Les actus

« Nous avons besoin d’une politique intégrée de gestion des risques sanitaires environnementaux »

GRAND ENTRETIEN – Ancien directeur général de la Santé, le Pr William Dab, professeur émérite du Cnam (Conservatoire national des arts et métiers), laboratoire « Modélisation, épidémiologie et surveillance des risques sanitaires » (MESuRS), est l’auteur de l’ouvrage « Santé et Environnement » aux Presses universitaires de France (2020).

SRF : Concernant les impacts sanitaires des pollutions atmosphériques, quels sont les points qui vous semblent les plus significatifs ?

Pr Wiliam Dab, ancien directeur général de la Santé (DGS)

Pr W. Dab : Peu de questions ont été aussi étudiées que celle-ci. Les risques à court et long termes de la pollution atmosphérique sont très bien cernés, en particulier pour les pathologies cardiorespiratoires et, à un degré moindre, pour les cancers broncho-pulmonaires.

Plus que les effets à court terme liés aux augmentations transitoires des concentrations de polluants, ce sont les effets à long terme des expositions répétées, même à faibles concentrations, qui sont préoccupants. Les milliers d’études épidémiologiques ne font pas apparaître de seuil protecteur : la relation entre la concentration et le risque est linéaire.

Cependant, si beaucoup de recherches ont été consacrées à l’évaluation des risques, beaucoup moins visent à évaluer l’efficacité des mesures de gestion. Cela me semble être désormais la priorité.

Quelles sont les raisons pour lesquelles l’analyse de la relation entre l’environnement et la santé est difficile ?

Il y a de nombreuses raisons. Pour s’en tenir à l’essentiel, la première est la difficulté d’estimer de façon fiable, au niveau individuel, les niveaux d’exposition et leur évolution. La deuxième tient au fait que les risques individuels sont faibles dans les pays riches, où il n’existe quasiment plus d’expositions à fortes doses, ce qui pose des problèmes méthodologiques complexes. Enfin, troisième difficulté, les maladies chroniques sont plurifactorielles. Des outils statistiques sophistiqués sont donc nécessaires pour cerner le rôle propre d’un facteur parmi les autres.

De quels outils ou de quelles nouvelles approches disposons-nous pour éclairer la relation entre santé et environnement ?

La modélisation mathématique et statistique nous donne des outils puissants d’analyse. La constitution de grandes cohortes, comme Constances*, qui procurent des données fiables et multiples, constitue une autre avancée. Enfin, les progrès du biomesurage ouvrent la voie de l’analyse de ce que l’on appelle l’exposome**, par analogie au génome.

La santé environnementale se dégrade-t-elle ou l’attention qui lui est aujourd’hui accordée est-elle plus forte ?

Il n’est pas facile de répondre à cette question. Il existe trois catégories de problèmes.
Les problèmes « classiques », dus aux grandes pollutions qui marquèrent le début de l’ère industrielle, restent prévalents dans les pays du Sud, mais se sont amoindris dans les pays riches.

Les problèmes « actuels » pour les pays du Nord se manifestent surtout par des maladies chroniques liées à des expositions prolongées, à de faibles doses, aux contaminants toxiques, principalement des agents chimiques. La situation est hétérogène : certaines expositions diminuent, comme les dioxines, d’autres augmentent, par exemple les perturbateurs endocriniens.

Enfin, les problèmes « émergents » correspondent à des risques nouveaux liés à la mondialisation de l’économie, à l’urbanisation, aux échanges internationaux et à l’industrialisation de nouvelles technologies adoptées à très grande vitesse dans différents secteurs. Ils peuvent se manifester dans la population localement, sous forme de clusters, ou de façon plus diffuse. Nous n’avons pas encore une vision claire des différents risques afférents.

Par ailleurs, il existe désormais des problèmes planétaires : changement climatique, diminution de la couche d’ozone, contaminations de nombreuses espèces vivantes par des polluants organiques persistants, multiplication des OGM, appauvrissement de la biodiversité ou encore raréfaction de la ressource en eau. Ici aussi, l’évaluation des risques est lacunaire, sauf pour les perturbations climatiques.

Quel est le nouveau visage des risques ? Pourquoi le monde actuel est-il à la fois plus sûr et plus risqué ?

Le paysage des risques environnementaux est maintenant caractérisé par son incontrôlabilité au niveau individuel (on ne sait pas si l’on est exposé ou non) et par l’effacement d’une triple frontière : spatiale (aucune barrière géographique, administrative ou politique ne peut s’opposer à la diffusion des expositions), temporelle (latence longue entre l’exposition et ses conséquences) et sociale (la complexité des sources de risques brouille leur traçabilité et se prête à de gigantesques batailles juridiques sur les questions de responsabilité). Ulrich Beck*** a le premier décrit cette complexité.

Quels grands principes de la gestion des risques souhaiteriez-vous mettre en avant ?

La santé environnementale croise un ensemble de politiques : santé, sécurité sociale, environnement, travail, énergie, logement, transports, développement industriel et agricole, consommation et répression des fraudes, etc. Ces politiques sont fondées sur des régimes juridiques, des valeurs, des normes et des dispositifs hétérogènes et ne constituent pas un ensemble unifié ou cohérent de savoirs, de pratiques et de règles. À cet égard, le nouveau Plan national Santé Environnement (PNSE 4), témoigne de l’addition des préoccupations exprimées par les différents départements ministériels, sans hiérarchie des risques et sans réelles priorités : trente-sept plans sectoriels, vingt actions non hiérarchisées et non budgétées, des indicateurs de pilotage reflétant les moyens plus que les résultats, une déclinaison régionale essentiellement incantatoire faute de dotation budgétaire. Au demeurant, il ne comporte ni diagnostic de départ ni objectifs définis. Pour obtenir une gestion cohérente de ces risques, la première chose à faire est de disposer d’une cartographie d’ensemble des problèmes.

Références
 *Cohorte épidémiologique généraliste constituée d'un échantillon représentatif de 200 000 consultants des centres d'examens de santé (CES) de la Sécurité sociale, âgés de 18 à 69 ans au moment de leur inclusion dans l’enquête.
  
 ** L’exposome se définit comme « l’ensemble des expositions à des facteurs non génétiques favorisant l’apparition de maladies chroniques auxquelles un individu est soumis de sa conception in utero à sa mort ». Le concept d’exposome a été introduit en 2005 dans le champ de la recherche en épidémiologie, par le Pr Christopher Paul Wild, pour stimuler les travaux sur les déterminants « environnementaux » des pathologies humaines chroniques chez l’homme (cancer, diabète, maladies cardiovasculaires...), par opposition aux déterminants génétiques (génome). Le nouveau Plan national Santé Environnement (PNSE 4) s’articule autour de ce concept et « mieux connaître l’exposome » constitue l’un des quatre axes du plan. Explications d’Aurélie Prévot (2019) pour l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS).
  
 *** La Société du risque, Aubier, 2001. 

Pour aller plus loin :

Le Pr William Dab est l’auteur de l’ouvrage « Santé et Environnement » aux Presses universitaires de France, édition Que sais-je, (2020).

Cet article n’a pas répondu à ma question, pourquoi ?

Dans le but de vous informer au mieux dites-nous …

Merci pour votre message !