A l’occasion de la Journée mondiale sans tabac, ce 31 mai 2023, nous donnons la parole à Christiane Pochulu, patiente-experte BPCO, vice-présidente de Santé respiratoire France et nouvelle vice-présidente d’Alliance contre le Tabac
Qu’est-ce qui a fait que le Plan national de lutte contre le tabac 2017-2022 fut un échec ?
Christiane Pochulu : On ne peut pas parler d’échec total puisque la mesure phare prévue dans le plan, à savoir l’augmentation du prix du paquet de cigarettes, répétée, régulière, et de plus de 10 %, a fonctionné. Elle a permis la baisse de 1 600 000 fumeurs quotidiens, en moins de deux ans. Malheureusement, la crise sanitaire de la COVID-19 a eu un impact sur la consommation de tabac qui est repartie à la hausse, notamment chez les femmes et chez les personnes les moins diplômées. Cela peut s’expliquer par l’augmentation de la charge mentale, la dégradation des conditions de travail chez les femmes et, par conséquent, le recours à la cigarette comme outil de gestion du stress. Aujourd’hui, le nombre de fumeurs en France est évalué à 15 millions, dont 12 millions de fumeurs quotidiens.
Comment imaginez-vous le futur de la lutte contre le tabac ?
L’objectif de ce plan doit être de diminuer l’attractivité du tabac, de « ringardiser » la cigarette et les produits à base de nicotine. L’interdiction de vente aux mineurs doit être enfin appliquée. Le réseau des buralistes français bénéficie aujourd’hui d’une multiplicité d’aides financières, à hauteur de plus de 90 millions d’euros par an. Il est encore récemment apparu que plus de deux tiers des buralistes continuent de vendre des produits du tabac aux mineurs. Conditionner la licence de vente de produits du tabac et le versement des aides financières au respect de la loi sur l’interdiction de vente aux mineurs est un levier qu’il faut actionner.
Autre mesure nécessaire, rendre effective l’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif. La présence du tabac dans ces lieux expose en effet la population aux dangers directs du tabagisme passif et banalise l’acte de fumer. Il faut généraliser les actions « Espaces sans tabac » en interdisant la consommation des produits du tabac aux abords des établissements scolaires et universitaires, des parcs, des jardins, des terrasses, des établissements sportifs et des plages. De plus en plus de municipalités mettent en œuvre ces interdictions au niveau local. Un mouvement vertueux est amorcé.
Quel est votre avis sur la poursuite de la hausse du paquet de cigarettes ?
Si un paquet à 11 euros peut dissuader les jeunes de se mettre à fumer, quelques centimes de plus ne suffisent pas à décourager les accros à la nicotine. On observe notamment un phénomène de rattrapage quelques semaines ou mois après une augmentation. Les consommateurs s’habituent aux nouveaux tarifs et reviennent petit à petit à leur consommation initiale. Alliance contre le tabac préconise d’atteindre le prix de 15 euros pour un paquet de 20 cigarettes en 2027, par le biais d’augmentation des taxes sur les cigarettes manufacturées. En veillant bien entendu à ce que le prix des autres produits du tabac s’aligne progressivement en proportion sur celui des cigarettes manufacturées, particulièrement pour le tabac à rouler. Nous souhaitons aussi parvenir au prix de 15 euros également pour un paquet de 20 recharges de tabac à chauffer en 2027, en créant une catégorie fiscale à part pour les produits du tabac chauffé. En effet, contrairement à ce qui est avancé par ses fabricants, aucune preuve ne permet de démontrer la nocivité moindre du tabac chauffé par comparaison avec d’autres produits du tabac. Les dégâts de la combustion sont largement prouvés (la température monte à 800 degrés dans une cigarette classique). Concernant le tabac chauffé, la température se situe entre 300 et 350 degrés. Les cigarettiers affirment que cette température moindre évite la nocivité, ce qu’aucune étude ne démontre à ce jour.
La PUFF, un moyen d’initiation au tabagisme qui vise délibérément les « enfants », est-elle un combat urgent à mener ?
Si, comme on l’a vu, l’objectif du prochain plan doit être de diminuer l’attractivité du tabac, il faut aussi cibler les produits dérivés sans combustion mais à base de nicotine. Face aux mesures anti-tabac prises dans divers pays, l’industrie du tabac s’adapte continuellement et multiplie les stratégies pour promouvoir de nouveaux produits du tabac et de la nicotine. En effet, la moitié de ses clients meurent à cause du tabac, il lui faut donc sans cesse en trouver de nouveaux (73 000 morts chaque année en France). Le tabac chauffé, les puffs, font partie de ces nouvelles propositions. La puff, qui est une cigarette électronique jetable, vise particulièrement les jeunes générations, dès l’âge de 9-10 ans. Les emballages des puffs sont attractifs et colorés, les arômes sont séduisants, la négation des risques pour la santé est totale. Ainsi, les ados et même les enfants sont victimes de ce marketing agressif et trompeur. Il faut donc adopter une communication adaptée à ces publics pour les informer des risques et des dangers liés à ce type de consommation. A ce titre, Santé respiratoire France et Alliance contre le tabac estiment qu’il est même urgent de faire interdire les cigarettes électroniques jetables, ou « puffs » qui provoquent et maintiennent la dépendance à la nicotine. Il est urgent de l’interdire, non seulement au titre de la santé de nos enfants, mais également pour protéger la planète, ces dispositifs étant composés de plastique et d’une batterie non-amovible au lithium.
