Pascale Mathieu, présidente du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes, exerçant en Gironde.
Quel est le rôle du kinésithérapeute auprès des patients aux besoins spécifiques dans le réentraînement à l’effort, la mise à l’activité physique adaptée, et la pérennisation de l’activité ?
100 000 kinésithérapeutes exercent en France, au sein d’établissements de santé ou en secteur libéral. Ils jouent un rôle crucial dans la promotion et l’encouragement de l’activité physique adaptée, et plus généralement du mouvement. Il est en effet important de rappeler que la kinésithérapie, étymologiquement liée au mouvement, est légalement reconnue dans le Code du sport. En effet, notre diplôme comporte l’équivalence du brevet d’Etat d’éducateur sportif. Le rôle essentiel du kinésithérapeute réside dans l’orientation, la prescription et l’évaluation, bien au-delà de la simple dispensation d’activité physique, qu’elle soit adaptée ou non. La rééducation doit être différenciée de l’activité physique : la kinésithérapie se concentre sur le mouvement en vue de guérir. Quant à l’activité physique, il est impératif de souligner qu’elle ne relève pas de la sphère des soins (décret n° 2016-1990 du 30 décembre 2016). La rééducation est un domaine propre à la kinésithérapie, et ne doit en aucun cas être assimilée à l’activité physique. Sur le terrain, dans certaines situations où le kinésithérapeute est absent, faute de moyens suffisants dans des structures, des éducateurs sportifs peuvent intervenir, mais il ne faut pas les confondre avec des kinésithérapeutes ; leurs rôles diffèrent fondamentalement.
Il est nécessaire d’encourager le déploiement de l’activité physique, dispensée par des éducateurs sportifs, pour répondre aux besoins de nombreuses personnes atteintes de maladies chroniques. En somme, la demande en activité physique adaptée ne sera jamais entièrement satisfaite, étant donné le nombre considérable de personnes concernées, notamment celles atteintes de maladies de longue durée.
L’activité physique adaptée n’est donc pas, comme on l’entend souvent, un soin ?
Exactement, il est important de faire la distinction entre la rééducation et la dispensation d’activité physique. Lorsque l’objectif est de dispenser de l’activité physique, il ne s’agit plus de soins, mais bien d’une pratique sportive. Bien entendu, l’activité physique englobe un large spectre ; ce n’est pas toujours du sport. Cela inclut également l’activité physique adaptée destinée aux patients, comme le sport en fauteuil, le basket ou le football, la marche ou la gymnastique adaptés, par exemple.
Il est vrai que l’activité physique, y compris son volet « adapté », est parfois perçue comme une solution universelle, sans pour autant qu’elle puisse résoudre tous les problèmes. L’objectif fondamental demeure de rétablir le mouvement chez tous, tout en évitant de surestimer les effets de l’activité physique. Il s’agit d’un élément essentiel, mais non suffisant pour résoudre tous les enjeux.
Ainsi, l’effort doit être orienté vers la réactivation du « mouvement ». Cela concorde pleinement avec l’idée de remettre tout le monde en mouvement, ce qui reste fondamental. L’enjeu est de trouver un équilibre adéquat entre la rééducation ciblée et la promotion d’une activité physique adaptée.
Quels sont les rôles que vous jouez dans la remise en « mouvement » ?
Tout d’abord, nous avons un rôle crucial dans l’évaluation des patients. La loi Touraine a instauré en 2016 la nécessité d’un bilan spécifique qui devrait idéalement être établi par un kinésithérapeute pour évaluer le patient avant qu’il puisse bénéficier d’une activité physique adaptée. Cette évaluation est fondamentale, car elle permet d’anticiper les contre-indications et de mieux adapter l’activité physique proposée.
Le deuxième rôle majeur que nous assumons est celui de la prescription. Malgré certaines réticences de la part des médecins, nous avons réussi à obtenir la possibilité de prescrire l’activité physique adaptée. Actuellement, cette prescription vient en renouvellement d’une prescription initiale par le médecin, mais nous cherchons à obtenir une primo-prescription. Nous estimons que les kinésithérapeutes, qui tissent des interactions régulières avec les patients et disposent du temps nécessaire pour expliquer les enjeux, sont parmi les mieux placés pour encourager et motiver les patients à s’engager dans une activité physique bénéfique pour leur santé.
En fin de compte, nous devons devenir des prescripteurs actifs, agissant dans l’intérêt des patients et des dispensateurs. Augmenter le nombre de prescripteurs favorisera l’accès à l’activité physique, bénéfique à la fois pour les patients et pour ceux qui la dispensent. C’est une évolution positive.
Outre leur double compétence de professionnels de santé et d’éducateurs sportifs, le troisième rôle des kinésithérapeutes est donc la dispensation d’une activité physique adaptée (pour rappel, tous bénéficient de la double compétence professionnelle de santé/éducateur sportif) ?
Tout à fait, bien que la dispensation de l’activité physique ne constitue pas leur rôle central. Leur charge de travail est déjà significative dans d’autres domaines de leur compétence. Cependant, le décret (décret n° 2016-1990 du 30 décembre 2016)* a spécifié que les kinésithérapeutes sont habilités à dispenser l’activité physique à des publics spécifiques, affectés par des pathologies d’une extrême gravité, comme des troubles respiratoires sévères, des problèmes cardiaques ou d’autres conditions médicales complexes. Là, la dispensation par un professionnel de santé est impérative. Il peut s’agir par exemple de personnes atteintes de myopathies avec des troubles respiratoires graves, ou de patients ayant subi une greffe cardiaque et nécessitant une surveillance et une adaptation étroites de l’activité physique. Dans ces circonstances, le rôle du kinésithérapeute en tant que dispensateur d’activité physique prend toute son importance pour garantir une approche adaptée et sécurisée.
