A l’occasion de la Journée mondiale sans tabac, le 31 mai, Santé publique France fait état d’une baisse du nombre de fumeurs depuis cinq ans, qu’elle relie directement à la mise en place des programmes nationaux de lutte contre le tabac. Le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) qui paraît ce jour chiffre qu’en 2019, trois Français de 18-75 ans sur dix déclaraient fumer (30,4 %) et un quart quotidiennement (24 %). Cette réduction de 4,5 points comparé à 2014 masque cependant des disparités selon les populations.
Les actions en faveur de la lutte contre le tabac semblent porter leurs fruits et cela se maintient sur la durée, selon le Baromètre de Santé publique France. Coup sur coup, les éditions 2018 et 2019 avaient annoncé des baisses significatives de la consommation tabagique en France. Cette tendance, entamée en 2014, se retrouve dans la publication 2020, même si, entre 2018 et 2019, elle a seulement profité aux femmes, dont le tabagisme quotidien a reculé de 22,9 % à 20,7 %.
Globalement, en 2019, trois Français de 18-75 ans sur dix déclaraient fumer (30,4 %) – la prévalence la plus basse jamais atteinte depuis le début des années 2000 (34,6 % des hommes et 26,5 % des femmes) – et un quart fumait quotidiennement (24 %). Par rapport à 2014, le tabagisme est en baisse de 3,9 points et de 4,5 points pour le tabagisme quotidien. A noter, en 2019, la prévalence du vapotage quotidien s’élevait à 4,4 %, chiffre stable par rapport à 2018.
En tout état de cause, le premier Programme national de réduction du tabagisme (PNRT) 2014-2019 (suivi par le Programme national de lutte contre le tabac PNLT 2018-2022), visant à éviter l’entrée des jeunes dans le tabac, à aider les fumeurs à s’arrêter et à agir sur l’économie du tabac, a eu une certaine efficacité, agissant à la fois sur l’offre (paquet neutre, interdiction de publicité et des arômes…), l’accès aux produits (politique de prix, interdiction de vente aux mineurs…), et sur l’aide au sevrage (remboursement de la substitution nicotinique à 65 %, « Moi(s) sans tabac »…). L’objectif du PNRT d’une baisse de 10 % des fumeurs quotidiens a été dépassé (-16 %), même si l’on se situe encore loin d’autres pays (15 % de tabagisme au Royaume-Uni, 14% aux États-Unis et en Australie).
Les inégalités sociales, un marqueur du tabagisme
Cependant, tous les fumeurs ne bénéficient pas de cette tendance à la baisse. Les inégalités sociales restent très marquées avec, pour le tabagisme quotidien, un écart de 17 points entre les personnes au chômage (prévalence du tabagisme de 42,7 %) et les actifs occupés (25,3 %), et 12 points d’écart entre les plus bas revenus (prévalence de 29,8 %) et les plus hauts (prévalence du tabagisme de 18,2 %). De plus, la diminution observée l’an dernier chez les plus fragiles (non diplômés, chômeurs) n’est pas retrouvée cette année, incitant le Pr Loïc Josseran (Département hospitalier d’épidémiologie et de Santé publique, Hôpital Raymond-Poincaré de Garches et président de l’Alliance contre le tabac), à rappeler dans l’éditorial du BEH que la prévention s’inscrit dans la durée, et que des variations annuelles ne doivent pas conduire à la remettre en cause. Et ça n’est pas la prochaine version 2021 du Baromètre santé qui le contredira, du fait de l’épidémie de Covid-19. Selon Santé publique France, 27 % des fumeurs ont déclaré que leur consommation de tabac avait augmenté durant le confinement, principalement chez les 25-34 ans (41 %) et les actifs travaillant à domicile (37 %). En parallèle, Tabac Info Service a noté une forte baisse de son nombre d’appels.
Le portrait robot du fumeur |
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Les fumeurs sont majoritairement des hommes (53,8 %) âgés entre 25 et 54 ans (66,5 %) et qui se trouvent plus souvent dans des situations sociales difficiles : 13,6 % sont au chômage, soit deux fois plus que les non-fumeurs. 26,2 % des fumeurs possèdent un diplôme supérieur au baccalauréat versus 33,1 % des non-fumeurs. Par ailleurs, les fumeurs présentent une moins bonne santé mentale, avec plus d’épisodes dépressifs caractérisés, plus de symptômes d’anxiété, plus d’insomnie chronique. Ils consomment bien plus souvent d’autres substances psychoactives (alcool, cannabis). Enfin, les fumeurs font moins appel aux soins de premier recours ; 79,4 % ont eu recours au médecin généraliste au cours des 12 derniers mois contre 84,8 % des non-fumeurs. Mais attention, ces données mettent en évidence des associations et non pas des liens de cause à effet. |
L’impact cardiovasculaire du tabac, précoce et brutal
En 2015, 21 % des séjours hospitaliers pour une pathologie cardiovasculaire en France (250 000 au total) étaient attribuables au tabagisme, et ceci est principalement retrouvé parmi les tranches d’âge relativement jeunes, entre 35 et 50 ans. Si l’impact cardiovasculaire du tabac peut survenir tôt, il se manifeste également de façon brutale. En effet, « le tabac n’impacte pas les artères comme les autres facteurs de risque classiques (cholestérol, hypertension artérielle, diabète), note le Pr Daniel Thomas, cardiologue à l’Institut de cardiologie (GH Pitié-Salpêtrière, Paris), porte-parole de la Société francophone de tabacologie : la pathologie vasculaire due au tabac est une pathologie thrombotique plutôt qu’athéroscléreuse, en raison de l’effet de l’exposition au tabac sur l’agrégation plaquettaire, expliquant que cela se traduise souvent de façon inaugurale par un infarctus du myocarde (IDM) et non pas un angor. En dépit de lésions coronaires peu sévères, le tabac va favoriser une thrombose aiguë conduisant à l’IDM. » Les chiffres en témoignent : les cardiopathies ischémiques sont les pathologies les plus fréquemment associées à ces séjours hospitaliers attribuables au tabagisme (39 %). Par ailleurs, le stéréotype de la victime du tabac – un homme âgé – ne tient pas : plus d’un quart (27 %) de ces séjours hospitaliers liés à une pathologie cardiovasculaire attribuables au tabac concerne des femmes, très souvent jeunes de surcroît. Selon une modélisation, une réduction de 10 % du nombre de fumeurs permettrait d’éviter annuellement 6 000 séjours hospitaliers pour une maladie cardiovasculaire – 26 000 si la proportion de fumeurs était de 20 % de la population.
Hélène Joubert, journaliste. Merci au Pr Daniel Thomas.