On peut tout à fait être atteinte de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et mener à terme une grossesse. Néanmoins, ces cas de figure sont rares, même s’ils sont amenés à devenir plus fréquents. En revanche, ce qui est plus courant est qu’une BPCO soit révélée à l’occasion d’une grossesse. C’est pourquoi, il faut éviter de mettre trop vite l’essoufflement sur le compte de la prise de poids liée à la grossesse et penser à dépister une potentielle BPCO chez les patientes fumeuses. Bon nombre de femmes souffrant de BPCO pourraient être diagnostiquées à cette occasion, explique le Pr Chantal Raherison-Semjen, du Service des Maladies Respiratoires (CHU de Bordeaux), U1219 Inserm BPH Bordeaux Population Health Research Center et Institut de Santé Publique d’Épidémiologie et de Développement.
Aujourd’hui, la grossesse dans le cadre d’une BPCO est un sujet qui n’est absolument pas abordé par les soignants. Existe-t-il réellement ?
Pr C. R-S : S’il est sous-estimé, ce sujet existe bel et bien pour plusieurs raisons : l’âge du diagnostic de BPCO tend à s’abaisser. Des patientes sont diagnostiquées de plus en plus tôt dans la vie, aux alentours de 40 ans, à des âges où elles peuvent envisager une grossesse. De plus, la prévalence du tabagisme dans notre pays est toujours l’une des plus élevées en Europe, notamment chez les femmes* (22,9% parmi les 18-75 ans). Enfin, le recul depuis de nombreuses années de l’âge moyen de la première grossesse en France fait qu’en 2018, les femmes françaises accouchent de leur premier enfant à l’âge de 30,6 ans**. Un nombre croissant de femmes l’envisagent même à un âge encore plus tardif, a fortiori si ce sont des secondes voire troisièmes grossesses.
Donc, il n’est pas illogique de se dire qu’à un moment donné, ces deux situations – BPCO et grossesse – se superposent. D’ailleurs, dans la cohorte française « Elfe »***, dont je m’occupe sur le plan respiratoire, nous avons des mamans qui sont un peu plus âgées, entre 35 et 40 ans, lors de leur 1ère grossesse. On peut donc très bien imaginer que nous ayons des femmes un peu plus âgées que la moyenne et qui décident d’un projet de grossesse, qui fument, et qui ont potentiellement une BPCO non diagnostiquée.
Le stade de leur maladie BPCO est encore relativement bas ?
Oui, je pense qu’il est possible que nous soyons confrontés à des femmes qui entrent dans la maladie au décours d’une exacerbation : enceintes et fumeuses, elles font un accident respiratoire aigu. Les soignants s’interrogent alors sur la possibilité d’une maladie respiratoire sous-jacente devant une femme enceinte qui se plaint d’une gêne respiratoire importante et brutale, phénomène illustrant une aggravation de la maladie appelé « désaturation ». On pensera plus volontiers à l’existence d’un asthme qu’à l’existence d’une BPCO. Chez d’autres femmes, une maladie respiratoire déjà installée ou débutante sera à l’origine d’un essoufflement mais que l’on attribuera par erreur au fait qu’elles sont enceintes et qu’elles ont pris du poids.
Le problème est-il souvent méconnu et évacué rapidement par les soignants ?
Difficile à dire, car les patientes consultent aux urgences et ne vont pas forcément être adressées au pneumologue pour réaliser un bilan respiratoire. N’avons-nous pas intérêt, en tant que professionnels de santé (pneumologues, obstétriciens, sages-femmes et médecins traitants), compte tenu de la prévalence importante du tabagisme chez les femmes qui sont en âge de procréer, de s’occuper bien entendu du sevrage tabagique mais d’explorer une potentielle BPCO en réalisant une spirométrie de dépistage ?
Actuellement, ce problème est complètement sous-estimé et occulté. La littérature scientifique est très pauvre sur ce thème. Des cas isolés ont été publiés à propos de femmes hospitalisées pour exacerbation de BPCO qui désaturaient, principalement dans des pays à faible niveau de revenus. Mais en général, le manque d’oxygène est imputé à une possible embolie pulmonaire.
