Pr Vincent Cottin, coordonnateur du Centre national de référence des maladies pulmonaires rares (CHU de Lyon)
SRF : Quelles sont les données à propos de l’infection Covid-19 chez les personnes ayant une fibrose pulmonaire ?
Pr V. Cottin : La fibrose pulmonaire est une maladie respiratoire chronique rare, principalement représentée par la fibrose pulmonaire idiopathique*. Les données sur l’impact de la Covid-19 chez les personnes souffrant de cette pathologie sont parcellaires car ces malades ont, de leur propre initiative, entamé très précocement un auto-confinement scrupuleux. Ce sont généralement des personnes âgées – la médiane d’âge au moment du diagnostic est de 68 ans – et souffrant de maladies associées (comorbidités). 70 % des patients ayant une fibrose pulmonaire sont des fumeurs ou d’anciens fumeurs ; ils ont de ce fait souvent des problèmes cardiovasculaires ou des antécédents d’évènements cardiovasculaires ainsi que des traitements au long cours. Pour ces raisons, la plupart sont fragiles et à haut risque vis-à-vis de la Covid-19. Mais finalement, parmi les nombreux patients que nous suivons, peu d’entre eux ayant une fibrose pulmonaire ont été infectés par le SARS-CoV-2. Nous redoutions qu’ils développent plus particulièrement des formes graves. Fort heureusement, en proportion, ce ne fut pas souvent le cas. Nous n’avons pas l’impression que l’infection ait déclenché des poussées de fibrose, ni n’ait aggravé de manière importante l’état des patients. Néanmoins, certains ont dû être soignés pour une pneumonie (infection aiguë des poumons), un facteur d’aggravation chez ceux ayant une fibrose déjà sévère avant l’infection. Malheureusement, certains dont la maladie était avancée sont décédés.
De plus, selon notre expérience, nous n’avons pas l’impression que les malades atteints de fibrose pulmonaire soient plus à risque de contracter l’infection que la population générale et, lorsqu’ils sont infectés, celle-ci ne serait pas systématiquement plus grave que chez le reste de la population du même âge. C’est surtout le stade de gravité de la fibrose préalable qui les rend plus vulnérables en cas de pneumonie.
En résumé, si ces patients sont considérés comme fragiles et plus à risque que le reste de la population de faire des formes graves de Covid-19, nous sommes plutôt rassurés, surtout parce qu’ils se sont bien protégés.
Les publications sur le sujet sont peu nombreuses. Au Centre national de référence des maladies pulmonaires rares, nous sommes actuellement en train de colliger les cas de patients infectés par le SARS-Cov-2 dans l’ensemble du réseau OrphaLung. Le risque principal semble être l’âge plus que la fibrose pulmonaire elle-même, mais toutes les formes de fibrose ne confèreraient pas un risque équivalent. Nous ne disposons pas encore de suffisamment de données pour évaluer en détail les facteurs de risque.
Quel est l’impact des médicaments chez les personnes ayant une fibrose pulmonaire et qui sont Covid-19 positifs ?
Certaines personnes souffrant de fibrose pulmonaire se trouvent sous médicaments modulant l’activité immunitaire (corticoïdes, immunosuppresseurs, voire des biothérapies) en cas de maladie inflammatoire associée (sclérodermie, polyarthrite rhumatoïde, formes chroniques de pneumopathies d’hypersensibilité…). D’autres prennent au long cours des médicaments indiqués dans la fibrose idiopathique qui empêchent la fibrose de progresser (antifibrosants). Tous ces médicaments ne semblent pas aggraver l’état des malades infectés par la Covid-19, voire même ils pourraient contribuer à limiter le choc cytokinique appelé également « tempête de cytokines », une réaction hyper-inflammatoire qui semble être responsable de la dégradation de l’état des malades et expliquerait une grande partie des formes graves. Cela reste à ce jour une hypothèse.
Ces personnes expriment une certaine hantise vis-à-vis du retour à la normale. Doivent-elles suivre des consignes particulières avec le déconfinement ?
Cette appréhension est tout à fait compréhensible, le risque est présent, mais je crois qu’il faut retrouver progressivement une vie semi-normale, y compris en cas de maladie respiratoire chronique. Je leur conseillerais volontiers de recommencer à sortir, afin de reprendre une activité physique et musculaire ainsi qu’une vie sociale, sans négliger leur suivi médical. Ceci en s’entourant des précautions essentielles : en premier lieu, le lavage fréquent des mains au savon ou au gel hydroalcoolique (juste après avoir enlevé son masque et dès que l’on rentre chez soi), la distanciation physique, ne pas se toucher le visage à l’extérieur de son domicile, porter un masque et/ou une visière lorsque le masque est trop difficile à supporter. Petit rappel, les gants ne sont pas recommandés. Il s’agit une protection qui n’en est pas réellement une, d’une part parce que les individus les portent trop longtemps et peuvent véhiculer et transmettre le coronavirus sur les surfaces touchées et, d’autre part, parce qu’ils rassurent faussement.
Le télétravail est à privilégier. Les transports en commun à éviter si possible. Les contacts rapprochés avec les personnes souffrant d’infection respiratoire aiguë ou de fièvre sont à éviter.
Personne ne doit hésiter à consulter en cabinet ou à l’hôpital, ces lieux étant organisés pour assurer des conditions d’hygiène et de sécurité maximales vis-à-vis de la Covid-19. Ne pas consulter alors que son état se dégrade est possiblement une perte de chance. Tout symptôme respiratoire évocateur d’infection (fièvre, toux, essoufflement plus marqué) est à signaler à son médecin, par téléphone ou téléconsultation.
*La fibrose pulmonaire idiopathique résulte de la prolifération de cellules fabriquant de la fibrose (collagène). Le tissu pulmonaire se rigidifie et se rétracte, limitant le passage de l’oxygène, ce qui occasionne une respiration de plus en plus difficile. Tout savoir sur cette maladie : http://www.maladies-pulmonaires-rares.fr/espace-patient/FPI
Propos recueillis par Hélène Joubert, journaliste