Il est à noter que de nombreuses collaborations locales se développent entre professionnels de santé et professionnels du sport.
Et dans le cas spécifique des maladies respiratoires chroniques ?
Effectivement, l’activité physique joue un rôle crucial en cas de conditions médicales telles que l’asthme ou la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Dans le cas de la BPCO, par exemple, l’activité physique est un indicateur important de l’état du patient, notamment en mesurant le périmètre du quadriceps pour évaluer la force musculaire et détecter d’éventuelles sarcopénies, c’est-à-dire des pertes de masse musculaire. Les muscles, y compris leur renforcement par le biais de l’activité physique, jouent un rôle central dans cette dynamique. Ils sont fondamentaux pour l’autonomie et la mobilité des individus, ce qui peut être particulièrement déterminant pour ceux atteints de maladies chroniques. Il est bien établi que l’activité physique apporte d’innombrables bénéfices, du point de vue physique et psychologique. Pour les personnes atteintes de maladies respiratoires chroniques comme la BPCO, chaque petit gain en autonomie physique et respiratoire est précieux. L’effet sur le niveau de stress et la qualité de vie est significatif, permettant aux individus de mieux gérer leur condition au quotidien.
Tous les kinésithérapeutes sont bien équipés et compétents (c’est une spécificité incluse dans leur formation initiale) pour prendre en charge les patients insuffisants respiratoires et jouer un rôle important dans leur réhabilitation respiratoire.
Vous plaidez donc pour que la possibilité de prescription initiale de l’APA par les kinésithérapeutes soit enfin actée ?
L’objectif est de prescrire l’activité physique adaptée à un maximum de patients, car il y a une urgence réelle pour ceux qui sont actuellement éloignés du mouvement. Plus nous multiplions le nombre de prescripteurs potentiels, comme les kinésithérapeutes, plus nous inciterons les patients à s’engager dans une activité physique adaptée, bénéfique pour leur santé. Il est vrai que le simple fait de prescrire ne garantit pas que le patient prendra effectivement rendez-vous et suivra cette prescription, comme nous le constatons déjà avec les médecins prescripteurs, qui sont encore peu nombreux.
Ensuite, la question du remboursement de ces activités se posera. Dans un rapport de la CNAM (Caisse nationale d’assurance-maladie) destiné à la Première ministre pour préparer le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024**, il est déjà évoqué le remboursement de l’activité physique adaptée dans certains cas, notamment pour le diabète, et potentiellement pour le cancer***.
Une évaluation minutieuse devra être réalisée pour déterminer quelles sont les conditions appropriées pour un remboursement total ou partiel. Il s’agit d’un équilibre entre l’accès facilité aux soins et la viabilité financière du système de santé.
Comment rendre le patient avec des besoins spécifiques autonome ?
Le rôle du kinésithérapeute dans la prescription et le suivi de l’activité physique est déterminant, surtout pour les patients qui n’ont jamais pratiqué de « sport ». Pour ceux qui ont toujours été actifs, la motivation intrinsèque peut suffire à maintenir leur engagement. A l’inverse, notre cible principale est celle qui n’a pas l’habitude du mouvement, qui pense que ce n’est pas pour elle ou que c’est trop compliqué, souvent par manque de confiance en ses capacités physiques. Le rôle du kinésithérapeute est de démystifier cette perception et de susciter l’envie d’essayer. L’amorçage est essentiel. Ensuite, maintenir la motivation passe souvent par le travail en groupe, l’émulation et les progrès constatés.
L’aspect psychologique est également primordial. Les patients ont confiance en leur kinésithérapeute, et le fait qu’ils bénéficient d’un suivi régulier favorise cette confiance****. Il est souvent en première ligne pour encourager et soutenir les patients, même dans les moments de découragement. En outre, une collaboration entre le kinésithérapeute et le coach sportif peut être très efficace. Le kinésithérapeute peut assurer un suivi médical et psychologique, tandis que le coach sportif peut se concentrer sur les progrès et l’aspect physique de l’activité. Un tel travail d’équipe permettrait un suivi plus complet et personnalisé, contribuant à maintenir la motivation des patients et à les encourager dans leur parcours d’activité physique, en assurant un suivi médical et en partageant avec le médecin des informations pertinentes sur l’état et les besoins des patients.
Le livre des interventions 16es Rencontres : retour au sommaire
Références :
* Le kinésithérapeute est un acteur à part entière de ce parcours des patients en ALD qui souhaitent initier ou recouvrer une activité physique adaptée. « Art. D. 1172-3.-Pour les patients présentant des limitations fonctionnelles sévères telles que qualifiées par le médecin prescripteur en référence à l’annexe 11-7-2, seuls les professionnels de santé mentionnés au 1° de l’article D. 1172-2 sont habilités à leur dispenser des actes de rééducation ou une activité physique, adaptée à la pathologie, aux capacités physiques et au risque médical ».
** Rapport « Charges et produits pour 2024 » Assurance Maladie. Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses : les propositions de l’Assurance Maladie pour 2024 (Juillet 2023)
*** A date (mi-octobre 2023), la mesure n’a pas été reprise par le gouvernement dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2024. Cependant, de nombreux parlementaires s’impliquent. Des amendements avaient été proposés lors de l’examen du précédent PLFSS. Cela pourrait être de nouveau le cas concernant le PLFSS 2024.
****Enquête Toluna Harris Interactive en ligne du 5 au 9 mai 2023