Une génération sans tabac à partir de 2032. Est-ce utopique, selon vous ?
Alliance contre le tabac souhaite que toutes les personnes nées en 2014 et ayant atteint l’âge de 18 ans en 2032 ne puissent plus acheter de produits du tabac. Il s’agit d’une mesure progressive, déjà en cours d’application en Nouvelle-Zélande, qui ne cible pas les personnes qui consomment déjà des produits du tabac mais seulement celles qui n’en ont encore jamais consommé. Il s’agit d’une “première mondiale” qui vise à long terme à interdire la vente de tabac.
Quels sont vos trois conseils concernant le sevrage tabagique ?
Notre société estime qu’arrêter de fumer est un exploit de la volonté. Derrière cette idée de volonté se dessine la notion d’un sacrifice à faire quand on abandonne le tabac. Or, c’est tout l’inverse : on ne perd rien mais on gagne beaucoup quand on ne fume plus comme une meilleure santé et la maîtrise de son budget. Et ce n’est pas tout : la sortie de la dépendance s’accompagne d’un immense sentiment de liberté et de fierté.
Cette notion de volonté est également liée à celle d’un combat à mener et à gagner. C’est une fausse idée de plus ; arrêter de fumer demande plutôt de travailler à retrouver un équilibre perdu et cela se fait en déterminant d’abord ses motivations profondes à arrêter et les bénéfices à en attendre.
En revanche, la volonté est très utile face aux nombreux conseils que la personne désireuse de se libérer du tabac va entendre. Prenons cet exemple : « Il faut utiliser des substituts nicotiniques pour arrêter de fumer ». C’est peut-être vrai pour la personne qui parle ou le médecin qui vous le recommande mais ce n’est pas forcément vrai pour vous. Vous seul pouvez en juger. D’autres moyens sont accessibles, comme les médecines complémentaires (sophrologie, méditation, hypnose) ou encore les applications pour smartphones.
Voulez-vous passer un message en particulier ?
Oui, un message concernant la rechute : celle-ci est vécue de façon très douloureuse par les fumeurs. D’après les statistiques, on rechute entre 4 à 6 fois pendant le processus de l’arrêt et les addictologues considèrent qu’elle fait partie l’aventure de l’arrêt du tabac. J’utilise volontairement ce mot d’”aventure”, car les tentatives d’arrêt seront autant d’occasions d’apprendre et de découvrir comment quitter la nicotine. Le jour où l’on arrête définitivement, on se sert de toutes ses expériences passées. Alors faites donc vos expériences et arrêtez de fumer comme vous l’entendez, en écoutant votre petite voix qui vous dit « Essaie à ta manière, tu n’as rien à perdre ».
Vous êtes impliquée dans deux associations : Santé respiratoire France et Alliance Contre le Tabac. Pourquoi ce double engagement associatif ?
Mon double engagement trouve sa cohérence dans le fait que Santé respiratoire France et Alliance Contre le Tabac sont deux associations amies, qui ont un objectif commun : alerter le public et les décideurs politiques de l’impact de l’industrie du tabac sur nos vies.
La prévention contre le tabac met généralement en évidence les dégâts sur notre santé. Pourtant, l’industrie du tabac ne nous vole pas seulement notre santé mais aussi notre argent. Elle nous prive également de notre liberté, en nous maintenant dans la prison de l’addiction.
De surcroît, ce problème de santé publique ne concerne pas seulement les fumeurs mais également l’entourage des fumeurs. Et n’oublions pas l’impact désastreux de cette industrie sur notre environnement. Dès la culture du tabac, en passant par la fabrication des produits et jusqu’aux déchets jetés par milliards n’importe où sur la planète (un mégot pollue 500 litres d’eau !), cette industrie est l’une des plus polluantes qui soit.
Enfin, contrairement à une idée largement répandue, le tabac représente un coût pour les finances de l’État bien supérieur aux taxes prélevées sur la vente de tabac.
Les fumeurs ne peuvent pas porter seuls la responsabilité de ce problème majeur, c’est l’affaire de toutes et de tous.