Et vous-même, en voyez-vous dans vos consultations ?
Oui, j’ai eu quelques cas, mais principalement une fois la grossesse terminée, car le pneumologue n’a pas été consulté au cours de ces neuf mois. Les symptômes d’essoufflement, de malaise, sont attribués au surpoids, à un problème cardiaque et le problème respiratoire est éludé. C’est seulement lorsque l’essoufflement persiste en post-partum que l’on pense à prescrire un bilan respiratoire, que l’on envisage un asthme… Et là, on découvre une BPCO débutante chez une patiente fumeuse.
Au cours de la grossesse, les modifications fonctionnelles et anatomiques sont nombreuses. Le système cardio-respiratoire est mis à rude épreuve : rétrécissement des voies aériennes supérieures, élargissement de la cage thoracique, augmentation de la consommation d’oxygène et de la production de dioxyde de carbone, ainsi que du volume sanguin et du débit cardiaque. Chez les futures mamans qui souffrent de maladies respiratoires chroniques, le risque de développer une insuffisance respiratoire pendant la grossesse ou lors de l’accouchement est-il vraiment augmenté ?
C’est le cas. Au niveau pulmonaire, la réduction de la contractilité du diaphragme peut également contribuer à une aggravation de l’essoufflement.
Les complications du tabagisme au cours de la grossesse sont connues : éclampsie (crise convulsive généralisée dans un contexte d’hypertension gravidique), pré-éclampsie, complications du déroulement de la grossesse, lors de l’accouchement et pour le bébé avec un retard de croissance intra-utérin (petit poids de naissance, petite taille, petit périmètre crânien), risque augmenté de certaines malformations et de Syndrome mort subite du nourrisson….
Mais on peut imaginer – même si les données manquent – que si, en plus, la patiente souffre de BPCO, les complications potentielles chez le fœtus liées à la diminution anormale de la quantité d’oxygène contenue dans le sang (hypoxémie) pourraient être majorées.
Devant un trouble ventilatoire obstructif sévère pouvant provoquer une insuffisance respiratoire au cours de la grossesse, est-il possible d’envisager une ventilation non invasive à la demande chez les femmes qui ont une BPCO ?
Pour l’instant, cela reste du cas par cas, et c’est très rare. Si, effectivement, on a affaire à une exacerbation aigüe avec des signes de gravité, la ventilation non invasive peut tout-à-fait se discuter, en milieu spécialisé. Mais pour l’instant, aucune recommandation officielle, nationale ou internationale n’a été émise en ce sens. Selon les dernières données de Santé publique France, il y a une augmentation des hospitalisations pour exacerbation de BPCO chez des femmes entre 45 et 60 ans, où elles dépassent très largement les hommes. Et cela peut donc concerner quelques femmes enceintes.
Cela fait partie des prochains travaux à conduire par le groupe « Femmes et poumons » au sein de la Société de pneumologie de langue française (SPLF) dont je suis membre.
Il faut re-sensibiliser le grand public comme les soignants sur la manière de sevrer les fumeuses pendant la grossesse. Et justement, dans l’étude « Elfe » dont je vous parlais, 21% des femmes françaises continuent de fumer pendant la grossesse ! Dont 5% fument plus de 10 cigarettes pendant la durée de la grossesse.
Cependant, une BPCO ne contre-indique pas une grossesse ?
La BPCO est une maladie hétérogène et cela dépendant principalement du stade de gravité. Chez les patientes dont la BPCO est plus sévère, notamment avec un Volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) entre 50% et 30%, on peut se retrouver dans une situation compliquée, comme dans le cas d’autres maladies rares où les femmes formulent un projet de grossesse. Je ne pense pas que l’on puisse affirmer aujourd’hui qu’il n’existe pas de contre-indication à la grossesse en cas de BPCO. Mais ce sont des décisions à prendre au cas par cas, en fonction du tableau clinique et de la sévérité de la maladie respiratoire.
Propos recueillis par Hélène Joubert, journaliste.
Références
* Résultats du Baromètre de Santé publique France 2018