment de mon opération. Ils m’ont protégée des difficultés financières, logistiques, professionnelles qu’entraînait le fait de prendre soin de moi. Par ailleurs, je l’ai appris plus tard, mais on leur a reproché de ne pas avoir été plus présents physiquement à mes côtés. En ce qui me concerne, je ne leur en adresse aucun, ils ont fait le maximum pour me soutenir, très présents émotionnellement. Un regret, personne ne nous a informés des congés dont pouvaient bénéficier les aidants. Je l’ai découvert sur les forums de patients en créant mon projet La Mariposa.

Vous n’aviez pas été informée des droits dont pouvaient bénéficier vos proches en tant qu’aidants ?

Ni l’équipe médicale ni le personnel paramédical ne nous ont dit qu’ils pouvaient prendre des congés aidants ou obtenir des aides pour les trajets Paris-Haute-Savoie, où ils habitent. Ils n’ont pas non plus été bien renseignés sur ma maladie et ses implications.

Il est crucial de faire connaître ces droits. Les aidants ont souvent besoin de soutien. Mon entourage et moi avons été projetés dans un monde inconnu, et personne ne nous a guidés. J’ai souvent eu l’impression de devoir me débrouiller seule pour obtenir des informations et des aides. La seule fois où on m’a proposé une aide psychologique, c’était lors de mon premier rendez-vous chez le chirurgien. J’étais alors totalement dans l’ignorance de ma situation, j’ai refusé en disant que je ne comprenais pas pourquoi. Par la suite, je n’ai pas osé la solliciter.

Lors du séjour hospitalier pour mon opération du poumon, une dame de l’aumônerie m’a tendu la main, mais j’ai refusé, toujours pour la même raison. Aujourd’hui, je me stabilise dans une nouvelle vie et je pense entamer un accompagnement psychologique, car c’est nécessaire. Je ne sais pas si ce sera pris en charge dans le cadre de mon affection de longue durée (ALD). Je ne sais pas encore vers qui me tourner. D’ailleurs, dans ma nouvelle région, je ne trouve pas non plus de kinésithérapeute respiratoire disponible.  

Quelle est votre spécialité en pâtisserie ?  

Dans le domaine de la restauration, la curiosité m’a toujours guidée. Je n’ai pas de spécialité précise car j’aime explorer et apprendre. Mais je dirais les pralinés et le chocolat ! J’ai aussi élargi mes horizons en découvrant le cacao en Amérique du Sud, le thé et la vanille à Maurice, et les secrets culinaires en Thaïlande. Ces expériences ont enrichi non seulement mes compétences culinaires, mais aussi ma compréhension culturelle à travers la cuisine.

Pour en savoir plus sur La Mariposa, c’est ici.

Merci à Éloïse Noisette. Propos recueillis par Hélène Joubert, journaliste.

Droits des photos : Eloïse Noisette